En janvier et février 2022, Ottawa est une ville occupée par
le convoi de la liberté. Ce mouvement d'humeur d'une partie des Canadiennes et
des Canadiens n'a pas été sans conséquence dans le traumatisme vécu par la
pandémie de la COVID-19. Ces derniers jours, le juge Rouleau qui présidait une
commission d'enquête chargée de faire la lumière sur l'invocation de la Loi des
mesures d'urgence par le Gouvernement du Canada a déposé son rapport. Comme le
reste de cette crise de la pandémie, les jugements portés sur les événements
sont dans l'ombre ou le clair-obscur. Il n'est pas facile de se faire une tête
sur ce sujet pour un citoyen raisonnable et informé. Ce qui demeure cependant
toujours à l'avant-plan ce sont les passions suscitées par ces sujets. C'est
aussi les discours irresponsables de certains politiciens qui cherchent à
instrumentaliser cette terrible crise à des fins politiques. Dans ces jeux
politiques, tous les politiciens ont donné. Néanmoins, certains se distinguent
par leur irresponsabilité et à ce panthéon le chef du Parti conservateur du
Canada, Pierre Poilievre remporte la palme de façon incontestable. Réflexions
sur un temps trouble de notre histoire collective et sur la situation politique
actuelle.
Le
rapport Rouleau
Cela était attendu. Après de longues et ennuyeuses audiences,
le juge Paul Rouleau a rendu son rapport qui compte plus de 2000 pages.
Sans surprises, il conclut que le gouvernement de Justin Trudeau était dans la
légitimité lorsqu'il a invoqué la Loi des mesures d'urgence en février 2022.
Cette loi donnait au gouvernement des pouvoirs extraordinaires pour rétablir l'ordre.
Concrètement, la déclaration de l'état d'urgence accordait des pouvoirs extraordinaires aux gouvernements, à
la police et aux institutions financières pour limiter les droits des
manifestants à la liberté de réunion, geler les comptes bancaires et obliger
les entreprises privées à collaborer avec les autorités, le tout dans le but de
mettre un terme aux manifestations. Pour le juge Rouleau, l'invocation de cette
loi par le gouvernement, bien que légitime, traduisait l'échec du fédéralisme
et l'incapacité des gouvernements et des corps policiers à travailler de
concert pour résoudre la crise qui s'est incrustée dans le centre-ville
d'Ottawa au grand dam de ses citoyennes et de ses citoyens qui ont été pris en
otage par une mouvance de gens en colère contre les mesures sanitaires et
contre l'ordre constitutionnel canadien. Il n'y a pas à dire, la pandémie de la
COVID-19 a fait beaucoup de ravages dans notre système de santé, mais il a
aussi fragilisé nos institutions démocratiques. Dans des situations pareilles,
nous aurions eu besoin que des femmes et des hommes d'État se lèvent, mais ce
ne fut malheureusement pas le cas. Le bilan de la pandémie est encore à faire
quoi que l'on en dise notamment en ce qui concerne le comportement et les
attitudes de la classe politique canadienne et québécoise.
La perte de légitimité et l'indémocratie
À la même époque l'an dernier, ma
chronique du 16 février portait sur la crise à Ottawa. J'y dénonçais la
montée des extrêmes : « On ne
pourrait trouver de meilleures métaphores pour essayer de comprendre les
angoisses et le ras-le-bol de milliers de Canadiennes et de Canadiens pris en
otage par des camions notamment depuis plus de deux semaines dans la ville d'Ottawa.
Encore aujourd'hui, les autorités peinent à rétablir l'ordre contre cette
colère organisée en manifestation et en siège à l'encontre des mesures
sanitaires et les mesures mises en place par les gouvernements pour combattre
la pandémie de la COVID-19. Cela met la table à une réflexion sur l'état des
lieux démocratiques au Canada. »
Cette réflexion faisait écho à la
volonté des gouvernements des provinces et de l'État fédéral à faire de leur
mieux pour enrayer cette pandémie. Néanmoins, cela n'était pas une tâche facile.
