Très contemporain,
comme titre de chronique. Quand j'ai commencé à écrire de façon hebdomadaire,
en juin 2005, je n'aurais pas titré un texte de cette façon. Pas que
l'influence ou les jeux d'influences n'existaient pas, évidemment. C'est que le
titre n'était pas donné comme tel.
J'ai beau tenter de regarder les choses de manière détachée,
le titre d'influenceur ou d'influenceuse me semble prétentieux. Ce qui me
dérange n'est pas le fait de communiquer une réflexion, une opinion ou un
commentaire. Ce qui me dérange, c'est de vouloir devenir un influenceur
d'abord, pour ensuite, trouver un sujet ou une façon d'y arriver.
Remarquez que si le mot est contemporain, il n'en demeure
pas moins que les influenceurs existaient bien avant les médias sociaux. Mais
ils devaient se trouver une tribune. Un espace public. Un porte-voix.
Des écrivains, des chroniqueurs, des éditorialistes, ont
joué le rôle d'influenceurs au fil de l'histoire. Par leurs prises de position,
ils venaient parfois ébranler les colonnes du temple. De manière plus ou moins
spectaculaire, ils portaient un point de vue susceptible d'influencer l'opinion
des auditeurs ou des lecteurs.
Leur rôle était important.
Je pense à René Lévesque avec son émission Point de mire,
entre autres. Armé de son tableau noir et de ses craies (et de ses cigarettes !), il expliquait et développait des nouveaux
concepts, souvent avant-gardistes. Il prenait soin de documenter le tout, se
faisant fréquemment
professeur à sa manière.
La pertinence de ses propos a fait de lui une sorte
d'influenceur.
Mais je ne crois pas qu'il aurait envisagé de
s'autoproclamer influenceur.
Un des premiers influenceurs de masse de notre époque, un
des défricheurs de la formule plus actuelle, je dirais, est probablement
Jean-Luc Mongrain. C'est un des premiers à s'être frayé un chemin original en
créant une relation étroite avec les téléspectateurs.
Les yeux exorbités, n'hésitant pas à frapper sur le bureau
ou à y grimper s'il le fallait, voilà qu'il s'emportait, criait au scandale et
en appelant au gros bon sens bien plus souvent que permis !
Jean-Luc Mongrain est un homme cultivé qui maniait l'art de
s'adresser aux gens avec brio. Il s'est fabriqué une sorte de personnage
susceptible de susciter la curiosité d'un public qui, lentement, mais sûrement,
perdait de son attention pour la chose publique, de plus en plus intéressé par
son bien-être personnel.
Maintenant, les tribunes sont partout !
Je fais ici suite à ma réflexion de la semaine dernière sur
le fait qu'on ne se donne plus le temps de réfléchir et qu'on finit même par
ressentir une forme de bien-être quand on entend ou lit une phrase qui vient, à
elle seule, canaliser une opinion, tout en ayant le mérite de boucher
l'interlocuteur.
Mongrain a donné dans ce genre aussi.
Le portrait d'aujourd'hui est très spécial.
La multiplication des plateformes numériques (TikTok, X,
Facebook et autres) fait en sorte que quiconque le souhaite a désormais un
porte-voix. Et la pertinence n'est plus une unité de mesure prisée. Seuls les
clics comptent.
Les propos, les images, les vidéos qu'on diffuse ne se
mesurent pas en qualité, mais en quantité. On pourrait croire que sans qualité,
la quantité ne suivra pas, mais non !
En fait, ce serait omettre un principe fondamental : l'effet
d'entraînement.
L'abrutissant effet d'entraînement qui fait qu'on aime
parfois (souvent !) quelque
chose parce que des milliers d'autres
le font.
C'est le slogan des stations radio de Télémédia, à
une autre époque, mais poussé à son paroxysme : Tout le monde le fait,
fais-le donc !
Étrange slogan, quand on y pense. Si tout le monde le
faisait, il n'y aurait personne à convaincre de le faire ! Mais le principe commercial derrière, ça était
le même que ce que l'on vit sur les médias
sociaux : si 2 000 ou 200 000 personnes sont d'accord, je n'ai
pas à me demander de quoi il s'agit, je dois juste m'inscrire dans le groupe ! Alors, je clique « j'aime » et voilà,
je suis un membre à
part entière de
quelque chose.
De quoi ?
Sais pas trop. Mais de quelque chose qui me vend l'impression de ne pas être
laissé derrière.
Influenceur...
Le mot m'énerve lorsqu' utilisé par la personne qui prétend
à ce titre. Je trouve ça prétentieux.
Il est documenté qu'une foule qui manifeste voit son
quotient intellectuel diminuer en même temps que sa capacité de raisonner.
Les médias sociaux regroupent, entre autres, un gros paquet
de foules qui manifestent pour et contre tout.
Pour moi, la réelle et la plus efficace influence qu'une
personne puisse avoir sur une autre est de l'amener à être autonome dans sa
pensée et dans son raisonnement.
Un clic, même répété 200 000 fois, n'est qu'un bruit
passager.
Clin d'œil de la semaine
Les influenceurs préfèrent parler de leurs milliers de followers.
On dirait que de saluer des milliers de suiveurs est plus péjoratif. Suiveux
serait encore pire!