Avoir la foi c'est selon l'apôtre Paul la ferme assurance
des choses que l'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas. En
fait, la foi est un principe d'action et de pouvoir. Cela nous permet de faire preuve
d'espoir pour quelque chose que nous ne pouvons pas encore voir. Le Québec a
été longtemps une terre de foi et d'espérance obligée par l'emprise de l'Église
sur son destin. Dans un ras-le-bol largement partagé, le Québec a rejeté dans
les années 1960 l'Église catholique comme institution et a déserté
massivement les offices religieux. C'est la toile de fond d'une histoire de
l'incompréhension entre le Canada anglais et le Québec sur la question de la
laïcité de l'État. Réflexions libres autour d'un débat navrant.
La
nomination de madame Elghawaby...
C'est ce qui fonde l'actuel débat sur les propos de madame
Amira Elghawaby qui a été nommée par le gouvernement Trudeau comme porte-parole
et représentante anti-islamophobie. Dans le mandat qui lui a été confié, cette
dame qui a tenu des propos inacceptables envers la population du Québec et son
gouvernement, doit voir à conseiller et à représenter le gouvernement Trudeau concernant
les efforts à faire pour lutter contre l'islamophobie, le racisme systémique,
la discrimination et l'intolérance religieuse. Elle doit aussi offrir son
concours pour l'élaboration des politiques et des propositions législatives de
programmes, de règlements inclusifs qui reflètent les réalités des musulmans au
Canada. La question toute simple qui nous vient à l'esprit est la
suivante : comment une personne qui a d'immenses préjugés contre une
population comme celle que représentent les Canadiens français au Canada peut
collaborer à faire disparaître les préjugés et la discrimination ? Comment
justifier l'importance de nommer quelqu'un pour une confession parmi toutes les
religions au Canada alors que le pays en compte plusieurs centaines issues du
catholicisme, du protestantisme, de l'islam, du judaïsme, du bouddhisme, du
sikhisme, de l'hindouisme et de la mouvance orthodoxe ? On ne parle même pas
des religions spirituelles des peuples autochtones, premiers habitants de ce
pays. Pourquoi alors ce tollé contre la nomination de madame Elghawaby ? Malgré
ses excuses, cela ne peut faire oublier que ce qu'elle a écrit, elle le pensait
et probablement le pense encore.
En fait, ce n'est ni sa religion ni son genre, contrairement
à ce qu'a affirmé la chroniqueuse du journal Le Devoir Émilie
Nicolas, qui pose problème. Ce sont les propos méprisants et inacceptables
qu'elle a tenus à l'endroit du Québec et de son gouvernement en marge de sa
lutte contre la Loi 21 sur la laïcité qui posent problème. Parlons-en de
cette loi si vous le voulez bien ?
La Loi 21
On se rappelle que la Loi 21 est une loi québécoise
adoptée le 16 juin 2019 par le Parlement du Québec. Elle affirme que
l'État du Québec est laïque et interdit le port de signes religieux aux
employés de l'État en position d'autorité coercitive, ainsi qu'aux enseignants
du réseau scolaire public, tout en reconnaissant le droit acquis des personnes
avant l'adoption de cette loi. Comme la liberté de religion est inscrite dans
la Charte des droits et libertés tant québécoise que canadienne, le
gouvernement s'est servi de la clause dérogatoire pour imposer son point de vue
aux tribunaux en matière de laïcité. Ce qui a amené de nombreux militants à
attaquer la position du gouvernement comme étant de la discrimination envers
les femmes qui portent le voile. D'où la détestation de cette loi auprès de
certains musulmans, mais pas de tous.
Je suis un blanc privilégié et qui parle français diront les
défenseurs de la religion woke. J'assume. N'empêche que je suis opposé à
la Loi 21 que j'ai souvent nommée dans cette chronique la querelle
des bouts de chiffon. Je suis profondément attaché à l'idée que la religion n'a
rien à faire dans les affaires publiques et que l'on doit privilégier l'absence
de la religion dans la sphère publique. Je suis à cet égard perplexe devant la
place prépondérante que l'on accorde au catholicisme et à son pape dans nos
médias. Je suis aussi contre la présence de crucifix dans les lieux de débats
comme l'Assemblée nationale ou les assemblées de conseils municipaux.
