La longue campagne électorale que les Canadiens vivent en ce
moment pourrait faire oublier que celle-ci est commencée depuis longtemps. La
lutte électorale n'est qu'un moment de la lutte politique au pays entre
diverses tendances et factions qui cherchent, pour les uns, à faire du Canada
la nouvelle Mecque de la droite et, pour les autres, de redonner à ce pays ses
lettres de noblesse d'antan de conscience de gauche de l'Amérique.
Cette lutte électorale se joue aussi dans le domaine des
livres où les trois principaux chefs ont leur photo sur des pages couvertures
de livres qui racontent leurs vies et leurs principaux faits d'armes sous le
mode du récit, de l'autobiographie ou encore de la biographie non autorisée. À
la découverte de Stephen Harper, Thomas Mulcair et Justin Trudeau chez les
éditeurs...
Publier des livres, une tradition
canadienne?
En France et aux États-Unis, les gens sont habitués de voir
leurs femmes et leurs hommes politiques publier des livres qui font état de leur
vie, de leurs idées et de leurs convictions à l'approche des rendez-vous
électoraux. Cela fait partie de la mise en marché d'un candidat ou d'une
candidate aux élections.
Au Canada, cette pratique de publier des livres sur les
chefs est en train de s'inscrire dans nos traditions. À preuve, en 1985, Jean
Chrétien avait publié son autobiographie Dans
la fosse aux lions alors qu'en 2009, le chef du Parti libéral, Michaël
Ignatieff, avait publié Terre de nos aïeux
espérant se rapprocher des Canadiens après un long exil de plus de trois
décennies. Cela n'a pas donné les résultats escomptés pour Ignatieff, alors que
le livre de Jean Chrétien a été un des meilleurs vendeurs de l'époque et il a
gouverné le Canada pour plus d'une décennie.
Avec la possibilité de résultats comme ceux de Jean
Chrétien, il n'est pas étonnant que les chefs des principales formations
politiques et leurs stratèges tentent de s'imposer sur toutes les tribunes et
les livres politiques constituent l'une d'elles.
À quoi servent les livres publiés sur
les chefs?
D'entrée de jeu, disons les vraies choses. Lorsqu'une
personnalité politique publie un livre à l'aube d'une campagne électorale,
c'est partie intégrante d'une stratégie de communication électorale.
De tous les vecteurs de la communication politique, le livre
retient généralement peu l'attention. D'ordinaire, les candidats se feront plus
présents dans les médias. Ils seront de toutes les tribunes dans les émissions
de radio et de télévision légères afin de mieux faire connaître et apprécier
leurs personnalités.
Avec la venue des nouveaux médias et des nouvelles
technologies de communication et les réseaux sociaux, comment se fait-il que
les chefs politiques des principales formations politiques courtisent les
lecteurs de l'une des plus vieilles formes de communication : le livre?
Cela est paradoxal. À une époque où le livre est en crise et
où les gens ne lisent plus, les politiciens publient des livres, même si l'on
sait que l'électeur est de plus en plus pressé, moins intéressé qu'avant et son
attention est difficile à capter. Il semble bien que la publication de livres soit
en train de s'établir comme un passage obligé pour tous candidats qui aspirent
à gouverner le Canada.
Pourtant, les livres publiés par les politiques sont jugés
peu fiables pour l'historien, généralement pauvre en matière littéraire et très
rudimentaire sur le plan des exigences de la théorie politique. Le principal
intérêt de ces livres est de permettre aux analystes d'en apprendre davantage
sur les stratégies de communication de chaque candidat et de chaque parti. Le
livre politique est un immense panneau-réclame non seulement disponible pour
les lecteurs, mais il servira aussi aux journalistes qui couvriront une
campagne électorale pour ajouter des éléments de compréhension aux histoires
qui seront racontées par les chefs politiques durant la campagne électorale. Le
livre politique est la plus percutante illustration d'une vérité élémentaire de
notre époque : nous sommes à la recherche de sens et tout se passe sur le
mode du récit d'une bonne histoire dans laquelle nous pouvons nous reconnaître.
Harper, Mulcair et Trudeau ne voulaient pas nous priver de ce plaisir et ils
sont tous la vedette d'un livre politique pendant cette campagne électorale.
Voyons cela de plus près...
