Drôle de semaine politique que le Québec vient de vivre.
D'abord la crise à l'urgence de Maisonneuve-Rosemont qui s'est traduite par la
fermeture des services pour une nuit et le départ d'une gestionnaire sous fond
de chantage syndical appelant à la démission de plus de 100 infirmières si
la direction laissait en place la cadre qui supervisait le service. Puis, cette
opération charme du nouveau chef élu du Parti conservateur, Pierre Poilievre,
en visite au Québec pour trois jours. Les médias ont tous eu droit à une
entrevue de ce nouveau personnage politique de la scène fédérale.
Durant ces entrevues, le chef conservateur Poilievre a tout
fait pour faire oublier ses frasques de la dernière année où il a appuyé les
camionneurs à Ottawa, fait la promotion des cryptomonnaies et emprunté un
discours politique aux allures trumpiennes. Il n'y a pas à dire, Poilievre a
multiplié les efforts pour se donner un petit air sympa et nous faire oublier
qu'il est résolument un homme de droite, une droite radicale. C'est là que le
bât blesse. Polievre pourrait-il mieux faire au Québec que ses prédécesseurs
Scheer et O'Toole ? Plus largement, Poilievre pourra-t-il profiter de l'usure
du gouvernement de Justin Trudeau pour devenir une véritable alternative de
gouvernement au Canada ? Cette chronique cherchera à jeter un éclairage sur
cette question.
Le Québec
et les bleus
Le mouvement conservateur a été longtemps présent dans
l'histoire du Québec. On se rappellera qu'au lendemain des rébellions de
1837-1838, l'un des premiers intellectuels québécois, Étienne Parent, s'est
distingué par sa pensée conservatrice qui préfigure les réformistes menés par
Lafontaine plus tard. Parent s'est fait prêcheur d'une idéologie à l'enseigne
de la modération. Au temps des rébellions, cela fut mal vu, il fut considéré
comme un traître par les patriotes et emprisonné par le gouverneur anglais pour
menées séditieuses. Devant le fait accompli de l'Union des Canadas (le Bas-Canada
et le Haut-Canada), Parent devient le chantre d'une vision que fera sienne plus
tard Henri Bourassa de l'égalité entre les deux peuples issus des deux Canadas.
Journaliste, bibliothécaire et fonctionnaire, Étienne Parent ressuscitera le
journal Le Canadien en 1831 et c'est à lui que nous devons la
devise : « Nos institutions, notre langue et
nos lois. » Conférencier émérite après les années 1840, le socle des idées
émises par Étienne Parent sera par essence libérale-conservatrice. Elles seront
reprises par Louis-Hippolyte-Lafontaine. Georges-Étienne Cartier a pris le
relais et cela a amorcé une domination des bleus au Québec pour plus de 40 ans.
Cela a pris fin avec le règlement des écoles séparées au Manitoba et la
pendaison de Louis-Riel. Par la suite, ce fut le moment des libéraux et de
Wilfrid Laurier et de Taschereau au Québec. Cela fut interrompu par le règne de
Maurice Duplessis au Québec qui a pris fin avec la Révolution tranquille.
Plus près de nous, il y a eu le gouvernement
Mulroney en 1984 qui a réussi grâce à une synthèse de conservatisme et de
nationalisme à conquérir le Québec et le Canada dans une rare complicité tant à
l'Ouest qu'à l'Est, en passant par le Québec et l'Ontario. C'est le rêve
éveillé des conservateurs du Canada de rééditer l'exploit de Brian Mulroney.
Tout cela pour dire qu'au Québec, il est vrai d'affirmer qu'il existe un vieux
fond bleu qui est d'ailleurs aujourd'hui le fonds de commerce de la Coalition
avenir Québec de François Legault. Pierre Poilievre pourra-t-il réussir à mettre
à profit cette trame historique québécoise pour faire mieux que ses
prédécesseurs ? Voilà la question.