Néanmoins, je suis loin d'être persuadé que la présence de femme portant un
voile dans les classes de nos enfants est un problème d'État. Je dois
reconnaître cependant que ce qui brouille tout c'est l'instrumentalisation de
symboles religieux par des radicaux qui veulent imposer leur religion dans
l'espace public québécois. Ce qui explique l'adoption de la Loi 21.
Néanmoins, je demeure peu enthousiaste à l'existence de cette loi. Cela étant
dit, je crois cependant que ce n'est pas à ces censeurs ou à d'autres
parlements que celui du Québec de décider de cette question. Le Québec a
parfaitement le droit de vivre selon ses propres valeurs sans se faire insulter
ou ostraciser par des bien-pensants de langue anglaise ou encore par des gens
aveuglés par leur foi.
L'écrivain Amin Maalouf a écrit dans son roman Le périple
de Baldasarre publié chez Grasset en 2000 que : « lorsque la foi
devient haineuse, bénis soient ceux qui doutent. » L'écrivaine Virginia Woolf a
pour sa part écrit que « Nulle passion n'est plus forte dans le cœur de l'homme
que le désir de faire partager sa foi. » Le Québec a parfaitement le droit de
ne pas se faire imposer la foi des autres chez lui alors qu'il a choisi de
mettre à l'écart la sienne.
Madame
Elghawaby et le Québec
N'en déplaise à monsieur Trudeau et à celles et ceux qui
jettent leur fiel sur le Québec, les propos tenus par madame Amira Elghawaby
sont inacceptables. Elle a le droit de penser ce qu'elle veut sur le Québec et
de l'exprimer, mais elle ne peut pas exercer des responsabilités qui font
qu'elle nous représente alors qu'elle a écrit qu'elle nous déteste. Lisez
vous-même :
En 2021, en réaction à un article d'opinion d'un professeur de philosophie de l'Université de Toronto défendait la thèse
selon laquelle les Canadiens français étaient, « le plus grand groupe à avoir
été victimisé par le colonialisme britannique, subjugué et incorporé dans la
confédération par la force », madame Alghawaby a écrit sur son fil twitter que
cela la faisait vomir. Pour une conseillère de haut vol, reconnaître la réalité
historique doit être un préalable non ?
Toujours en 2021, dans un texte
paru sur le site de CTV News, Mme Elghawaby a établi un lien
entre la Loi 21 et l'assassinat de quatre membres d'une famille du
Pakistan à London, en Ontario. Est-ce là la preuve d'un bon jugement ? En quoi
des gens assassinés en Ontario ont-ils rapport au choix démocratique de
l'Assemblée nationale du Québec ? Ce sont des gens comme cela qui possèdent les
qualités pour conseiller notre premier ministre ?
En 2019, faisant suite à un sondage
qu'elle commentait, madame Alghawaby écrit dans un article d'opinion paru dans
le Ottawa Citizen. Amira Elghawaby et le président du
Réseau canadien anti-haine, Bernie Farber, de confession juive, déclaraient que
« malheureusement, la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la
primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman. »
Enfin,
en 2013, dans la foulée du débat sur la Charte des valeurs proposée par le
gouvernement péquiste de Pauline Marois, madame Alghawaby cite le philosophe
canadien John Ralston Saul qui expliquait « que les "civilisations bourgeoises" des "sociétés
occidentales" ont "progressivement glissé vers les peurs paranoïaques du XXe siècle."
Peur de quoi ? La peur de la perte de la pureté - du sang pur, de la race pure,
des traits et des valeurs et des liens nationaux purs et affirme que l'écrivain
pouvait "aussi bien écrire au sujet du Québec d'aujourd'hui." »
La cour est pleine. L'ensemble de
cette mise en contexte démontre bien que madame Amira Alghawaby ne peut pas
bâtir des ponts avec la population et le gouvernement du Québec, à tout le
moins, pour vaincre l'islamophobie chez nous. Au contraire, sa présence ne peut
qu'attiser davantage la détestation injustifiée envers la religion musulmane. Excuse
ou pas, le mal est fait. Le mépris affiché par madame Alghawaby envers le
Québec et sa population ne peut qu'illustrer que la foi des uns ne peut
qu'attiser la hargne des autres...