Tous les jours, nous avons droit à des oracles qui nous
prédisent l'avenir. Au premier rang, il y a les économistes qui n'ont pas une
aussi bonne moyenne au bâton que les joueurs de baseball des Yankees de New
York ou des Red Sox de Boston. Il y aussi tous ces oracles qui nous prédisent notre
avenir. Vous devinez bien que plusieurs de ces prévisions se révèlent fausses
lorsqu'elles sont soumises à l'épreuve du temps. L'une des plus persistantes
ces dernières années concerne la fin de l'imprimé.
Cette prédiction de la fin de l'imprimé et de la révolution
à venir est au cœur de la décision du Groupe Gesca de vendre tous ses
quotidiens régionaux, dont le quotidien La
Tribune, à un nouveau groupe de presse présidé par l'ancien ministre
libéral Martin Cauchon. Plongée dans une transaction qui fait parler...
La fin des
journaux?
Bernard Poulet a écrit en 2009 un essai intitulé La fin des journaux et l'avenir de
l'information chez Gallimard. Dans cet essai de 212 pages, Poulet nous
parlait de la montée en puissance d'Internet, de la migration des budgets
publicitaires et des petites annonces vers les médias électroniques, de la
désaffection du jeune public pour l'écrit et de la mutation anthropologique de
la culture ambiante vers la culture du tout gratuit. Il concluait que derrière
ces phénomènes majeurs et incontestables, il y avait dans l'ombre de la
révolution numérique des médias un autre bouleversement, amorcé bien avant le
phénomène du Web, et dont les effets combinatoires ont un impact majeur,
l'érosion de l'intérêt pour notre société pour l'information.
Pour Bernard Poulet, nous sommes entrés dans une ère de
chaos. Il ajoutait : « Les transitions, même révolutionnaires, durent
parfois longtemps. On sait qu'il est difficile d'admettre qu'un monde s'achève,
de se résigner à voir disparaître ce que nous avons connu notre vie durant.
Répéter qu'un monde sans journaux est inimaginable ne dispense pas de prendre
la mesure du problème, sans se bercer d'illusions, pour pouvoir y faire face et
trouver de nouvelles solutions » (p. 12-13). Même si je suis heureux
de « chroniquer » dans un journal Web toutes les semaines, je n'en
suis pas moins un fervent défenseur des journaux papier. Contrairement à bien
des observateurs, je crois à la pérennité de l'information sur le support
papier et je ne peux que me réjouir pour les artisans de notre quotidien
régional La Tribune de la transaction
entre le Groupe Gesca et le Groupe Capitales Médias. Les carottes sont loin
d'être cuites. Il y a un avenir pour La Tribune
en version papier et il en va de la qualité de notre vie démocratique en région
et au Québec.
Le papier,
la fin d'un monde?
Cette idée de la dématérialisation du monde et de son
remplacement par un monde virtuel est alléchante à première vue. Nous sommes
tous à migrer vers des plates-formes électroniques. Moi qui suis un lecteur
boulimique, je m'achète maintenant des livres électroniques que je lis sur ma
tablette iPad. Tous les livres. Que non! Je divise maintenant les livres que je
m'achète en deux catégories : les livres que je lis sur tablette et les
livres que je veux dans ma bibliothèque. Les romans, les essais qui parlent de
l'air du temps, les livres pratiques sont des livres de catégorie tablette
alors que les ouvrages majeurs d'histoire, les romans incontournables, les
livres d'art sont des livres que j'achète en version papier et qui sont
destinés à ma bibliothèque.
Les revues sont un bel exemple de mes nouvelles habitudes de
lecture dans mon iPad. Le Nouvel
Observateur, L'Express, le Time magazine, Newsweek, Courrier international,
L'Actualité, Maclean's, The Economist
ou encore des revues de cuisine, de golf et de littérature sont destinées à ma tablette,
car une fois lu je ne veux pas les conserver, question d'espace. Par ailleurs,
grâce à la tablette, je peux archiver des articles ou faire des recherches
ultérieures sur ces articles.
La musique, les photos sont maintenant toutes
dématérialisées dans ma vie culturelle. Quant aux journaux, je suis abonné aux
deux versions lorsqu'elles existent. Je suis abonné aux versions papier et
électroniques de La Tribune, La Presse, Le Devoir et Le Journal de
Montréal. Je ne suis abonné qu'aux versions électroniques de La Presse +, The Gazette, The Globe and
Mail et du National Post.
Je ne suis pas un exemple typique, j'en conviens, mais je
constate que mes habitudes de consommation de l'information sont hybrides.
J'aime encore écouter un bulletin de nouvelles radio ou télé en temps réel pour
saisir le propos éditorial. La place de chaque nouvelle dans le bulletin, le
temps qui lui est accordé, le traitement qui en est fait. Ce qui est vrai pour
l'électronique est vrai aussi pour les informations sur papier. Voir un journal
papier, sentir l'encre des presses sont encore des activités qui me procurent
du plaisir. C'est pourquoi je crois encore à l'avenir du papier. Pour moi, le
monde doit être hybride. Le papier doit côtoyer les formes électroniques. Dans cette
perspective, l'achat par le groupe de Martin Cauchon de notre quotidien La Tribune est une heureuse nouvelle
pour eux et pour nous.
L'avenir de
La Tribune et l'information
régionale...
Le quotidien La
Tribune est un outil essentiel à la vitalité de notre démocratie et de
l'information régionale. La disparition de ce quotidien serait catastrophique
pour nous tous en Estrie. L'achat par le Groupe Capitales Médias de ce
quotidien et la conviction des nouveaux propriétaires de l'importance de
l'information régionale doit nous réjouir. Cela ne dispensera pas ce quotidien
de poursuivre sa réflexion et d'innover quant à l'avenir de son format, mais
une chose est certaine, c'est que cette réflexion se fera désormais dans de
meilleures conditions.
Par le passé, j'ai eu l'occasion à maintes reprises de
joindre ma voix à plusieurs de mes concitoyens pour déplorer la disparition du
réseau de télévision TQS, de mener campagne pour sauver Radio-Canada des
attaques vicieuses du gouvernement canadien ou de déplorer la disparition d'hebdomadaires
dans l'une ou l'autre des villes de notre région.
L'information régionale est si précieuse pour notre vouloir-vivre
ensemble qu'il faut défendre chaque journal, chaque diffuseur et chaque
plate-forme électronique d'information régionale. Tout cela vit dans une saine
concurrence et dans une complémentarité essentielle à nos vies et surtout nous
permet d'avoir une qualité de vie démocratique que bien des régions au Québec
nous envient. Plus que jamais, donnons-nous un mot d'ordre, Citoyens, à vos
papiers!
Lectures
recommandées :
Bernard Poulet, La fin des journaux et l'avenir de
l'information, Coll : « Le débat », Paris, Gallimard,
2009, 212 p.