Cette chronique est différente de toutes celles que j'ai écrites ici jusqu'à maintenant. Elle déroge aux habitudes de la maison qui consiste à ne jamais écrire sur des sujets pour lesquels j'ai un mandat professionnel. J'ai été mandaté par l'éditeur Marcel Broquet pour faire les relations médias et pour organiser l'événement de lancement du livre de Bernard Sévigny qui s'est tenu hier au Musée de la Nature et des Sciences. Je joue franc jeu. Je confesse mes liens avec l'auteur et l'éditeur, mais cela n'influence en rien mes commentaires sur ce livre. Je ne serai pas complaisant même si je préfère laisser à d'autres le soin de se faire critique de cet ouvrage. L'angle retenu pour cette chronique est tout autre. Commentaires impressionnistes sur le récit d'un intellectuel, ex-maire de Sherbrooke, sur la gouvernance municipale.
La genèse d'un livre
Bernard Sévigny a publié hier son livre intitulé L'Aquarium municipal. En toute honnêteté intellectuelle, je dois aussi vous informer que j'ai été associé de près à ce livre parce que Bernard est mon ami et qu'il a sollicité mes yeux de lecteur pour commenter les chapitres de ce livre au fur et à mesure qu'ils les écrivaient. J'étais en quelque sorte un lecteur critique de son récit. Je n'étais pas seul. Nous étions un petit groupe de collaborateurs qui ont été sollicités par Bernard pour commenter les divers chapitres. Vous savez quoi, je ne sais pas si l'auteur a retenu mes commentaires ou ceux des autres. Je l'ignore. Ce que je sais cependant c'est que j'ai trouvé à l'époque que ce livre de Bernard qui fait le récit de son expérience comme acteur municipal est un excellent livre et un récit fort intéressant, documenté et appuyé sur des sources. Cela en fait un ouvrage qui est susceptible d'aider tant les citoyens que des élus municipaux à mieux comprendre la dynamique politique municipale.
Ceux qui connaissant un peu Bernard Sévigny savent comme moi que c'est un intellectuel, un homme qui croit que la raison doit triompher des passions dans la conduite des affaires courantes de la Cité. En même temps, malgré sa grande timidité et sa réserve qui lui est coutumière, Bernard Sévigny est capable de beaucoup d'empathie. Dans ses rapports avec les autres, il fait souvent preuve d'humanité. Ceux qui en doutent doivent lire le préambule de ce bouquin où un Bernard Sévigny improbable se livre à cœur ouvert sur son milieu familial et sur son cheminement professionnel. Il nous parle de son milieu d'origine pour que l'on comprenne mieux ses valeurs et ce qui le motivait à agir pour le bien commun. Ces pages sont très touchantes, émouvantes même.
Le récit de Bernard Sévigny
Le récit de Bernard Sévigny est en fait un traité de gouvernance municipale. Un traité qui est divisé en plusieurs chapitres qui sauront capter l'intérêt de ses éventuels lecteurs. Pensons aux chapitres sur le développement d'une grande ville où l'auteur nous parle de Well Inc., de l'aéroport ou encore sur la dernière campagne électorale. Bernard Sévigny aborde sans la langue de bois habituelle les sujets comme Valoris et le rôle et l'influence des médias dans une région comme la nôtre. Il explique aussi pourquoi il juge que les partis politiques ont leur place dans la dynamique de la politique municipale. J'ai bien hâte de lire les commentaires qui seront faits sur ces sujets. Tout particulièrement sur celui qui concerne l'influence et le rôle des médias d'information dans la campagne électorale municipale de 2017. Tout cela est fort intéressant pour quiconque s'intéresse à la politique municipale.
Les exemples nombreux qu'il cite abondamment pour illustrer son point de vue sur la gouvernance permettent de lever le voile sur beaucoup d'intrigues derrière des portes closes. Néanmoins, Bernard Sévigny prend le soin de ne pas identifier les gens par leur nom, sauf de rares exceptions, dans ce livre. Celle ou celui qui veut les identifier en sera capable, mais ce n'est pas le but de l'exercice. Ce sont plus des faits qui servent à illustrer son propos que l'auteur cite plutôt que des histoires à propos de tel ou tel acteur. Cela indique clairement que Bernard Sévigny souhaitait tirer des enseignements utiles de son vécu plutôt que de chercher à régler des comptes avec l'un ou l'autre des personnages qu'il a croisés sur son chemin, fussent-ils des adversaires politiques. Cela est tout à son honneur.
