Cette époque demeure étonnante. La culpabilité envers un
passé souvent méconnu ne cesse de nous dicter nos comportements présents.
Ignares de l'histoire, nous demeurons prisonniers d'une geôle d'ignorance qui
ne cesse de miner notre capacité d'agir aujourd'hui. C'est la réflexion qui
m'est venue cette dernière semaine alors que nos consciences sont obscurcies
par des certitudes qui refoulent notre passé et nous empêche d'en voir des
traces dans notre avenir. Ainsi, en est-il de ces interminables jérémiades sur
les questions de laïcité, de la place des religions et du rôle de l'Église
catholique romaine dans ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Non,
nous n'avons pas à avoir honte de notre passé, mais nous devons néanmoins en
tirer des enseignements utiles pour l'avenir. Réflexions à partir d'un tweet
pascal du premier ministre du Québec, François Legault sur notre passé
religieux et la solidarité toute québécoise.
Le tweet en question
Lundi de pâques, François Legault retweetait la chronique du
sociologue conservateur de droite Mathieu Bock-Côté qui en ce weekend pascal cherchait
à faire l'éloge de notre vieux fond catholique qui serait responsable, selon
Bock-Côté, de notre proverbial sens de la solidarité qui se distinguerait en
Amérique des autres communautés. Monsieur Legault a plutôt mal choisi son
moment, son tweet venait clore une semaine où son gouvernement interdisait des
locaux de prières dans nos écoles visant une fois de plus nos compatriotes de
confession musulmane. Alors que souvent on accuse son gouvernement de catho-laïcité,
monsieur Legault n'aurait pas pu choisir de pire moment pour donner de l'eau au
moulin de ses détracteurs. Cela ne prouve qu'une chose, c'est que malgré nos
prétentions à la laïcisation de la société québécoise, jamais la religion n'a
occupé autant de places dans l'espace public. Faut-il s'en étonner dans un pays
où notre constitution reconnaît Dieu ?
Je ne veux pas débattre ici de la question des croyances
même si personnellement je ne crois pas à un autre Dieu que celui de notre
propre humanité. Je crois cependant qu'il est important pour se faire une tête
dans ces débats sans queue ni tête d'éclaircir les termes du débat pour savoir
de quoi l'on parle au juste.
Les termes d'un faux débat
Monsieur
Legault a repris dans son tweet une idée puisée dans la chronique de Mathieu
Bock-Côté à savoir que : « Le catholicisme a aussi engendré chez nous une
culture de la solidarité qui nous distingue à l'échelle continentale. »
Outre le
fait que nous sommes plutôt en accord avec la professeure des religions de
l'Université de Montréal, Solange Lefebvre qui mentionne que « la religion
n'est pas un faire-valoir d'une unité nationale ou d'une identité », il importe
aussi de relever que la société québécoise n'est pas une société plus solidaire
que d'autres. Je ne sais d'où l'on peut tirer cette prétention que le Québec est
un endroit où nous vivons plus intensément la solidarité qu'ailleurs. De
nombreux faits démentent cette affirmation bien que des apparences puissent le
laisser croire. Les apparences en question sont l'omniprésence de l'État.
Il est vrai que le Québec se distingue de maintes façons à
l'échelle du continent nord-américain, mais pas en matière de solidarité
sociale. À témoin, les mouvements coopératifs dans l'Ouest canadien d'où est
issu l'ancêtre du CCF, le NPD. Les mouvements progressistes et de gauche d'où
émanent souvent la solidarité étaient bien souvent chez nous animés par des
juifs donc pas des catholiques. Par ailleurs, si le catholicisme rimait avec
solidarité, l'Amérique latine ne serait pas ce qu'elle est devenue, non ?
Je crois que monsieur Legault faisait plutôt allusion à la
solidarité nationale. Cette solidarité qui incarnée par l'Église catholique
chez nous s'est faite gardienne de la foi, de la langue française. Cette
solidarité nationale qui fut le pilier de notre idéologie de survivance. Mais
cette Église ne fut pas sans tache. Sans rappeler toutes les horreurs qu'on lui
rattache à notre époque, il faut bien mentionner que celle-ci n'était pas
uniquement peuplée de progressistes comme Mgr Charbonneau ou le père
Georges-Henri Lévesque. Il y avait une large part de conservateurs
réactionnaires qui ont fait un enfer de la vie de nombreuses générations de
Québécois et de Québécoises. Ce n'est pas pour rien que nous avons eu Les
Cyniques et que nous avons jeté dehors de nos vies cette Église.
