À l'aube d'une campagne électorale où pour la première fois depuis longtemps la question constitutionnelle ne sera pas à l'ordre du jour, de nouveaux sujets s'imposeront à nous avec pour toile de fond le nationalisme et l'identité. L'un de ceux-là c'est l'immigration. On a pu le constater ces derniers temps avec les accusations à peine voilées de racisme des ténors du gouvernement libéral de Philippe Couillard à l'endroit de la Coalition Avenir Québec et de son chef, François Legault. La question que nous devons poser est la suivante : le Québec est-il une terre d'accueil hospitalière pour les nouveaux arrivants? Radioscopie du rapport du Québec avec l'immigration.
Changement de paradigme en immigration?
Pour se faire une tête sur une question aussi complexe et chargée d'émotion que celle de l'immigration, rien ne vaut d'aller puiser son information dans une bonne vieille étude universitaire. Nous pouvons sur cette question nous abreuver de la thèse de La fédéralisation de l'immigration au Canada qui a été avancée par la politologue de l'Université Concordia à Montréal, Mireille Paquet. Cette thèse est brillamment défendue dans un livre qu'elle a publié en 2016 aux Presses de l'Université de Montréal.
Dans un ouvrage intitulé : La fédéralisation de l'immigration au Canada, Mireille Paquet y défend la thèse qu'au Canada on pratique une politique très libérale quant à l'immigration et que de façon générale la population est très favorable à une politique d'immigration ouverte et généreuse. Après une étude approfondie de la documentation afférente, l'auteur conclut qu'au Canada l'immigration s'est fédéralisée et qu'elle fut le résultat d'une mobilisation des provinces et des élites.
Elle affirme en conclusion de son livre que : « l'histoire relatée dans cet ouvrage est cruciale pour comprendre la gouvernance actuelle et future de l'immigration et de l'intégration au Canada. L'analyse du processus de fédéralisation a montré que ce dernier est en grande partie le fait des actions des provinces. Dans ce sens, nos travaux permettent de comprendre comment aujourd'hui, les 10 provinces canadiennes ont des intérêts définis envers l'immigration, issus de trajectoires propres à leurs sociétés. Ces processus se sont déroulés sur une vingtaine d'années et sont maintenant en partie institutionnalisés dans chaque province. En conséquence, dans le cadre du processus de fédéralisation, les provinces canadiennes ne furent jamais des acteurs passifs dans le régime fédéral; elles ont été des agents de changement du régime institutionnel de gouvernance de l'immigration et de l'intégration. » (Mireille Paquet, La fédéralisation de l'immigration au Canada, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2016, p. 261.)
Mais qu'est-ce que ce concept de la fédéralisation de l'immigration au Canada? Est-ce de la régionalisation, de la déconcentration ou de l'abandon d'un pouvoir à la faveur des provinces par le gouvernement fédéral? Rien de cela.
Le concept de la fédéralisation de l'immigration
La fédéralisation de l'immigration n'est pas une volonté du gouvernement du Canada de décentraliser l'un de ses pouvoirs. C'est plutôt le résultat des rigidités du système fédéral actuel qui prend sa source dans les combats constitutionnels de la deuxième partie du 20e siècle et où le dialogue entre le Québec et le Canada (Rest of Canada) ne s'est pas conclu par une entente satisfaisante aux parties en cause. En réponse à cette rigidité, les acteurs impliqués, les provinces au premier chef, ont cherché à contourner cela par des approches plus informelles et par l'expérimentation de nouvelles avenues afin de répondre aux nouveaux besoins et à l'évolution de la société canadienne. Ce fut notamment le cas dans le dossier de l'immigration.
Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas non plus les revendications du Québec qui ont forcé la main au gouvernement du Canada pour se doter de nouvelles pratiques en matière d'immigration en faisant une plus grande place aux provinces. Mireille Paquet est formelle à ce sujet; « Cette approche permet de disqualifier l'idée que ce processus est avant tout le résultat d'un désir de décentralisation de la part d'Ottawa ou encore le résultat des actions du Québec » (Mireille Paquet, Ibid. p. 26). Mieux encore, « au contraire, elle permet de voir que les 10 provinces ont joué un rôle actif dans la mise en branle du processus de fédéralisation. »
L'auteure reconnaît même qu'au Canada, la question de l'immigration est plus l'affaire des élites et des acteurs gouvernementaux que de la population : « Le cas canadien se démarque également par l'absence de mouvements sociaux ou de partis politiques portant des revendications anti-immigrants à l'échelle des provinces. Les revendications provinciales mettent en effet de l'avant une conception positive des immigrants, centrée sur leur importance en tant que ressource pour la société provinciale. Elles ont pour objectif la mise ne place de politiques visant à en faire augmenter le nombre et à parfaire leur inclusion dans la société. » (Mireille Paquet, Ibid. p. 27.)
Malgré l'importance de l'enjeu du nationalisme pour le Québec, on ne peut le nier, Mireille Paquet soutient que le nationalisme n'a pas été un moteur de l'activité des acteurs en matière d'immigration; « L'absence d'une mobilisation nationaliste dans la grande majorité des provinces, hors Québec, couplée à la présence grandissante de discours, d'actions et de revendications par rapport à un rôle provincial en matière d'immigration et d'intégration, amène à penser que le nationalisme n'est pas l'unique source de l'évolution des intérêts des actions des provinces. » (Mireille Paquet, Ibid. p. 28)
Le cas du Québec
On ne peut nier qu'au Québec il se fait entendre des voix nationalistes qui remettent en question cette fédéralisation de l'immigration au Canada. Un type de nationalisme qui centre ses revendications sur l'immigration comme le résultat d'un processus d'édification nationale fondé sur l'identité, sur le besoin de préserver l'intégrité linguistique ou pour moduler son régime de citoyenneté. Des discours de formations politiques québécoises ont dangereusement flirté avec ce courant dont la Coalition avenir Québec. Il faut le reconnaître.
Néanmoins, il faut distinguer les tonalités de ces discours et comprendre qu'aucun parti politique au Québec ne remet en question sur le fond l'importance de l'immigration ni ne rompt avec cette idée de la « fédéralisation de l'immigration ». Le Québec, comme toute société minoritaire craint pour l'avenir de sa langue et pour son statut au sein du Canada. Ces craintes ont été jugulées grâce à un meilleur contrôle de son immigration par l'obtention de pouvoirs en matière de sélection et d'intégration des immigrants tout en ayant un véto effectif sur les immigrants économiques et les réfugiés. Le Québec a aussi beaucoup de latitude en matière de parrainage.
Là où le bât blesse cependant c'est l'accélération des transformations géopolitiques sur la planète qui multiplie les cas de réfugiés et qui, par les temps qui courent, provoquent une entrée massive d'immigrants provenant des États-Unis sous l'impulsion des politiques de Donald Trump. Notre insécurité proverbiale liée à cette nouvelle configuration géopolitique ainsi que l'émergence du facteur de la religion dans l'espace public crée un contexte propice à la montée du nationalisme en matière d'immigration.
Pour que le Québec continue d'être une terre d'accueil pour les immigrants, il importe que nous intégrions mieux les immigrants et que nous réfléchissions tous ensemble dans une conversation impliquant les citoyennes et les citoyens à cet enjeu que constitue l'immigration. Il faudrait que nous soyons capables de parler de ce sujet sans que l'on accuse qui que ce soit de xénophobie ou de racisme comme l'a fait récemment le premier ministre libéral, Philippe Couillard. Je considère comme essentielle cette réflexion comme je trouvais utile de vous l'offrir autour d'un livre...