Notre quotidien se déroule rapidement.
Dans la force de l'âge, notre vie roule vite. En
vieillissant, même si on arrive à rouler moins vite, voilà que, comme un
ressort, notre vie se met à se dérouler plus rapidement.
On n'y échappe pas.
La région de Sherbrooke a été au cœur d'un phénomène prévisible
et attendu : une éclipse totale de Soleil. Il y a des années qu'on sait à
quelle heure ça se déroulera pour notre région. Si vous pensez que votre vie
est trop prévisible, imaginez le cycle des jours!
Une semaine plus tard, j'ai le goût de m'inspirer de Félix
Leclerc en disant : c'est grand, une éclipse totale, c'est plein de vie
dedans!
Quand je remets les choses en perspective, je constate que
bien des éléments de nos vies sont mis en lumière (!) par cet événement rare.
D'abord, la relative rareté. C'est pour nous que l'événement
est rare, par pour le système solaire! L'humain des années 2020 peut espérer
vivre près de cent ans. C'est long de notre point de vue, mais c'est un clin
d'œil imperceptible dans le vaste espace-temps.
C'est surtout fou de constater à quel point l'éclipse met en
lumière ce qu'on est. Comme humain. Comme société.
La gestion qu'on a faite ou qu'on n'a pas faite, c'est
selon, de l'événement dans le cadre scolaire et préscolaire. Si certaines
écoles ont voulu en faire une activité scientifique et ludique, la plupart des
autres ont fermé leurs portes.
Qui a raison et qui a tort? Tout le monde et personne! C'est
là qu'on en est comme société. Les autorités scolaires craignent les
représailles des parents qui leur confient de plus en plus de ces
responsabilités qui, autrefois, étaient parentales. Les directions des écoles
tentent donc de se garder à l'abri. Dans l'esprit gestionnaire de la chose, on répond
à une grande question : est-ce que les risques d'un événement X qu'on organise
sont nuls? S'il y a un doute, on s'abstient.
C'est ce qui est arrivé dans bien des cas.
Je ne blâme personne. Ou nous toutes et tous, je devrais
dire. Bien sûr, on veut la sécurité pour nos enfants. Mais on veut surtout être
bien certains de pouvoir déverser sur un tiers la responsabilité de ce qui peut
arriver. Le milieu scolaire est terni par les interventions de parents pour qui
chaque petit accroc de la vie d'un enfant ou d'un adolescent est dû, forcément,
au laxisme de l'école. Du savoir au savoir-être, toute la responsabilité est
trop souvent déversée sur les professeurs et les directions d'école.
Le risque zéro n'existe pas, mais c'est pourtant ce qu'on
exige de la part de tout intervenant qui agit dans la vie de notre
descendance.
Conséquence ? Tout le monde se met en mode défensif.
La peur, sous plusieurs formes, a fait en sorte que
des élèves se sont retrouvés dans des murs, comme si on craignait que le soleil
crève des yeux même à travers des rideaux...
L'agacement est une autre caractéristique soulevée
par l'éclipse. « Chus écoeuré d'en entendre parler. Sacre-moé patience
avec une niaiserie qui dure juste 3 minutes! », me disait une
connaissance.
C'est vrai qu'on en a beaucoup parlé. Mais l'agacement vient
du fait que notre petit quotidien est un peu bousculé par ce qui devient
« des niaiseries ». C'est fou comme notre nombril est une attraction
en soi. C'est fou comme on est devenus intolérants face à ce qui brise notre
routine.
Et l'agacement, ça ne se vit pas en silence, chacun pour soi!
Ça se gueule à qui mieux mieux. Et ça s'exprime à voix très haute : "je
vais te le dire tellement fort et souvent que ça m'énarve, cette
éclipse, que je vais pèter ta balloune..."
Triste de faire grimper sa pression plutôt que d'apprécier
un moment heureux.
J'ai gardé l'émerveillement pour la fin.
Ce qui vient me réconcilier avec la vie (si j'ose dire!),
c'est cet émerveillement que je n'attendais pas à un tel niveau. Le sentiment
de voir notre environnement changer du tout au tout en quelques minutes.
Constater que le ciel prenait une teinte de bleu que je n'avais jamais vue
avant. Voir apparaître un coucher de soleil sur plus de 180 degrés et voir ce
même coucher de soleil se transformer en lever de soleil deux minutes après.
Le sentiment qui m'animait à ce moment est difficile à
décrire. Magnifique. Fascinant!
Entendre des gens crier leur émerveillement, applaudir, se
laisser transporter par du beau, profitant du fait que les astres étaient
vraiment alignés!
Un wow qui m'a fait me demander : si je ne m'émerveille
pas à ça, suis-je mort en dedans?
Sous-entendant ici la question qui suit : est-ce que
notre quotidien nous tue en dedans?
Clin d'œil de la semaine
Alors que le soleil et la lune exécutent la danse des jours
doucement, le temps, lui, s'éclipse...