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La foi des uns, la hargne des autres

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 8 février 2023

Avoir la foi c'est selon l'apôtre Paul la ferme assurance des choses que l'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas. En fait, la foi est un principe d'action et de pouvoir. Cela nous permet de faire preuve d'espoir pour quelque chose que nous ne pouvons pas encore voir. Le Québec a été longtemps une terre de foi et d'espérance obligée par l'emprise de l'Église sur son destin. Dans un ras-le-bol largement partagé, le Québec a rejeté dans les années 1960 l'Église catholique comme institution et a déserté massivement les offices religieux. C'est la toile de fond d'une histoire de l'incompréhension entre le Canada anglais et le Québec sur la question de la laïcité de l'État. Réflexions libres autour d'un débat navrant.

La nomination de madame Elghawaby...

C'est ce qui fonde l'actuel débat sur les propos de madame Amira Elghawaby qui a été nommée par le gouvernement Trudeau comme porte-parole et représentante anti-islamophobie. Dans le mandat qui lui a été confié, cette dame qui a tenu des propos inacceptables envers la population du Québec et son gouvernement, doit voir à conseiller et à représenter le gouvernement Trudeau concernant les efforts à faire pour lutter contre l'islamophobie, le racisme systémique, la discrimination et l'intolérance religieuse. Elle doit aussi offrir son concours pour l'élaboration des politiques et des propositions législatives de programmes, de règlements inclusifs qui reflètent les réalités des musulmans au Canada. La question toute simple qui nous vient à l'esprit est la suivante : comment une personne qui a d'immenses préjugés contre une population comme celle que représentent les Canadiens français au Canada peut collaborer à faire disparaître les préjugés et la discrimination ? Comment justifier l'importance de nommer quelqu'un pour une confession parmi toutes les religions au Canada alors que le pays en compte plusieurs centaines issues du catholicisme, du protestantisme, de l'islam, du judaïsme, du bouddhisme, du sikhisme, de l'hindouisme et de la mouvance orthodoxe ? On ne parle même pas des religions spirituelles des peuples autochtones, premiers habitants de ce pays. Pourquoi alors ce tollé contre la nomination de madame Elghawaby ? Malgré ses excuses, cela ne peut faire oublier que ce qu'elle a écrit, elle le pensait et probablement le pense encore.

En fait, ce n'est ni sa religion ni son genre, contrairement à ce qu'a affirmé la chroniqueuse du journal Le Devoir Émilie Nicolas, qui pose problème. Ce sont les propos méprisants et inacceptables qu'elle a tenus à l'endroit du Québec et de son gouvernement en marge de sa lutte contre la Loi 21 sur la laïcité qui posent problème. Parlons-en de cette loi si vous le voulez bien ?

La Loi 21

On se rappelle que la Loi 21 est une loi québécoise adoptée le 16 juin 2019 par le Parlement du Québec. Elle affirme que l'État du Québec est laïque et interdit le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité coercitive, ainsi qu'aux enseignants du réseau scolaire public, tout en reconnaissant le droit acquis des personnes avant l'adoption de cette loi. Comme la liberté de religion est inscrite dans la Charte des droits et libertés tant québécoise que canadienne, le gouvernement s'est servi de la clause dérogatoire pour imposer son point de vue aux tribunaux en matière de laïcité. Ce qui a amené de nombreux militants à attaquer la position du gouvernement comme étant de la discrimination envers les femmes qui portent le voile. D'où la détestation de cette loi auprès de certains musulmans, mais pas de tous.

