Nous vivons à une époque où nous chassons allégrement les
vendeurs du temple pour faire place à de nouveaux. Nous affirmons
collectivement notre haine de l'idolâtrie alors que nous nous créons chaque
jour qui passe de nouvelles idoles. Plus que jamais, nous vivons dans une
époque faite de symboles où l'on cherche à faire table rase du passé, mais,
pardonnez-moi le cliché, ce n'est pas sans jeter le bébé avec l'eau du bain.
Parmi les choses que nous rejetons, il y a le système de
justice. Sous prétexte que celui-ci a fait preuve de défaillance notamment à
l'égard des crimes commis à l'endroit des femmes, nous ne croyons plus qu'à une
justice qui est en accord avec nos convictions et nos opinions du moment. On
voit bien ce que donne une telle attitude chez notre voisin du sud où la haine
et la polarisation autour d'une figure comme celle de Donald Trump donnent lieu
à de curieuses arabesques de la justice américaine.
Nous le vivons aussi chez nous, dans une moindre mesure,
avec les opinions et les commentaires exprimés à la suite du jugement du
tribunal condamnant l'État québécois à verser 385 000 $ à son ex-premier
ministre Jean Charest en dommages et intérêts pour avoir failli dans sa responsabilité
de protéger sa vie privée en marge d'une enquête de police sur ses actions
présumées en matière de gestion des contrats publics et de financement des
partis politiques. Les enquêtes multiples et intensives n'ont rien donné et
elles ont été abandonnées. Malgré cela, il se trouve encore de nombreuses
personnes qui veulent croire que Jean Charest est coupable de quelque chose,
mais que nous avons été incapables de prouver. Commentaires libres sur une
histoire d'acharnement envers Jean Charest.
Jean Charest, l'homme à abattre
J'ai souvent écrit sur Jean Charest. Malgré des désaccords
importants que j'ai pu avoir avec certaines de ses décisions, notamment en
2012, je n'ai jamais cessé de croire qu'il a été et est toujours le politicien
le plus talentueux de sa génération. Jean Charest, malgré qu'il ait connu sa
part de défaites, est un gagnant né et il s'est fait élire premier ministre du
Québec à trois reprises, ce qui est nettement plus que le bilan de plusieurs de
ses détracteurs notamment ceux que l'on retrouve au Parti québécois comme Paul St-Pierre
Plamondon ou Jean-François Lisée.
La hargne de certains envers Jean Charest est largement
attribuable à sa superbe. Il est un adversaire redoutable pour celles et ceux
qui n'ont de cesse à tout transformer pour faire jaillir l'idée de pays en
dépit de la tiédeur de la population du Québec envers cette idée. Le cas de
Jean Charest n'est pas unique. On retrouve la même envers l'ex-premier ministre
Pierre Elliott Trudeau et dans une moindre mesure à l'égard de son fils,
l'actuel premier ministre libéral Justin Trudeau. Que cela soit entendu, la
mouvance souverainiste aime détester ceux qui s'opposent à son projet et
n'hésite pas à démoniser l'adversaire. C'est ce procédé qui a donné naissance à
la fable du gouvernement libéral corrompu et au sifflement de l'air du parrain
par l'ex-député de Chauveau de l'ADQ à l'Assemblée nationale Gérard Deltell.
Malgré la commission Charbonneau, les enquêtes policières aussi nombreuses que
vaines, jamais il n'a été établi de liens probants entre le financement des
partis politiques et l'octroi des contrats publics au Québec. On a même brûlé
sur la place publique la réputation de l'ancien vérificateur général et
commissaire à la Commission Charbonneau, Renaud Lachance, pour avoir affirmé
cela. L'opinion publique conditionnée par un discours politique partisan
voulait la tête de coupables en haut lieu et la réalité en a décidé autrement. Big
deal !