Par ailleurs, je peux facilement imaginer que des acteurs qui se reconnaîtront dans ce livre ne seront pas tous heureux de la version des faits de Bernard Sévigny. Elles ou ils pourraient avoir des versions différentes des mêmes événements racontés par l'auteur. Cela ne pourrait être plus clair pour moi que le chapitre où Bernard Sévigny évoque le dossier du Centre de foires. Ayant été impliqué de près avec le Groupe Custeau pour convaincre le conseil municipal de l'époque de le localiser dans l'Est de la ville plutôt qu'au Plateau Saint-Joseph, je ne partage pas le récit de Bernard sur ce dossier, pas tout à fait. Ce qui est vrai pour moi pourrait s'avérer aussi exact pour quelqu'un d'autre au sujet d'un autre dossier.
Mais là, n'est pas l'essentiel du livre de Bernard, ces faits sont évoqués comme des illustrations pour expliquer comment il voyait cela et pourquoi il a agi de telle ou telle façon. C'est cela le mérite de ce livre et c'est ce qui en fait une sorte de traité de politique ou un manuel de gouvernance municipale. C'est de l'ordre de la politique appliquée, parfois de la science politique ou de la gestion plutôt que de l'histoire. Néanmoins, cela n'invalide en rien à mes yeux la force et la pertinence du récit que nous livre l'auteur. Il est redoutablement convaincant, sources à l'appui et témoignages d'experts en renfort. Il est clair que Bernard Sévigny a réfléchi et mûri chaque phrase de ce livre. C'est manifestement son témoignage et son opinion sur les faits évoqués. C'est ce qui fait la force de ce livre et du récit de Bernard Sévigny.
Citons-le pour bien comprendre son propos : « Les nombreux mois passés devant mon ordinateur furent un réel plaisir pour moi, car depuis longtemps, j'avais envie de m'adresser à vous. Je n'ai pas vraiment choisi de style littéraire. Dans les pages qui vont suivre, je m'adresserai directement à vous, avec le "vous". Je veux vous parler, vous raconter, vous expliquer pourquoi et comment j'ai vécu mon expérience d'élu municipal. Je le fais dans le but de rendre compréhensible le travail de maire d'une grande ville, travail à peu près méconnu par bon nombre d'entre vous, incluant des responsabilités dont vous ne vous doutez même pas. Je vous préviens, il ne s'agit pas d'un ramassis d'anecdotes pour relater mes exploits ni d'un véhicule de règlement de comptes. Je veux dire les choses franchement, honnêtement et sans détour, comme elles se sont présentées et comme je les ai abordées et gérées. » (Bernard Sevigny, L'Aquarium municipal. Récit documenté sur la gouvernance municipale, Montréal, Marcel Broquet la nouvelle édition, 2019, p. 19)
Un livre sans filtres et riche d'enseignement
Nous pouvons dire aujourd'hui à Bernard que son objectif a été atteint. Il parle directement sans filtres. Si quelqu'un veut en apprendre plus sur la gestion politique de la Ville de Sherbrooke pendant les seize années où l'auteur a siégé au conseil municipal, il a maintenant à sa disposition un outil privilégié pour mieux comprendre et pour savoir. Le récit de Bernard n'est pas ses mémoires, c'est un traité sur la gouvernance municipale agrémentée de faits vécus par le principal intéressé. Un livre au genre rarement pratiqué par des élus de quelque palier politique que ce soit.