Il faut
aussi rappeler que la lutte des Canadiens français du Québec pour s'affranchir
du colonialisme britannique incarné pendant longtemps par le Canada et son régime
constitutionnel ne fut pas le fait unique des catholiques, mais d'une
génération d'hommes et de femmes déterminée à en finir avec la discrimination
systémique des Canadiens français à l'échelle nationale. Pour vaincre ce fléau,
toujours présent encore aujourd'hui, l'État québécois fut l'arme de
prédilection retenue. C'est ce qui a permis à la majorité francophone du Québec
de s'affranchir de la tutelle britannique et d'améliorer considérablement les
conditions de vie d'une majorité d'entre nous. Ce fut moins une question de
solidarité qu'une question de survie qui fut à l'origine de notre « révolution
tranquille ». Notre caractère catholique a peu à y avoir n'en déplaise à
messieurs Legault et Bock-Côté.
Dans ce
même contexte, il est aussi vrai qu'après la défaite de nos patriotes, nous
nous sommes réfugiés sous les jupons de notre Église pour assurer notre
survivance en tant que peuple nation. Ce qui fait que nous pouvons parler au
Québec et, aussi en Acadie, du concept d'Église nation. Ce qui est vrai c'est
que l'Église catholique romaine nous a servi de refuge et a été l'un des outils
essentiels de la survie de notre langue, notre foi et notre culture, mais cela
n'a pas fait pour autant de nous un lieu culte de la solidarité humaine.
Le passé refoulé
Aujourd'hui,
les termes du débat sont fort différents. La société québécoise est pleinement
intégrée au monde occidental dans lequel nous vivons. Nous vivons au rythme de l'American
way of life et nous sommes plus que jamais perméables aux influences de la
société américaine. Nous en avons pour preuve ce débat surréaliste mené chez
nous envers les drag-queens qui nous vient tout droit
des États-Unis d'Amérique. Il en va de même avec tous ces concepts importés des
universités américaines sur les théories du genre, du colonialisme. Les
fondements de la pensée woke au Québec sont originaires des États-Unis sous
l'influence de penseurs et philosophes français comme Jacques Derrida et Michel
Foucault. Nous devons être fiers de nos appartenances et de nos origines sans
pour autant faire nôtre le discours nationaliste conservateur faisant du Québec
un peuple élu et, comme le suggérait le Chanoine Lionel Groulx, en manque d'un
leader fort.
Le Québec constitue
une singularité en Amérique du Nord. Notre parcours, notre histoire a fait de
nous des gens qui ont une coloration différente, mais cela ne se traduit pas
par des qualités supérieures. Nous avons les qualités et les défauts de notre
contexte. Dans celui-ci, l'Église catholique romaine et ses principaux acteurs
sont une partie de nous. Il n'y a pas que du Blanc ou du Noir, mais une
multitude de teintes de gris pour comprendre ce que nous sommes devenus. Ainsi,
il n'y a pas eu de grande noirceur, ni de Révolution tranquille au sens propre.
Il y a eu des transformations structurelles profondes et le monde dans lequel
nous évoluons a lui aussi connu de grands changements.
Il ne faut
pas avoir honte de notre passé. Il importe surtout de ne pas chercher à
réécrire l'histoire avec les codes sociaux à l'honneur aujourd'hui. Nous devons
interroger notre passé avec nos nouveaux questionnements et proposer de
nouvelles interprétations de ce qui a fait de nous ce que nous sommes devenus. Soit,
nous ne devons ni grandir nos souvenirs ni les transformer en conte de fées ou
en histoire d'horreur. Nous sommes ce que nous sommes et ce qui est advenu est
le résultat de nos débats et de nos rapports sociaux. Une chose est
certaine c'est que l'on peut croire en un Dieu ou non, cela n'a rien avoir avec
la grandeur ou la petitesse du peuple québécois. Ni peuple élu, ni exception grandiose,
le Québec est une communauté humaine qui a grandi avec de multiples influences.
Nous n'avons pas à voir peur de poser toutes les questions, mais surtout il ne
faut pas avoir honte du passé...