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L’horizon de nos attentes

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 2 août 2023

Le concept d'horizon d'attente prend sa principale source de la sociologie littéraire où Hans Robert Jauss en a fait la pierre d'assise de sa théorie de la réception en littérature. Cette expression a aussi souvent été utilisée par des philosophes s'inscrivant dans le courant phénoménologique parmi lesquels on retrouve Gadamer et Husserl. Pour rendre ça digeste, et en périphrasant disons que l'horizon d'attente est de prendre en compte le fait que la performance d'un acteur sera jugée non seulement en fonction de ses propres performances, mais aussi de la subjectivité et des expériences des récepteurs ou des spectateurs. Sur le plan politique, il est d'usage de dire qu'il faut baisser les attentes plutôt que de les augmenter si l'on veut en tirer le meilleur profit électoral. Le dernier remaniement ministériel de Justin Trudeau est-il un constat d'échec ou une tentative de renouvellement de nos horizons d'attente ? Commentons.

Le concept d'horizon d'attente et la politique

En mots simples, mon analyse politique de la performance d'un personnage politique doit tenir compte de l'expérience des électeurs ou des collectivités présente et passée pour comprendre les deux éléments constitutifs de la création de sens. L'effet produit par les discours et les attitudes du personnage politique sous analyse et la réception qui est déterminée par le ou les destinataires du discours ou des politiques. Cela nous sera révélé par une étude soignée des sondages et des mouvements de l'opinion publique. De cette manière, on comprend aisément que les horizons d'attentes sont constitués par une relation dynamique entre personnages politiques, ses discours et ses politiques avec la réception de ceux-ci par les électeurs et les électrices. Ensemble, cela constitue le procès de l'établissement des horizons d'attente d'une société. Un rapport entre divers horizons qui opèrent leur fusion et qui deviennent le discours dominant ou hégémonique d'un moment ou d'une époque.

Tout cela pour dire que lorsqu'en 2015, le Canada a élu Justin Trudeau comme premier ministre du Canada contre toute attente, ce dernier a tout fait pour augmenter les attentes envers son nouveau gouvernement. Rappelons-nous son obsession pour la transparence, son désir de réconcilier les Canadiens de toutes les régions et de toutes les conditions, ses voies ensoleillées et surtout son « Canada is back » sur la scène internationale. Après trois élections et huit années passées, Justin Trudeau et ses gouvernements ont subi l'épreuve du temps et on sent une certaine usure et un manque d'enthousiasme. Pire encore, on sent un flottement quant au leadership du premier ministre lui-même qui dans diverses crises a tardé à agir. C'est dans ce contexte qu'il faut prendre la mesure de son dernier remaniement ministériel annoncée mercredi dernier.

Le remaniement, un geste purement politique

L'annonce d'un important remaniement ministériel par un gouvernement est l'un des outils à la disposition d'un chef de gouvernement pour relancer son gouvernement dans l'appréciation de ses actions auprès de l'électorat. On le sait, le gouvernement de Justin Trudeau n'a pas brillé de tous ses feux depuis sa réélection post-pandémique. Aux prises avec une grave crise inflationniste et avec un déficit qui ne cesse de s'alourdir, le gouvernement a raté sa chance de fournir des services normaux aux Canadiennes et aux Canadiens. Nous n'avons qu'à penser à la crise des passeports, aux délais du traitement des demandes à nos services d'immigration ou encore aux délais interminables des programmes d'assurance-emploi. Il fallait en plus que le gouvernement Trudeau s'empêtre dans une crise de légitimité et des apparences de complicité avec une puissance étrangère comme la Chine dans la crise de l'influence chinoise sur nos processus démocratiques. Avec la venue d'un nouveau chef, Pierre Poilièvre aux propos percutants chez son principal adversaire, le parti conservateur, Justin Trudeau devait agir pour redresser sa barque avant la convocation aux urnes de la population canadienne. Ce geste restera des plus banal s'il n'est pas suivi de d'autres comme la prorogation de l'actuelle législature du parlement et par la lecture d'un nouveau discours du trône où des orientations claires serviront de boussoles à ce nouveau conseil des ministres. En ce sens, il faut voir dans ce remaniement ministériel une importante opération politique de réalignement du gouvernement en prévision de l'affrontement électoral d'ici 2025.

