Jamais je n'aurais imaginé que je doive un jour consacrer
une chronique pour dénoncer la censure du ministère de la Santé et des Services
sociaux du Québec à l'endroit d'un livre. Le premier ministre de ce
gouvernement, François Legault, nous avait habitués à ses recommandations de
lectures, mais jamais il ne nous a fait part de sa liste de livre mis à
l'index. Chronique sur le ridicule ordinaire...
Le livre
à l'index...
Ce livre
dont il est question est celui publié par les éditions Fides. Il est sur les tablettes des librairies
depuis le 12 octobre dernier, il s'intitule Le garçon aux pieds à l'envers
se présente comme un roman jeunesse, où l'amitié entre des adolescentes est
mise à rude épreuve dans une enquête aux frontières du paranormal. Le dernier
ouvrage de l'écrivain François Blais est une œuvre publiée à titre posthume,
car son auteur étant décédé à l'âge de 49 ans, quelques semaines après
avoir terminé l'édition finale de cet ultime roman, en mai dernier.
Or, voilà que
quelques jours avant Noël, dans un geste sans précédent dans le monde du livre
au Québec, la Direction nationale de santé publique a envoyé par l'entremise de
ses directions régionales, un avis à tous les milieux de l'éducation signé par
la sous-ministre de la Santé pour leur demander de ne pas promouvoir ni de proposer
la lecture du livre Le garçon aux pieds à l'envers, de François Blais.
De la censure c'est comme cela qu'il faut appeler cet avis. Lorsque quelque
chose ressemble à un chien, que cela a quatre pattes, une queue et qu'il aboie
c'est un chien. Jamais je n'aurais cru que le gouvernement du Québec se
mettrait à l'heure de la censure. Nous avons déjà à composer avec la culture woke
dans nos universités, faut-il en ajouter par notre gouvernement ?
Le cas de
censure le plus célèbre et qui a fait les manchettes dans notre histoire c'est
de mémoire l'interdiction sous le gouvernement de Maurice Duplessis ,par le
Bureau de la censure de l'époque l'interdiction du film français les Enfants
du Paradis de Marcel Carné, d'après un scénario de Jacques Prévert. Celles et
ceux qui s'intéressent à la question de la censure au Québec peuvent consulter
avec profit l'excellent Dictionnaire de la censure au Québec de Pierre
Hébert, Kenneth Landry et Yves Lever publié chez Fides en 2006. En ce qui
concerne le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec c'est sa
troisième intervention à propos d'une œuvre de fiction. Il avait fait des
interventions concernant le film d'Yan England 1 :54 en 2016
et sur la série Reasons Why en 2017.
Pourquoi interdire un livre ?
Les motifs de
l'interdiction de ce livre par les autorités publiques québécoises sont pour le
moins scabreux. Il est vrai que son auteur s'est lui-même suicidé et que ce
roman jeunesse a été publié à titre d'œuvre posthume. Cela est-il suffisant
pour justifier l'interdiction d'un livre dans une société comme la nôtre ?
Poser la question c'est y répondre.
Le contenu de
ce livre constitue-t-il une invitation au suicide ? Je ne peux vous le dire
avec certitude, car je n'ai pas lu ce livre. Je me fie cependant aux
commentaires de nombreux internautes sur les réseaux sociaux et cela ne me
semble pas une avenue qui expliquera la décision du ministère. On peut
comprendre la sensibilité des autorités de la santé publique à la question du
suicide chez les jeunes. Après tout, c'est un drame terrible qui frappe de trop
nombreuses fois des familles. Néanmoins, il faut exercer son jugement et rien
si ce n'est des élucubrations de bureaucrates ne semble justifier une telle
interdiction et l'usage de la censure. Il est vrai que depuis la pandémie, les autorités
publiques ont été envahies par un sentiment d'omnipuissance qui fait en sorte
que l'on ait très peu de considérations pour les droits et les libertés des
gens. Avec l'émergence en force dans notre société de la culture woke
américaine, cela créé un contexte favorable à des errements comme celui que je
décris dans cette chronique. Cela doit cependant être dénoncé avec force et
vigueur. La censure n'a pas sa place dans notre société.
Censurer la littérature, un non-sens
Il n'y a pas de sens à censurer
la littérature. Dans les derniers mois, j'ai lu plusieurs romans qui pour une
raison ou une autre pourraient faire l'objet de censure de la part des
autorités de la santé publique. Dans une œuvre qui deviendra magistrale, le
romancier français Éric-Emmanuel Schmitt, dans La traversée des temps
qui comptera huit tomes, trois ont été publés jusqu'à présent, raconte
l'histoire de l'humanité. La
Traversée des temps est un cycle
romanesque. Selon son auteur, l'objectif de cette œuvre est de « raconter l'histoire de l'humanité sous une forme purement
romanesque, entrer dans l'histoire par des histoires. » Des personnages
immortels traversent 8 000 ans d'histoire des civilisations, en commençant
au moment du déluge. Imaginez cette fresque où des animaux tous aussi
effrayants les uns que les autres dévorent des humains, où des Dieux vengeurs
s'acharnent sur les humains, où des humains commettent des crimes abominables,
où des tyrans relèguent les femmes au rang d'esclaves sexuelles, où des
meurtres sont commis avec de nombreux outrages. Doit-on interdire cette série
de romans au Québec ?
Pensons plus près de chez nous à l'œuvre de David
Goudreault où dans sa trilogie La bête à sa mère un adolescent séparé de
sa mère suicidaire commet les crimes les plus ignobles. La direction de la
santé publique devrait-elle interdire cette œuvre aussi et surtout de demander
aux écoles de ne plus recevoir David Goudreault comme conférencier ?
On voit bien le ridicule de la position de la
Direction de la santé publique dans le cas du roman posthume de François Blais.
Je sais que les vacances des fêtes ont fait perdre le fil de l'actualité à
plusieurs, mais je suis étonné que ce fait divers ne suscite pas plus
d'indignation. La censure c'est inacceptable. Le premier ministre Legault
devrait recommander la lecture de ce livre pour faire contrepoids à la bêtise
de sa bureaucratie, le ministre Christian Dubé devrait réagir. Surtout, le Dr Boileau
devrait demander à sa machine de faire marche arrière. Censurer un livre est un
fait inacceptable dans notre société démocratique.
Nous ne pouvons tolérer
dans une société libre et démocratique que l'État se permette de jouer aux
censeurs selon des principes qui ne sont connus que de ce dernier. Un roman,
une œuvre de fiction est créée pour laisser libre cours à l'imagination de
celles et ceux qui la partagent. Nous devons faire confiance à l'intelligence
et à l'esprit critique des gens même s'ils sont jeunes. Si on juge bon
d'interdire un livre parce que son auteur s'est suicidé, nous interdirons quoi
demain ? Et
voilà l'histoire du scandale d'un livre...