Le
concept d'horizon d'attente prend sa principale source de la sociologie
littéraire où Hans Robert Jauss en a fait la pierre d'assise de sa théorie de
la réception en littérature. Cette expression a aussi souvent été utilisée par
des philosophes s'inscrivant dans le courant phénoménologique parmi lesquels on
retrouve Gadamer et Husserl. Pour rendre ça digeste, et en périphrasant disons
que l'horizon d'attente est de prendre en compte le fait que la performance
d'un acteur sera jugée non seulement en fonction de ses propres performances,
mais aussi de la subjectivité et des expériences des récepteurs ou des
spectateurs. Sur le plan politique, il est d'usage de dire qu'il faut baisser
les attentes plutôt que de les augmenter si l'on veut en tirer le meilleur
profit électoral. Le dernier remaniement ministériel de Justin Trudeau est-il
un constat d'échec ou une tentative de renouvellement de nos horizons d'attente ?
Commentons.
Le
concept d'horizon d'attente et la politique
En
mots simples, mon analyse politique de la performance d'un personnage politique
doit tenir compte de l'expérience des électeurs ou des collectivités présente
et passée pour comprendre les deux éléments constitutifs de la création de
sens. L'effet produit par les discours et les attitudes du personnage politique
sous analyse et la réception qui est déterminée par le ou les destinataires du
discours ou des politiques. Cela nous sera révélé par une étude soignée des
sondages et des mouvements de l'opinion publique. De cette manière, on comprend
aisément que les horizons d'attentes sont constitués par une relation dynamique
entre personnages politiques, ses discours et ses politiques avec la réception
de ceux-ci par les électeurs et les électrices. Ensemble, cela constitue le
procès de l'établissement des horizons d'attente d'une société. Un rapport
entre divers horizons qui opèrent leur fusion et qui deviennent le discours
dominant ou hégémonique d'un moment ou d'une époque.
Tout
cela pour dire que lorsqu'en 2015, le Canada a élu Justin Trudeau comme premier
ministre du Canada contre toute attente, ce dernier a tout fait pour augmenter
les attentes envers son nouveau gouvernement. Rappelons-nous son obsession pour
la transparence, son désir de réconcilier les Canadiens de toutes les régions
et de toutes les conditions, ses voies ensoleillées et surtout son « Canada
is back » sur la scène internationale. Après trois élections et huit années
passées, Justin Trudeau et ses gouvernements ont subi l'épreuve du temps et on
sent une certaine usure et un manque d'enthousiasme. Pire encore, on sent un
flottement quant au leadership du premier ministre lui-même qui dans diverses
crises a tardé à agir. C'est dans ce contexte qu'il faut prendre la mesure de
son dernier remaniement ministériel annoncée mercredi dernier.
Le
remaniement, un geste purement politique
L'annonce
d'un important remaniement ministériel par un gouvernement est l'un des outils
à la disposition d'un chef de gouvernement pour relancer son gouvernement dans
l'appréciation de ses actions auprès de l'électorat. On le sait, le
gouvernement de Justin Trudeau n'a pas brillé de tous ses feux depuis sa
réélection post-pandémique. Aux prises avec une grave crise inflationniste et
avec un déficit qui ne cesse de s'alourdir, le gouvernement a raté sa chance de
fournir des services normaux aux Canadiennes et aux Canadiens. Nous n'avons
qu'à penser à la crise des passeports, aux délais du traitement des demandes à
nos services d'immigration ou encore aux délais interminables des programmes d'assurance-emploi.
Il fallait en plus que le gouvernement Trudeau s'empêtre dans une crise de
légitimité et des apparences de complicité avec une puissance étrangère comme
la Chine dans la crise de l'influence chinoise sur nos processus démocratiques.