Faire du neuf avec du vieux

Au fonds, lorsque l'on prend le temps de bien observer, on peut facilement se convaincre que ce qu'a fait Justin Trudeau, et c'est souvent ce qu'il fait de mieux, c'est faire illusion. Au-delà des pertes et des gains pour les individus concernés, par exemple le déplacement de Marie-Claude Bibeau au Revenu est une véritable perte pour les agriculteurs de Compton-Stanstead, le comté de madame Bibeau, ou encore le déplacement de madame Anita Anand au Trésor pour cause de débordement d'enthousiasme et d'ambition au poste de cheffe, le remaniement ministériel annoncé par Justin Trudeau est une illusion de changement. Les principaux ténors du gouvernement Trudeau demeurent en place, madame Chrystia Freeland, aux Finances, madame Mélanie Joly aux Affaires étrangères, monsieur Steven Guilbeault à l'Environnement et monsieur Louis-Philippe Champagne à l'Industrie. Les orientations du gouvernement demeurent et les problèmes des Canadiens sont les mêmes. C'est ce qui m'amène à affirmer que Justin Trudeau a joué au grand illusionniste et a cherché à créer la perception qu'il nous donnait un nouveau gouvernement alors qu'il n'a fait que faire du neuf avec du vieux.

Justin Trudeau, des espoirs déçus

En fait, Justin Trudeau n'a pas démérité en tant que premier ministre du Canada. Il a fait beaucoup de bonnes choses pour le pays. Son gouvernement, malgré quelques ratés - les passeports, la crise chinoise, l'affaire Bernardo -,amplifiées par les médias et le sensationnalisme qui les caractérisent n'a pas fait si mal étant donné les multiples crises que vivent les pays de toute la planète et la crise des démocraties occidentales. Ce que l'on peut reprocher au gouvernement de Justin Trudeau, n'en déplaise à mes amis conservateurs, c'est le flottement autour de son leadership qui est marqué par la vision particulière des gens issus de la génération X quant au pouvoir. La vision de Justin Trudeau d'un Canada postnational où tout le monde est beau et gentil passe par le dialogue constant avec la population. L'empathie est le maître mot de la stratégie de Justin Trudeau et cela teint l'ensemble des actions de son gouvernement. Justin Trudeau veut le bien de tous et à part Pierre Poilievre, il aime tous les Canadiens.

Il n'en reste pas moins que Justin Trudeau a déçu beaucoup de gens chez lesquels il avait suscité de l'espoir en 2015. D'ailleurs, dans ce même média, j'ai écrit le 20 octobre 2015, un texte intitulé : Enfin l'espoir ! Il n'est pas inintéressant de citer ce texte dans le contexte actuel. J'écrivais : « Justin Trudeau nous a dit sa volonté de faire de la politique autrement. Il s'est engagé à réinvestir dans nos communautés et nos infrastructures. Il a témoigné de son engagement à construire un pays respectueux de son environnement. Surtout, il a affirmé vouloir nous rassembler plutôt que de nous diviser. Discours reçu monsieur le premier ministre. Justin Trudeau a tout ce qu'il faut pour réussir. Il a semé l'espoir en nous. Il lui reste maintenant à s'assurer que les "bottines suivront les babines". Justin Trudeau incarne bel et bien l'espoir, nous ont dit les Canadiens. Reste maintenant à ne pas les décevoir. Il ne faut jamais trahir l'espoir ! Enfin l'espoir ! ».

Je crois que monsieur Justin Trudeau a failli dans sa plus importante tâche d'homme politique : satisfaire l'horizon de nos attentes...


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