Je suis un blanc privilégié et qui parle français diront les défenseurs de la religion woke. J'assume. N'empêche que je suis opposé à la Loi 21 que j'ai souvent nommée dans cette chronique la querelle des bouts de chiffon. Je suis profondément attaché à l'idée que la religion n'a rien à faire dans les affaires publiques et que l'on doit privilégier l'absence de la religion dans la sphère publique. Je suis à cet égard perplexe devant la place prépondérante que l'on accorde au catholicisme et à son pape dans nos médias. Je suis aussi contre la présence de crucifix dans les lieux de débats comme l'Assemblée nationale ou les assemblées de conseils municipaux. Néanmoins, je suis loin d'être persuadé que la présence de femme portant un voile dans les classes de nos enfants est un problème d'État. Je dois reconnaître cependant que ce qui brouille tout c'est l'instrumentalisation de symboles religieux par des radicaux qui veulent imposer leur religion dans l'espace public québécois. Ce qui explique l'adoption de la Loi 21. Néanmoins, je demeure peu enthousiaste à l'existence de cette loi. Cela étant dit, je crois cependant que ce n'est pas à ces censeurs ou à d'autres parlements que celui du Québec de décider de cette question. Le Québec a parfaitement le droit de vivre selon ses propres valeurs sans se faire insulter ou ostraciser par des bien-pensants de langue anglaise ou encore par des gens aveuglés par leur foi.

L'écrivain Amin Maalouf a écrit dans son roman Le périple de Baldasarre publié chez Grasset en 2000 que : « lorsque la foi devient haineuse, bénis soient ceux qui doutent. » L'écrivaine Virginia Woolf a pour sa part écrit que « Nulle passion n'est plus forte dans le cœur de l'homme que le désir de faire partager sa foi. » Le Québec a parfaitement le droit de ne pas se faire imposer la foi des autres chez lui alors qu'il a choisi de mettre à l'écart la sienne.

Madame Elghawaby et le Québec

N'en déplaise à monsieur Trudeau et à celles et ceux qui jettent leur fiel sur le Québec, les propos tenus par madame Amira Elghawaby sont inacceptables. Elle a le droit de penser ce qu'elle veut sur le Québec et de l'exprimer, mais elle ne peut pas exercer des responsabilités qui font qu'elle nous représente alors qu'elle a écrit qu'elle nous déteste. Lisez vous-même :

En 2021, en réaction à un article d'opinion d'un professeur de philosophie de l'Université de Toronto défendait la thèse selon laquelle les Canadiens français étaient, « le plus grand groupe à avoir été victimisé par le colonialisme britannique, subjugué et incorporé dans la confédération par la force », madame Alghawaby a écrit sur son fil twitter que cela la faisait vomir. Pour une conseillère de haut vol, reconnaître la réalité historique doit être un préalable non ?

Toujours en 2021, dans un texte paru sur le site de CTV News, Mme Elghawaby a établi un lien entre la Loi 21 et l'assassinat de quatre membres d'une famille du Pakistan à London, en Ontario. Est-ce là la preuve d'un bon jugement ? En quoi des gens assassinés en Ontario ont-ils rapport au choix démocratique de l'Assemblée nationale du Québec ? Ce sont des gens comme cela qui possèdent les qualités pour conseiller notre premier ministre ?

En 2019, faisant suite à un sondage qu'elle commentait, madame Alghawaby écrit dans un article d'opinion paru dans le Ottawa Citizen. Amira Elghawaby et le président du Réseau canadien anti-haine, Bernie Farber, de confession juive, déclaraient que « malheureusement, la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman. »

Enfin, en 2013, dans la foulée du débat sur la Charte des valeurs proposée par le gouvernement péquiste de Pauline Marois, madame Alghawaby cite le philosophe canadien John Ralston Saul qui expliquait « que les "civilisations bourgeoises" des "sociétés occidentales" ont "progressivement glissé vers les peurs paranoïaques du XXe siècle." Peur de quoi ? La peur de la perte de la pureté - du sang pur, de la race pure, des traits et des valeurs et des liens nationaux purs et affirme que l'écrivain pouvait "aussi bien écrire au sujet du Québec d'aujourd'hui." »

La cour est pleine. L'ensemble de cette mise en contexte démontre bien que madame Amira Alghawaby ne peut pas bâtir des ponts avec la population et le gouvernement du Québec, à tout le moins, pour vaincre l'islamophobie chez nous. Au contraire, sa présence ne peut qu'attiser davantage la détestation injustifiée envers la religion musulmane. Excuse ou pas, le mal est fait. Le mépris affiché par madame Alghawaby envers le Québec et sa population ne peut qu'illustrer que la foi des uns ne peut qu'attiser la hargne des autres...


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