Les faits sont têtus
Même si cela ne plaît pas aux
commentateurs politiques et aux journalistes d'enquête qui ont choisi les
libéraux de Jean Charest pour cible il y a longtemps, il n'existe aucune preuve
réelle d'un lien entre le financement des partis politiques et l'octroi des
contrats publics. Si la Commission Charbonneau n'a pu conclure à cette
hypothèse ainsi que de nombreuses années d'enquêtes policières, cela doit s'expliquer
par le fait que cela n'a pas existé. Il ne faut pas se méprendre, je ne dis pas
qu'il n'y a pas eu de financement illégal sur une base organisée, mais ce que
je crois c'est, qu'importe les prétentions de l'ex-argentier Marc Bibeau,
jamais un élu à l'Assemblée nationale, fût-il premier ministre ne peut octroyer
un contrat à une firme d'un ami. Dans notre système politique, ce sont les
sous-ministres qui doivent signer les documents officiels comme les contrats
avec des entreprises. Or, sous le gouvernement Charest de 2003 à 2012, il y a
eu de nombreux sous-ministres, plus d'une centaine, quelqu'un a-t-il déjà
entendu un ex-sous-ministre plaidé qu'il a été obligé d'octroyer un contrat à
une firme sous la pression d'un ministre ou du premier ministre ? C'est
probablement ce fait et la connaissance intime du système gouvernemental qui
expliquent le refus de l'ex-vérificateur général et commissaire à la commission
Charbonneau, Renaud Lachance, de signer le rapport de la juge Charbonneau qui
prétendait à l'existence d'un lien entre financement illégal et octroi de
contrat public.
Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas eu de
changements de culture au Parti libéral du Québec dans la foulée de l'arrivée
de Jean Charest comme chef en 1998. Comme l'a affirmé un jour l'ancien
président du PLQ et député d'Orford, Robert Benoit, l'arrivée de Jean Charest à
la tête du PLQ a été accompagnée d'un changement de culture. Le PLQ jadis un
parti d'idées est devenu un parti affairiste sans grandes visions, une machine
à ramasser de l'argent. Nous ne pouvons lui donner tort. C'est d'ailleurs, le
début du manque de connexion du PLQ avec le Québec francophone. Il ne faudrait
cependant pas en attribuer la faute qu'à Jean Charest. C'est Robert Bourassa
lui-même qui avait mis la table.
Les séquelles de Meech
Au fond, tout débute avec le rejet de Meech par le
Canada. Accord généreux envers le Québec qui reconnaissait son caractère
distinct et qui s'inscrivait dans une logique du Canada de communautés et de
peuples fondateurs plutôt que dans celle de Pierre Elliott Trudeau qui ne
croyait qu'en un grand Canada uni, bilingue qui se caractérisait par des êtres
de droits individuels et non des êtres en chair et en os.
Le rejet de l'accord du lac Meech par le Canada
anglais a provoqué une grande colère au Québec avec pour conséquence une
résurgence du nationalisme et l'affirmation de l'idée de la souveraineté. Même
le PLQ par sa commission politique a produit le Rapport Allaire qui était un
appel à une vaste décentralisation de l'État fédéral au profit des provinces.
Robert Bourassa a voulu calmer le jeu et contre toute attente est retourné
négocier une nouvelle entente celle connue sous le nom de Charlottetown qui a
été rejeté par référendum tant par le Québec que par le reste du Canada. C'est
ici que l'on doit situer le début de la désaffection des francophones pour les
libéraux.
Jean Charest n'a pas été un joueur mineur dans ces
événements. Tribun important lors du référendum perdu, il avait aussi présidé
une commission pour chercher à rapprocher les provinces récalcitrantes du
Nouveau-Brunswick, du Manitoba et de Terre-Neuve pour sauver Meech. Il n'y est
pas parvenu et Lucien Bouchard a quitté le PC pour fonder le Bloc Québécois.
Les séquelles de Meech se traduisent donc par la naissance de l'ADQ, du Bloc et
par l'arrivée de Jean Charest à la tête du PLQ. Le PLQ avait commencé à rompre
avec son identité des années 1960. Jean Charest a fini la job. Ce parti
jadis d'idées deviendra un parti affairistes dont la plus grande obsession sera
de s'emparer du pouvoir et de le conserver. Cela ne se termine pas bien comme
l'indiquent le résultat des dernières élections et l'appui des francophones à
ce parti dans les sondages d'opinion.
Jean
Charest mérite l'estime du Québec
En dépit des opinions ambiantes, des résultats de
sondage sur les meilleurs premiers ministres, Jean Charest mérite l'estime et
le respect du Québec. Il n'a commis aucun crime et il a fait advenir une
culture politique où le principe de parité homme-femme est devenu un incontournable
pour tout gouvernement. Il a contribué puissamment au rayonnement international
du Québec en s'appuyant sur la doctrine Gérin-Lajoie comme nul premier ministre
ne l'a fait. Il mérite des excuses et on doit le laisser en paix. Il faut
rompre avec cette insoutenable légèreté de l'opinion publique revancharde...