Si nous en croyons maints commentateurs, les critères de sélection
d'une chaire de recherche de l'Université Laval sont discriminatoires et même
racistes parce qu'ils excluent d'emblée les hommes de race blanche. Il n'en
fallait pas plus pour que des ténors de la mouvance nationaliste Guy Nantel et
Mathieu Bock-Côté s'emparent de l'affaire et pointent la lune du doigt faisant
de nous tous les idiots qui se concentrent sur ceux qui pointent le doigt
plutôt que sur l'essentiel. L'essentiel c'est que, nous en sommes tous, nous
voulons vivre dans une société qui s'enrichit de sa diversité et qui chasse
autant que faire se peut toute forme de discrimination dans ses rangs.
Le vice-recteur à la recherche et aux études supérieures de
l'Université de Sherbrooke, Jean-Pierre Perrault a déclaré dans un journal
régional qu'il considérait les cibles à atteindre en matière de représentation
équitable des groupes issus de la diversité comme une opportunité : « L'idée,
c'est plutôt de prendre avantage de la diversité et de tout ce que cela apporte
à nos réflexions au quotidien. » Ce qui détonne avec les prises de position de
Nantel et Bock-Côté qui y voient plutôt « le délire des programmes de
discrimination positive ». Comme on le constate, ce débat sur la discrimination
positive pour favoriser la diversité se complique chez nous à cause de la
condition de majorité-minorité de la
société québécoise. Réflexions sur la condition québécoise, le pluralisme et la
diversité.
La condition québécoise
Il faut
rappeler une fois encore que la société québécoise provient d'une histoire
passablement compliquée et que sa majorité de parlants français d'origine
caucasienne a été et est encore aujourd'hui victime de discrimination
systémique au Canada. Je sais que cette affirmation ne trouvera pas de grâce
auprès des plus éveillés, mais c'est tout de même une vérité, les faits
historiques le prouvent hors de tout doute raisonnable. Les conditions
particulières dans lesquelles s'est déployée l'histoire du Québec ont fait
naître, à tort ou à raison, une forme de très grande insécurité du groupe
majoritaire minoritaire au sein de la nation québécoise. Cette insécurité,
fondée ou non, voile nos perceptions et influence nos jugements sur des
questions comme celle qui est en cause dans l'affaire de la chaire de recherche
à l'Université Laval. Cela mine la possibilité pour nous de mettre à profit la
richesse de la diversité et du pluralisme pour notre société.
Bien sûr, nous
avons de bonnes raisons de vivre cette insécurité. Pour reprendre les mots du
jeune auteur Étienne-Alexis Beauregard dont j'évoquais l'essai dans ma dernière
chronique (Étienne-Alexis Beauregard, Le
schisme identitaire. Guerre
culturelle et imaginaire québécois, Montréal, Boréal, 2022, 282 p), le Québec est en guerre. Une guerre
culturelle qui se joue autour du combat entre deux camps. Le camp de la
coalition hégémonique de penseurs progressistes et multiculturalistes qui se
définissent par le projet d'un Canada postnational et celui des nationalistes conservateurs qui réclament et
revendiquent le pays du Québec. Cette guerre culturelle a pour enjeu la
définition même de la nation québécoise, de son histoire et de son avenir.
C'est au travers de cette condition que le Québec doit apprendre à gérer et à
vivre la diversité et le pluralisme. Cela n'est pas tâche aisée, car cela
oppose le couple universalité-particularisme dans le cadre d'une évolution
post-moderne d'une société qui se définit par l'identité et le libéralisme à
outrance axé sur les conditions particulières des individualités. Droite ou
gauche, la société des identités fait naître le sentiment d'appartenance à une
tribu plutôt qu'à une communauté. C'est dans cette perspective qu'il faut
analyser le débat sur les mesures de discrimination à l'embauche de
l'Université Laval et des autres...
Vaincre la
discrimination par la discrimination...
