J'étais au
secondaire. On avait des cours de latin à cette époque. Des cours qu'on
trouvait donc inutiles! Apprendre une langue morte... Pas fort.
Surtout que nous
étions adolescents! Vous savez, cet âge béni où la connaissance nous frappe
d'un coup, faisant de nous des gens qui savent très bien ce qui sera bon pour
nous maintenant et pour les siècles et les siècles...
En tous
les cas, on savait très bien que ça ne servait à rien d'apprendre le latin.
« Pfffffff,
méchante perte de temps! » se disait-on, notre bravoure accotée sur celle
de l'autre qui accotait la sienne sur la nôtre! En groupe, notre opinion se
clarifie toujours! Surtout si le groupe parle d'une même voix, a la même
opinion.
Je vous
avoue une chose, tout cela étant. J'ai eu une illumination, en secondaire 2.
J'ai vu la lumière! Mais je n'en ai parlé à personne à cette époque. Le
jugement de mes pairs m'aurait mis KO. Et les jugements de mes amis, c'est
là-dessus que mon égo d'ado était accoté. La dernière affaire que je souhaitais
affaiblir, c'était cela!
Donc, je
sors de ce placard aujourd'hui...
J'étais à
la pharmacie Gilles Savard, sur la rue Galt Ouest (entre Cabana et Léonard). Je
me souviens bien du local. Hyper éclairé, trop climatisé et toujours cette
odeur de pharmacie. Une odeur agréable, comme aseptisée, fraîche. C'était bien
avant les pharmacies modernes où on fait un bout d'épicerie, achète des livres,
magasine une Wi, se procure un toutou, achète du lave-glace, pour finir par
oublier d'acheter l'acétaminophène dont on avait besoin.
Je passe
donc devant un étal où sont alignées des bouteilles de crème pour la peau. Pas
que j'en avais besoin, nenon. Pour dire vrai, je me serais probablement plus
intéressé au Clearasil qu'à autre chose. Mais bon. Là n'est pas le propos. De
la crème Noxzema. Vous connaissez la chose, sûrement. Au moment précis où mon
regard a croisé le pot, un rayon de lumière venu d'en haut l'a éclairée (me
semble, en tous les cas). Et mon esprit s'est ouvert. Le latin prenait tout son
sens. Nox, nuit. Zémus, décoction à partir de plantes. Donc, « crème
Noxzema » : soins de nuit pour la peau à base de plantes. Outch! Je
capote. Mais je réalise surtout que ça devient mon secret. Imaginez mes chums
du temps s'unir, tous accotés les uns sur les autres, pour me traiter de têteux
de prof... Plutôt mourir!
Toujours
est-il que, parallèlement à ces cours de latin, le même prof (Yves Lacaille)
nous donnait des cours d'histoire romaine. « Du pain et des jeux ».
C'est là que j'ai entendu la phrase de Juvenal, il me semble (je ne Googlerai
pas, ce n'est pas grave à ce stade-ci...).
J'ai vite
compris que la phrase était sarcastique. J'ai toujours vu Juvenal comme un
Daniel Lemire du temps. « Du pain et des jeux », dans ma tête,
c'était cette image déjà forte que, si tu donnes du pain et des jeux à ton
peuple, tu as la paix dans toutes tes actions. Le pain rassasie le corps. Les
jeux occupent l'esprit qui ne se soucie plus de ce qui se passe autour. Le
pouvoir politique a alors toute la latitude nécessaire pour opérer.
Je ne suis
plus ado. Et je réalise que du pain, on en a à nous rendre obèses. Des jeux, on
en a à nous occuper l'esprit plus qu'il ne faut pour ne rien voir autour de
nous.
Du pain et
des jeux, c'est cette façon de faire qui date d'av. J.-C. et qui tient encore
la route. Notre système de consommation nous a permis de nous rouler dans le
caramel à en faire du diabète. Tant que le caramel est assez sucré et dense, on
ne peut pas en sortir facilement.
C'est à
tout cela que je pensais cette semaine quand je nous regardais ne rien faire et
ne rien dire en lien avec les coupes budgétaires à Radio-Canada. Pendant qu'on
mange notre pain et qu'on se concentre sur nos jeux, le pays se remodèle. Au
nom de la responsabilité qu'a l'état de faire des économies.
Radio-Canada,
c'est une fenêtre sur la culture souvent boudée par tout ce qui est commercial.
C'est une suite de toutes sortes de reportages qui apportent une connaissance
propre à nous permettre de nous faire une opinion qui dépassera le niveau
d'analyse de Richard Martineau ou de Denis Lévesque. Dit autrement, la
connaissance évite le piège par lequel on se fie béatement sur l'opinion du
premier gueulard qu'on entend ou lit. Radio-Canada est un outil de cette
connaissance. Pas le seul, mais un outil crédible qu'on n'a pas les moyens de
perdre ou d'affaiblir. La valeur des choses n'entre pas toujours dans un
tableau Excel.
Sans
Radio-Canada, il n'y a pas de Commission Charbonneau. M. Charest a dû se
retrouver dans ses derniers retranchements pour accepter de la mettre en place.
C'est un dossier parmi des centaines.
Pas si
inutile, le latin et l'histoire des Romains, finalement.
Tout est
là : la connaissance procure une vision d'ensemble qui favorise le
développement de la pensée critique, de l'opinion.
C'est
précieux, à la fin...
Clin d'œil
de la semaine
Match de
hockey ou pas, chaque jour, on a trois ou quatre heures de reportages par jour
sur les séries éliminatoires. Le tout commandité par des chaînes de
restauration. Trop de pain, trop de jeux...