Témoignage bouleversant d'un homme politique marquant de la fin du 20e siècle et début 21e siècle. Le documentaire de Carl Leblanc, Nation : huis clos avec Lucien Bouchard, est une pièce d'anthologie de la vie politique québécoise.
Nul d'entre nous ne peut visionner cette tranche de notre histoire contemporaine sans un petit pincement au cœur. Nul ne peut être insensible à ce sentiment de l'inachevé et d'échec qui jonche notre histoire récente. Lucien Bouchard, à l'image de René Lévesque, incarne bien ce Québec de l'impuissance, de la résignation et de l'ambivalence tranquille. Réaction à chaud à un documentaire diffusé lundi soir dernier sur les ondes de Télé-Québec.
Le parcours d'un québécois
Le parcours de Lucien Bouchard ressemble à celui de nombreux québécois. Un itinéraire parsemé d'avancée et de recul, de calculs stratégiques, d'ambitions et d'élévation, mais aussi de responsabilité et de dignité. Le Québec de Lucien Bouchard commence à l'Université Laval alors qu'il voit poindre chez lui un sentiment nationaliste puissant qui est le même que celui de l'équipe de Jean Lesage qui se donne la mission de construire un État québécois. Puis, il y a eu la trudeaumanie où plusieurs ont cru que sous le leadership de Pierre Elliot Trudeau, les Québécois pourraient cesser d'être des citoyens de seconde classe et qu'ils pourraient occuper pleinement leur place au soleil dans un nouveau Canada, bilingue d'un océan à l'autre. Avec ses camarades Gérard Pelletier et Jean Marchand, Trudeau voulait que le Québec prenne toute sa place au Canada.
Le désenchantement d'Octobre
Puis, il y a eu la Crise d'octobre et l'emprisonnement de plein d'innocents dans un Québec occupé par les militaires et qui faisaient régner la terreur dans les rues de Montréal avec leurs mitraillettes. Nous ne pouvons que partager l'indignation de Lucien Bouchard qui demande avec raison « dans quel pays ou plutôt dans quel genre de pays emprisonnons-nous les gens sans mandat ». C'est un douloureux rappel à notre histoire. Des faits qui sont tellement cruels que l'on a plutôt préféré les oublier et les balayer sous le tapis. Voilà donc notre Lucien national redevenu souverainiste qui signe à Alma sa carte de membre du Parti Québécois et qui accompagne René Lévesque dans sa quête d'un pays. Le référendum de 1980 qui s'est traduit par la cruelle défaite de René Lévesque a eu des conséquences. Trudeau a rapatrié la constitution et enchâssé une charte des droits sans le consentement du Québec. Nos droits de légiférer sur la langue furent amoindris et nous venions de découvrir un nouveau pays gouverné par des juges.
Le courage de Mulroney
L'histoire d'un peuple prend parfois des chemins insolites. Celui du « beau risque » de René Lévesque en fut un. Le marathon de Mulroney pour réintégrer le Québec « dans l'honneur et l'enthousiasme » s'est mal terminé. Là aussi nous avons connu l'échec. Cette fois l'échec fut celui du camp des fédéralistes. Robert Bourassa et son allié et ami de l'époque Brian Mulroney furent incapables de donner au Québec un statut de société distincte et de faire du Canada une fédération plus harmonieuse et respectueuse de l'un de ses deux peuples fondateurs. Dans cet épisode aussi, Lucien Bouchard a joué un rôle de premier plan. Il fut celui qui a conseillé Brian Mulroney pour son discours de Sept-Îles et qui en a écrit l'acte de la réconciliation promise. Cela aussi s'est mal terminé tant pour le Québec que pour Lucien Bouchard. Ce fut aussi la fin d'une grande amitié pleine de tendresse entre Lucien et Brian. Mais Lucien Bouchard n'avait pas dit son dernier mot et il fonda le Bloc Québécois pour préparer le référendum à venir et défendre les intérêts du Québec.
De père de la nation à père du déficit zéro
Fondé un parti politique fédéral dédié aux seuls intérêts du Québec et devenir le chef de l'opposition officielle à Ottawa était un projet improbable et Lucien Bouchard a remporté ce pari. Il est devenu à lui seul une force politique incontournable du Québec. Un Lucien Bouchard dans lequel plusieurs se reconnaissaient dans l'après-Meech. Puis, il y a eu la maladie terrible qui a affligé Lucien Bouchard et lui a pris une jambe. La mangeuse de chair a eu une jambe de Lucien, mais pas son cœur, ni sa ténacité et encore moins sa formidable énergie et sa passion pour le Québec. Négociateur en chef pour le Québec, Lucien Bouchard a connu de nouveau la défaite en 1995 et est devenu par accident et non pas par ambitions premier ministre du Québec. Comme il l'a dit lui-même, le croisé est devenu comptable et ce fut le père du déficit zéro. Il démissionna de son poste de premier ministre à la suite de la scabreuse affaire Michaud. Il retourna à la vie privée pratiquer le droit et il est devenu Lucien le lucide.
La sinuosité du parcours de Bouchard
C'est une lapalissade que de dire que le parcours politique de Lucien Bouchard fut sinueux. Certains, des adversaires pour sûr, l'accuseront de traîtrise, de couardise et même d'ambitions intéressées. Ces gens auront tous faux. Lucien Bouchard est tout sauf un calculateur. Il est un québécois ambivalent qui cherchait à faire reconnaître sa nation, son peuple. Il a incarné mieux que quiconque, tout comme René Lévesque, l'ambivalence d'un peuple et d'une nation tiraillée entre son appartenance au Canada et sa fidélité à sa patrie. Il a épousé parfaitement toutes les sinuosités du parcours québécois depuis notre conquête par les Anglais en 1760.
La question qui demeure aujourd'hui sans réponse est : que fait-on de cette nation? Devrons-nous emprunter le chemin de la résignation et nous éteindre ou celui du combat pour survivre? J'ai une bien mauvaise nouvelle pour nous tous. Quel que soit le chemin que nous emprunterons ensemble, une seule certitude c'est que nous devrons combattre. Combattre pour nous donner un pays ou combattre pour nous faire reconnaître dans ce pays qu'est le Canada. Le combat c'est ce que nous devons retenir de la nation de Lucien...