Narcisse, c'est ce p'tit crisse qui se glisse dans nos vies par
tous les interstices possibles. Il se fraie un chemin jusque dans nos
têtes et agit en modifiant nos comportements.
Il est
partout, Narcisse.
Narcisse, c'est celui qui vient
nous convaincre de publier à répétition des statuts de notre vie
personnelle sur les médias sociaux. La raison nous propose de faire
attention à cet étalage de notre quotidien et des composantes, mais
Narcisse arrive par en arrière et nous glisse à l'oreille :
« Hey, ta vie a une valeur, toi aussi... Ce que tu fais
présentement vaut la peine d'être publié. Après tout, si tu
envies celle ou celui qui le fait ; si ça vient te chambouler un
brin de voir que la vie de l'autre a l'air tellement meilleure
que la tienne, alors, je te le dis, publie ! Allez ! »
Et
vous savez quoi, même notre raison finit par approuver !
Narcisse
est présent aussi dans le discours quotidien. Il est insidieux, le
p'tit crisse.
Narcisse intervient dans les phrases
banales qu'on répète quand on dit que telle femme a mal vieilli,
par exemple. Qu'on dit, plus ou moins méchamment, qu'elle
pourrait prendre soin d'elle un peu plus...
C'est qu'il
sait ce qu'il fait, Narcisse ! En faisant en sorte que de tels
propos soient répétés, il fait son boulot. Et même si ce n'est
pas en mots, Narcisse trouve le moyen de faire sentir la femme
tellement vulnérable qu'elle en vient à soigner frénétiquement
son apparence pour faire taire ces phrases qu'elle ne veut pas
entendre... le pire, c'est qu'elle recevra bien plus de « elle
est bien conservée pour son âge ! » que de réels
compliments.
Narcisse a tendu le piège qu'il voulait
tendre : faire en sorte que chaque personne soit atteinte dans
son amour-propre, qu'elle se replie sur elle-même et qu'elle
investisse temps et argent sur sa simple apparence.
Je dis
chaque personne parce que c'est pas mal pareil pour les
gars...
Narcisse ne regarde pas le sexe. Il regarde
l'apparence. Pas pour rien que des milliers de statuts Facebook (ou
autres !) vantent des investissements en brûlage de calories, en
yoga sur chaise, en reconstruction d'abdominaux et quoi encore !
Pas pour rien que des influenceurs (assez narcissique comme terme,
quand on y pense !) viennent gueuler leurs conseils chaque jour
pour la perte de poids et l'amélioration de l'apparence
corporelle.
Oui, qu'on fasse la promotion de la santé,
c'est bien ! Faire du yoga sur chaise est sûrement très bon à
bien des niveaux.
Mais la vente se fait sur le fait
d'améliorer l'apparence. Point. « Je voulais des abdos de
feu pour les noces de mon fils ! », ai-je entendu cette
semaine dans une pub de yoga sur chaise...
« Pis,
est-ce que c'était un beau mariage ? » « Oh!
Mets-en ! Les abdos du père du marié étaient sculptés de façon
parfaite... »
Au fond, Narcisse réussit son coup,
bien appuyé par les médias sociaux. Quand une majorité de gens
sont résolument repliés sur l'aspect ou l'apparence qu'ils
ont sur la place publique, ils ne voient plus ce qui se passe autour.
En plus, ils sont prêts à dépenser sans compter. Narcisse est
content !
Et comme les critères et la pression du look
montent tout le temps, la fameuse confiance en soi tant promise ne
vient jamais.
Un spectacle qui marque
Ma
réflexion est inspirée d'une soirée magique vécue dernièrement
au théâtre Granada. Émile Proulx-Cloutier débarque avec son piano
et, surtout, ses mots.
Il vante l'humain. À sa plus
simple expression. Il vante le contact réel (pas juste virtuel)
entre les humains.
Narcisse n'a pas aimé le spectacle.
Il a été chamboulé pas mal. Mais il sait bien que notre mémoire
est à courte durée.
À moins que...
À
moins qu'on décide personnellement, puis collectivement, de revoir
certains paramètres.
L'arrivée du roi de la secte de
Narcisse, Trump, bien appuyé par ses bonzes narcissiques que sont
Musk, Bezos et autres, permet peut-être une occasion d'éveil
salutaire.
On a du chemin à faire. Mais un chemin,
ultimement, ça se franchit pas par pas. Le premier pas est
probablement de choisir ce qui est organique. Réinsérer de vraies
rencontres dans nos vies. Des rencontres lors desquelles le
cellulaire n'est pas roi.
C'est aussi de réapprendre
à se regarder quand on se parle. De se mettre en mode écoute réelle
quand quelqu'un nous parle.
Ça, Narcisse hait ça !
Ça vient le déboussoler. Quand le contact est établi pour vrai,
voilà que son terrain de jeu est modifié.
Au final,
Narcisse sera toujours là. C'est comme ça.
Mais on
peut éviter de l'inviter juste en comprenant qu'il est trop
là !
Clin d'œil de la semaine
Narcissisme :
admiration, contemplation de soi-même. Pour Trump et sa troupe de
milliardaires, c'est une fixation affective à soi-même.