Poilievre
et le Québec
Déjà, je crois que nous pouvons postuler l'hypothèse
du rendez-vous manqué de Poilievre avec le Québec. Le premier moment marquant
de cette relation est l'appui de Poilievre au mouvement des camionneurs à
Ottawa. Cela ne passe pas très bien au Québec. Le discours très libertaire
qu'il a tenu alors fit en sorte que le souvenir des Québécoises et des Québécois
de ces événements c'est que Poilievre est un radical de droite prêt à renier les
institutions pour arriver à ses fins politiques.
Le second acte de cette relation est le sort que Poilievre
et son équipe ont réservé au député de Richmond-Athabaska, Alain Rayez, à la suite
de sa victoire éclatante de la course au leadership du Parti conservateur du
Canada. S'acharner sur un représentant du camp des perdants et faire pression
pour le faire disparaître de la scène politique était tout sauf élégant de la
part d'un gagnant par une forte majorité. Je n'évoque même pas les déclarations
hasardeuses du candidat Poilievre eu égard à la direction de la Banque du
Canada, la cryptomonnaie et l'inflation qu'il attribue qu'à Justin Trudeau, ce
qui est un peu court comme raisonnement tout économiste digne de ce nom en
témoignera.
Le troisième moment, c'est le dépit manifesté par le
nouveau chef des conservateurs à l'endroit de la presse parlementaire d'Ottawa.
Cela dénote une vision de la démocratie qui n'est pas rassurante pour l'avenir.
Son discours sur les wokes pris comme cible est aussi un autre indice
inquiétant de la vision du monde que nous propose Pierre Poilievre.
Enfin, l'autre élément marquant de cette relation de
Pierre Poilievre avec le Québec c'est la distance qu'il a choisi de prendre
avec le nationalisme québécois et avec les politiques centralisatrices que nous
retrouvons trop souvent à Ottawa. Ainsi son absence de position claire sur le
débat concernant les transferts en santé pour les provinces et les fameuses
conditions évoquées par le gouvernement Trudeau est un silence éloquent. Il est
vrai que ce dossier semble avoir trouvé sa conclusion négociée ces derniers
jours, il n'est pas rentable pour un chef d'opposition de traiter des thèmes
qui avantagent son adversaire. Nous aurons cependant remarqué que Poilievre
dans ses entrevues de la semaine dernière a bien expliqué que sous un
gouvernement Poilievre, il n'aura pas de traitement de faveur pour le Québec.
Contrairement à son prédécesseur Erin O'Toole pas de plan Québec, pas
d'ententes particulières. Il ne faut pas lui en tenir rigueur, cela n'a pas
fonctionné de toute manière.
Poilievre se présente donc à nous comme un tenant
d'une idéologie de droite conservatrice plutôt radicale. Je ne crois pas qu'il
y ait de l'appétit pour cela au Québec. Ce qui explique que les derniers
sondages donnent la partie belle aux libéraux de Justin Trudeau.
Les
bleus en audition
Les bleus sont donc en audition au Québec. Nous
déciderons de façon collective si nous leur accorderons ou non un rôle
important dans la dynamique politique québécoise. J'en doute fortement. Les
idées de Poilievre ne sont pas dans l'air du temps au Québec. Il est vrai qu'il
forme avec sa femme un couple à l'image dynamique. On cherchera donc à
convaincre les Québécoises et les Québécois des vertus de la potion
conservatrice à coups de marketing et par le recrutement de candidats vedettes.
Une recette qui risque de faire long feu et de laisser les conservateurs
québécois sur leur faim. C'est pourquoi je suis d'avis que ce que nous risquons
d'entendre dans les prochains mois ce ne sont pas les trompettes d'une victoire
conservatrice annoncée, mais plutôt un langoureux blues plaignard des
conservateurs qui une fois encore auront été incapables de se faire entendre
auprès de l'électorat québécois. Ce sera le blues des bleus québécois...