À l'époque de la Révolution française, Edmund
Burke (1729-1797) est un penseur incontournable. Homme politique et philosophe,
il est considéré comme le père du conservatisme moderne, et comme un influent
penseur libéral. Tout libéral qu'il était, Burke s'est opposé entre autres
choses contre les droits de l'homme si prisés par les révolutionnaires français
de 1789. Il comparait la doctrine des droits de l'homme à la promotion d'un
individu universel et sans ancrage qui n'existe que sur papier ou dans notre
imagination. Un peu comme cet idéal statistique à atteindre pour respecter les
normes de financement des chaires de recherche par le gouvernement du Canada
qui vise à faire du Québec une société plus ouverte et pluraliste. Ce qui n'est
qu'esbroufe. Le problème avec cette approche n'est pas que l'on soit contre les
droits des uns et des autres, mais que cela soit une simple vue de l'esprit. La
muse de l'esprit des lumières conduit au chaos si l'on fait fi que le culte des
droits libéraux mène à la mise en jachère de l'appartenance à une communauté
historique.
Un autre jeune auteur dans un essai
aussi percutant que celui de Beauregard, Alexis Tétrault, s'intéresse à ces
questions dans le cadre de son ouvrage qui traite de la mythologie politique de
la vulnérabilité au Québec. Une thèse qui redonne à la mouvance historiographique
un tout nouvel argumentaire mis au goût du jour. Il cite Burke dans son essai
dans un contexte différent, mais qui s'avère pertinent à mon propos dans cette
chronique : « Universel dans son principe, le droit-de-l'hommisme jette
dans l'ombre l'appartenance à une communauté historique... Autant (Les Droits de
l'homme) sont vrais métaphysiquement autant ils sont faux moralement et
politiquement » (Alexis Tétrault, La nation qui n'allait pas de soi. La
mythologie politique de la vulnérabilité au Québec Montréal, VLB éditeur,
2022, 256 p.)
Ces propos de Burke rappellent ceux
de Fernand Dumont chez nous qui dans son opposition à la vision du fédéralisme
de Pierre Elliott Trudeau faisait valoir que le nouvel homme imaginé dans la
pensée de Trudeau n'existe que dans les esprits, car l'homme réel a toujours
des racines qui l'attache à une communauté vécue. Pour Fernand Dumont, nous ne
pouvons atteindre l'universalité que par les particularismes de notre
communauté d'origine dans notre volonté d'arrachement à notre culture première
afin d'atteindre notre culture seconde à prétention universelle.
Alors pour ou
contre l'exclusion comme mode d'action contre la discrimination ?
Vous comprendrez à la lecture de
cette chronique que ce n'est pas simple d'avoir une opinion tranchée sur
l'affaire de l'Université Laval. Reconnaissons que la discrimination latente
dans nos sociétés nourries par nos réseaux sociaux et culturels doit être un
jour ou l'autre endiguée si nous sommes vraiment sincères dans notre
attachement au pluralisme et à la diversité. Néanmoins, comme la totalité des
porte-parole de nos partis politiques, je trouve que ce cas, bien que fondé en
principe, manque de raisonnabilité dans son application. Personne ne peut faire
croire sérieusement que la discrimination et l'exclusion sont compatibles avec
les vertus de l'égalité des conditions de toutes et tous.
Je suis cette fois
plutôt en accord avec Burke pour qui la meilleure politique est le juste milieu.
Les principes les plus nobles puissions-nous évoquer ne s'incarne pas dans un
monde idéal, mais dans un monde vécu traversé par des contradictions, des
traits culturels et des mœurs qui viennent forcément altérer et infléchir tous
les principes absolus et universels. Il faut se méfier de la raison froide et
des modèles de vertu qui déracinent qui nous sommes. Appeler au pluralisme et à
la diversité ne nous dispense pas de réfléchir le monde par la perspective de
notre communauté. La nation québécoise est ouverte au pluralisme et à la
diversité, mais pas au point de se nier elle-même. Quoi que l'on en dise ou
quoi que l'on en pense, le Québec n'est pas une société exempte de
discrimination. Il s'agit de lire les grands quotidiens de Toronto sur des
sujets comme la Loi 21 ou le projet de Loi 96 pour s'en convaincre.
Il faut se rappeler qui nous sommes et d'où nous venons et alors on pourra
clamer tous ensemble Haro sur la discrimination...