Justin Trudeau
cherche un terrain d'entente
Justin Trudeau, le chef du Parti libéral du Canada, a été le
premier à offrir, en octobre 2014, son autobiographie. Il a essuyé au moment de
la parution de son livre intitulé Terrain
d'entente une salve de critiques sur l'à-propos de publier une
autobiographie à un si jeune âge. L'important cependant c'est que l'on a
beaucoup parlé de ce livre et que cela a permis à Justin Trudeau de donner de
nombreuses entrevues aux médias, ce qui n'était pas une si mauvaise stratégie
pour quelqu'un voulant se présenter aux citoyens du Canada.
Sous le mode du récit autobiographique, Terrain d'entente est un livre d'anecdotes, de souvenirs du 24
Sussex, résidence du Premier ministre du Canada, et de bonnes paroles
progressistes libérales. Un récit qui retrace le parcours de vie de Justin
Trudeau et qui le présente comme le défenseur des classes moyennes, de son
engagement pour l'environnement et de sa grande victoire dans Papineau. Un
livre qui cadre parfaitement avec la stratégie électorale des libéraux. Un
livre politique qui joue très bien son rôle de faire connaître Justin Trudeau
comme un homme qui cherche l'entente avec tous les Canadiens. Réconcilier
l'irréconciliable, voilà le programme de Justin Trudeau. Mais qui s'en plaindra
puisque c'est la nature du Canada de réconcilier les parties avec son tout.
Les convictions de Thomas Mulcair
Le 10 août dernier, Thomas Mulcair lançait son récit
autobiographique intitulé Le courage de
mes convictions. Comme pour Justin Trudeau, l'exercice est périlleux pour
quelqu'un qui cherche à se faire élire premier ministre du Canada. Un récit
autobiographique rédigé avec l'aide de Michelle Tysserre. Un texte simple qui
prend bien souvent l'allure d'un long communiqué de presse du NPD, ponctué ici
et là de déclarations, de convictions sur les autochtones, l'environnement, la
démocratie et tous les thèmes prisés par les néo-démocrates. Son récit de son
passage en politique québécoise sera évoqué, mais on y apprendra bien peu.
L'objectif de ce livre est ailleurs. Il veut nous présenter
un nouveau Tom et un nouveau Thomas. Un Anglo-Montréalais près de sa famille,
bilingue, épris de justice sociale. La biographie de Mulcair nous le présente
sous un jour nouveau. Thomas Mulcair est présenté comme un conciliateur, un humain
épris de ses semblables avec des valeurs familiales profondes. Loin de l'image
de Tom Mulcair capable de colères légendaires. Opération de marketing politique
réussie.
La solitude de
Stephen Harper
Le livre du politologue John Ibbitson sur Stephen Harper est
d'un registre tout différent. Biographie non autorisée, le livre simplement
intitulé Stephen Harper fait le
récit de la vie de notre Premier ministre, de son enfance, de ses valeurs et de
ses principales réalisations comme Premier ministre. L'Intérêt du livre
d'Ibbitsson est qu'il jette un regard neuf sur les années de formation de
Stephen Harper. On en apprend ainsi beaucoup plus sur cet homme dont la vie
privée est soigneusement mise à l'écart de sa vie publique depuis son entrée en
politique.
La thèse fondamentale de l'auteur est que Stephen Harper a
profondément transformé le Canada. Le pays que nous avons aujourd'hui a une
fonction publique plus petite, un gouvernement moins interventionniste, un
Canada plus centré sur le Pacifique que sur l'Atlantique et enfin un Canada qui
a une voix différente dans le monde, notamment en politique étrangère.
Aussi curieux que cela puisse paraître, le livre d'Ibbistson
sur notre premier ministre, même si ce livre est une biographie non autorisée,
risque de faire naître un courant de sympathie à l'endroit de Stephen Harper.
Un homme seul contre l'élite canadienne qui s'est dressé comme un roc
inébranlable pour donner aux Canadiens un autre gouvernement que celui légué
par les libéraux.
Quoi qu'il en soit, cette revue très sommaire de trois
biographies des chefs politiques montre bien que la politique est partout et
qu'elle est même présente dans le domaine des livres. La bataille électorale
est en cours, il ne faut pas oublier celle qui est déjà commencée : la
bataille des livres...
Lectures recommandées
John
Ibbitson. Stephen Harper, Toronto,
McClelland and Stewart, 2015, 448 p.
Thomas Mulcair. Le
courage de mes convictions, Montréal, Michelle Tysseyre Éditeur, 2015, 239
pages.
Justin Trudeau. Terrain
d'entente, Montréal, Les éditions La Presse, 2014, 384 p.