Avec la venue d'un nouveau chef, Pierre Poilièvre aux propos percutants chez
son principal adversaire, le parti conservateur, Justin Trudeau devait agir
pour redresser sa barque avant la convocation aux urnes de la population
canadienne. Ce geste restera des plus banal s'il n'est pas suivi de d'autres
comme la prorogation de l'actuelle législature du parlement et par la lecture
d'un nouveau discours du trône où des orientations claires serviront de
boussoles à ce nouveau conseil des ministres. En ce sens, il faut voir dans ce
remaniement ministériel une importante opération politique de réalignement du
gouvernement en prévision de l'affrontement électoral d'ici 2025.
Faire
du neuf avec du vieux
Au
fonds, lorsque l'on prend le temps de bien observer, on peut facilement se
convaincre que ce qu'a fait Justin Trudeau, et c'est souvent ce qu'il fait de
mieux, c'est faire illusion. Au-delà des pertes et des gains pour les individus
concernés, par exemple le déplacement de Marie-Claude Bibeau au Revenu est une
véritable perte pour les agriculteurs de Compton-Stanstead, le comté de madame
Bibeau, ou encore le déplacement de madame Anita Anand au Trésor pour cause de
débordement d'enthousiasme et d'ambition au poste de cheffe, le remaniement
ministériel annoncé par Justin Trudeau est une illusion de changement. Les
principaux ténors du gouvernement Trudeau demeurent en place, madame Chrystia
Freeland, aux Finances, madame Mélanie Joly aux Affaires étrangères, monsieur
Steven Guilbeault à l'Environnement et monsieur Louis-Philippe Champagne à
l'Industrie. Les orientations du gouvernement demeurent et les problèmes des Canadiens
sont les mêmes. C'est ce qui m'amène à affirmer que Justin Trudeau a joué au
grand illusionniste et a cherché à créer la perception qu'il nous donnait un
nouveau gouvernement alors qu'il n'a fait que faire du neuf avec du vieux.
Justin
Trudeau, des espoirs déçus
En
fait, Justin Trudeau n'a pas démérité en tant que premier ministre du Canada.
Il a fait beaucoup de bonnes choses pour le pays. Son gouvernement, malgré quelques
ratés - les passeports, la crise chinoise, l'affaire Bernardo -,amplifiées par
les médias et le sensationnalisme qui les caractérisent n'a pas fait si mal étant
donné les multiples crises que vivent les pays de toute la planète et la crise
des démocraties occidentales. Ce que l'on peut reprocher au gouvernement de
Justin Trudeau, n'en déplaise à mes amis conservateurs, c'est le flottement
autour de son leadership qui est marqué par la vision particulière des gens
issus de la génération X quant au pouvoir. La vision de Justin Trudeau d'un
Canada postnational où tout le monde est beau et gentil passe par le dialogue
constant avec la population. L'empathie est le maître mot de la stratégie de
Justin Trudeau et cela teint l'ensemble des actions de son gouvernement. Justin
Trudeau veut le bien de tous et à part Pierre Poilievre, il aime tous les Canadiens.
Il
n'en reste pas moins que Justin Trudeau a déçu beaucoup de gens chez lesquels
il avait suscité de l'espoir en 2015. D'ailleurs, dans ce même média, j'ai écrit
le 20 octobre 2015, un texte intitulé : Enfin l'espoir ! Il n'est pas inintéressant de citer ce texte dans
le contexte actuel. J'écrivais : « Justin
Trudeau nous a dit sa volonté de faire de la politique autrement. Il s'est
engagé à réinvestir dans nos communautés et nos infrastructures. Il a témoigné
de son engagement à construire un pays respectueux de son environnement.
Surtout, il a affirmé vouloir nous rassembler plutôt que de nous diviser.
Discours reçu monsieur le premier ministre. Justin Trudeau a tout ce qu'il faut
pour réussir. Il a semé l'espoir en nous. Il lui reste maintenant à s'assurer
que les "bottines suivront les babines". Justin Trudeau incarne bel et bien l'espoir,
nous ont dit les Canadiens. Reste maintenant à ne pas les décevoir. Il ne faut
jamais trahir l'espoir ! Enfin l'espoir ! ».
Je crois que monsieur Justin Trudeau a failli dans sa plus
importante tâche d'homme politique : satisfaire l'horizon de nos attentes...