Permettez-moi de rappeler mon commentaire d'alors : « Ce n'est pas la
pandémie qui est responsable de l'état actuel des choses. La pandémie est
plutôt un révélateur d'une crise des consciences plus profonde. Je l'ai écrit
souvent dans cette chronique, nous sommes animés d'un individualisme sans
précédent, nous ne voulons plus que du pain et des jeux et nous avons perdu,
quoi qu'en disent nos élus, le sens de la solidarité. Devant un danger réel
comme la pandémie, nous avons peine à nous rassembler pour faire front commun
même s'il faut le reconnaître, la société québécoise fait figure de modèle dans
ce portrait sombre de l'humanité au 21e siècle. Nous avons
perdu foi en nos institutions et en nos élus. Le terrain est fertile aux
démagogues, aux populistes de tout acabit. Les outils d'information nouveaux
permettant de s'exprimer comme sont les réseaux sociaux libèrent la parole et
la haine se distille à coup de tweet et de post. Pas de garde-fou
médiatique pour calmer le jeu. La haine et la colère se répandent et s'insinuent
dans nos âmes et nos consciences. Si une telle chose est devenue possible ce n'est
pas seulement parce que nous sommes fragiles aux mensonges et aux manipulations,
mais parce que nous avons aussi de bonnes raisons de nous méfier de ceux qui
nous gouvernent, qui nous ont tant promis et qui nous ont si souvent déçus. La
démocratie est en crise. La pandémie ne fait que nous révéler ce que nous
sommes. »
Le discours
politique divisif
J'ai aussi abordé dans une autre
chronique, le 12 janvier 2022, le danger d'un certain discours politique
qui opposait le Nous et le Eux : « Ce qui m'apparaît le plus déplorable et
le plus délétère à ce moment-ci c'est le discours politique de division et d'exclusion
que sont tentés d'adopter nos politiciens dans la crise actuelle. Le président
français Macron l'a brillamment illustré en déclarant qu'il voulait emmerder
les non-vaccinés. Opposer les vaccinés aux non-vaccinés est ce qu'il pourrait y
avoir de plus détestable et de dommageable pour nos démocraties et notre
vivre-ensemble. Certes, il est tentant de gagner des voix en se servant du
ras-le-bol des populations à l'égard de la pandémie pour le retourner contre
les non-vaccinés. Il faudrait décider ou la vaccination est obligatoire et le
gouvernement en prend les décisions conséquentes ou la vaccination est laissée
au libre-choix des individus et on cesse de les pointer du doigt comme la cause
de tous nos malheurs. Personnellement, je suis d'avis que les vaccins sont l'un
des outils contre la pandémie, mais ce n'est pas le seul et surtout ce n'est
pas garant d'une vie exempte du virus. »
Je m'inquiétais et je m'inquiète
toujours de l'émergence de discours politique opposant un Eux et un Nous. Ce
n'est pas le meilleur chemin pour tracer la voie du vivre ensemble, bien que la
politique par nature soit un exercice qui divise et qui vise à faire triompher un
discours sur celui de ses adversaires identifiés afin de prendre le pouvoir. À
ce jeu, le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre est le grand
champion et remporte la palme du démagogue en chef du Canada.
Poilievre, un discours clownesque
Le point de presse tenu par Poilievre vendredi après-midi dernier a été un moment de
surréalisme dans la politique canadienne. Convoqué pour faire le point sur le
rapport du juge Rouleau, Poilievre s'est plutôt lancé dans une attaque contre
Justin Trudeau. Tous les malheurs du monde étaient la faute de Justin Trudeau. Imaginez
les gens font appel à l'aide médicale à mourir parce qu'ils meurent de faim à
cause de Justin Trudeau. Les propos de Poilievre étaient insignifiants et
nettement exagérés. Poilievre a fait la démonstration de son manque d'envergure.
Il a perdu une belle occasion de nous expliquer pourquoi il avait appuyé le
siège d'Ottawa au détriment de la population qui vivait dans cette ville.
Poilievre est un politicien sans envergure, à l'esprit étroitement partisan et
qui a un discours clownesque. En fait, Pierre Poilievre n'est rien d'autre
qu'un clown bleu accro à la colère...