Ce livre n'a pas seulement charmé son éditeur Marcel Broquet et celles et ceux qui ont pu le lire avant qu'il ne soit rendu public, mais aussi l'ancien ministre des Affaires municipales au Québec dans le gouvernement libéral de Philippe Couillard et député de Nelligan, Martin Coiteux. Dans la préface du livre, Martin Coiteux écrit « C'est le récit d'un homme qui, de 2001 à 2017, s'est totalement engagé en politique municipale dans le but de faire une différence positive dans la vie de ses concitoyens. De la part de l'homme qui a été conseiller municipal, maire et président de l'Union des municipalités du Québec, c'est aussi l'occasion d'un généreux et précieux transfert de connaissances. Comment fonctionne un conseil municipal ? Quels sont les liens entre les élus et les membres de l'administration ? Comment s'élabore le budget ? Comment se prennent les décisions ? Comment fonctionnent les relations avec les paliers de gouvernement provincial et fédéral ? Voilà autant de questions abordées par l'auteur avec autant de pédagogie que de franchise. D'autres ouvrages ont été publiés sur les questions municipales, mais je n'en connais aucun autre ayant su incarner en même temps que disséquer les parties constitutives de la politique municipale. C'est donc dire que l'ouvrage de Bernard Sévigny peut être lu avec différentes lunettes, chacune permettant de porter un regard distinct, mais complémentaire aux autres, sur la vie de la cité. » (ibid., p. 8)
Mais ce que remarque surtout l'ancien député de Nelligan à l'Assemblée nationale c'est que c'est le livre d'un homme totalement dédié au bien commun : « En janvier 2016, lorsque le premier ministre m'a demandé de prendre la responsabilité des affaires municipales, j'étais certainement surpris. Je lui serai cependant toujours reconnaissant de m'avoir permis de connaître ces hommes et ces femmes qui apportent dans la sphère municipale leurs propres pierres à l'édifice du bien commun. Je garde de ces quelque 33 mois de ma vie le souvenir de tous ces maires, mairesses, conseillers et conseillères, dont j'ai été témoin de l'engagement total et sincère. Ils sont trop nombreux pour que je puisse tous les nommer ici, mais permettez-moi de vous dire que Bernard Sévigny, dont l'ouvrage aussi leur rend hommage, est l'un d'entre eux. » (ibid. p. 9)
La défaite électorale
Le maire de Sherbrooke Bernard Sévigny et président de l'UMQ a connu la défaite électorale le 5 novembre 2017. Il n'a jamais commenté cette défaite publiquement et je doute qu'il le fasse un jour. Je l'ai moi-même interrogé là-dessus et il n'a pas fourni de réponses autres que des commentaires évasifs. Bernard n'aime pas s'épancher sur ses émotions ou mettre en scène ses états d'âme. Il a perdu. Il a assumé et aujourd'hui il écrit un livre qui relate son expérience. « Tout est dans mon livre », m'a-t-il dit quand j'ai essayé de lui tirer les vers du nez à ce sujet.
Pour ma part, je crois que cela l'a blessé, touché profondément. Si Bernard Sévigny refuse de s'en ouvrir, cela ne signifie pas que l'on ne puisse chercher à trouver réponse ailleurs. En tant qu'ancien journaliste, Bernard n'est pas sans savoir que lorsqu'une question demeure, on cherche ailleurs. Moi j'en ai trouvé une réponse possible dans les mémoires de Jean-Paul L'Allier que vient de publier Septentrion. Je le cite à propos de sa défaite électorale dans le gouvernement Bourassa en 1976 : « Une défaite électorale est toujours un moment extrêmement difficile pour un candidat. C'est une défaite publique et sans appel. L'orgueil touché, on se sent injustement traité, toujours incompris et on tombe d'aussi haut que l'endroit où on avait placé son fauteuil. » (Jean-Paul L'Allier, avec la collaboration de Gilles Gallichan, Le Relais. Mémoires inachevés, Québec, Septentrion, 2019, p. 196)
Je crois que Bernard Sévigny serait d'accord avec cette citation de Jean-Paul l'Allier. Je lui ai demandé ce qu'il en pensait et si cela s'appliquait à lui. Vous savez quoi, il a refusé de me le dire ou de me le confirmer. Comme il a refusé de me dire s'il pensait un jour refaire de la politique. Bernard ne partage pas ses états d'âme. Il laisse souvent ses interlocuteurs sur leur quant-à-soi. Pour lui, l'avenir est trop long pour s'interdire de penser tous les horizons. C'est cela mon ami Bernard Sévigny, tel qu'en lui-même...