Samedi soir dernier, j'étais parmi les spectateurs attentifs du spectacle de l'artiste ultra-talentueux, Gregory Charles, à la place Nikitotek au centre-ville de Sherbrooke. Un magnifique spectacle où Gregory Charles a déployé tous ses talents de musicien et de chanteur. Il était d'ailleurs accompagné de musiciens de tout premier ordre. J'y ai passé une soirée fort agréable.
Lors de ce spectacle, Gregory Charles a eu un commentaire de nature politique en affirmant que si les politiciens s'écoutaient plus les uns et les autres et que s'ils écoutaient notre voix à nous, cela irait beaucoup mieux au Québec. Il a affirmé cela en faisant la démonstration que si lui et ses musiciens réussissaient à improviser ensemble durant un spectacle de plus de deux heures trente en jouant des chansons de tous et chacun c'est qu'ils s'écoutaient. La prestation offerte par Gregory Charles donne beaucoup de crédibilité à son propos. Allégorie politique sur fond de musique de Gregory Charles.
Un musicien parmi tant d'autres
Quoi qu'il en soit, avant que Gregory Charles fasse ce commentaire, j'avais déjà choisi de consacrer cette chronique à une sorte d'allégorie du spectacle de Gregory Charles et la présente campagne électorale au Québec. Une connaissance présente dans la foule pourrait en témoigner puisque nous en avons parlé durant l'entracte. L'idée m'était venue à la suite des paroles de la chanson Un musicien parmi tant d'autres du groupe Harmonium tiré de leur premier album éponyme paru en 1974. Citons un extrait significatif :
« Une main sur une épaule
Chacun a bien joué son rôle
Le rideau monte et descend
Le musicien se serre les dents
Il est si bien pour une fois
À la porte d'un café
Son nom vient de s'effacer
On a trouvé quelqu'un de mieux
Le musicien de faisait vieux. »
Paroles : Un musicien parmi tant d'autres Harmonium, 1974
Ne trouvez-vous pas, tout comme moi, en lisant les paroles de cette chanson que l'on pourrait remplacer le musicien par un politicien. Une fois qu'il a joué son rôle même s'il n'aime pas cela (il serre les dents), il est bien obligé d'accepter que son nom s'efface de l'espace public parce que l'on a trouvé quelqu'un de mieux. Le politicien se faisait vieux pour l'opinion publique. Dans la présente campagne électorale, tous les chefs des formations politiques, à l'exception de madame Manon Massé de Québec Solidaire et de son co-porte-parole Gabriel Nadeau Dubois, sont là depuis longtemps sur la scène ou derrière la scène. C'est peut-être ce qui explique que pour la première fois dans l'histoire politique moderne du Québec, tous les chefs sans exception sont moins populaires que leur parti dans la faveur populaire.
Du moins si nous en croyons les divers sondages publiés jusqu'à maintenant. Pourtant, ce n'est pas tant, à mon sens, la durabilité de leur présence dans notre vie politique qui pose problème, mais leur façon d'aborder la politique. Le monde dans lequel nous vivons a changé dramatiquement depuis les cinquante dernières années. On dirait que nos institutions peinent à suivre. Nos politiciens en sont les premières victimes, mais aussi les principaux responsables.
Où est passé tout le monde?
Le refrain de la chanson d'Harmonium déjà citée dans ce texte est révélateur à cet égard. C'est ces paroles qui m'ont inspiré ce texte. Lisons-les ensemble :
« Où est allé tout ce monde
Qui avait quelque chose à raconter
On a mis quelqu'un au monde
On devrait peut-être l'écouter. » (Loc. cit.)
Eh oui, il est où ce Québec mobilisé, peuplé de gens qui avaient des choses à raconter pour bâtir chez nous une société juste et prospère? Ils sont où tous ces groupes et ces mouvements? Désabusés, cyniques, emportés par le désespoir de cette idée détestable que fut cette idéologie du néo-libéralisme. L'individualisme forcené a gangréné le dynamisme du Québec. L'égoïsme social et la fin des repères communs a transformé nos rapports sociaux en des vulgates fétichistes célébrant l'hédonisme et le chacun pour soi.
D'autre part, dans le même mouvement, le dieu-argent a mobilisé tous les cerveaux et le Québec politique s'est transformé en un vaste espace théâtralisé devenant un spectacle ridicule mis en scène par les médias. Faut-il s'étonner dans un tel contexte que les partis politiques aient perdu de la traction, que les projets de société mobilisateurs se font rares et que les convictions des uns et des autres qui veulent nous gouverner sont souvent l'occasion de vulgaires marchandages comme les marchands du temple de notre enfance chassés par Jésus si nous en croyons le récit du Nouveau Testament de l'Église catholique?
Désormais, il faut souhaiter un réveil du meilleur de nous-même, de nous tous, pour donner un électrochoc à notre vie démocratique et qui devrait obligatoirement passer par une implication dans l'actuelle présente campagne électorale. Le Québec est à la croisée des chemins et notre vie démocratique doit être à la hauteur des défis qui nous attendent.
Mettre fin au cynisme
Pour y parvenir, nous aurons besoin de tous. Il nous faut d'abord faire une lutte de tous les instants au cynisme ambiant qui est un véritable cancer de notre vie démocratique. Ce n'est pas vrai que toutes les femmes et tous les hommes politiques sont des gens malhonnêtes et corrompus. Je suis même convaincu, malgré les apparences des dernières années, que l'on retrouve moins de gens malhonnêtes en politique que dans les autres secteurs de notre société. Il est vrai cependant que les écarts de conduite des membres de la classe politique sont plus publicisés que ceux des gens œuvrant dans le secteur privé par exemple.
Je suis tout à fait d'accord avec les professeurs Jean-Hermann Guay et Serge Gaudreau qui viennent de publier un livre publié aux Presses de l'Université Laval intitulée : Les élections au Québec. 150 ans d'une histoire mouvementée. Dans ce livre les auteurs écrivent :
« Ah les élections! Quasi unanimement, on déplore les régimes politiques dans lesquels les populations ne peuvent choisir leurs gouvernants, mais curieusement, quand les élections arrivent chez nous, si quelques-uns trépignent de joie, la grande majorité semble dire "Pas encore des élections", comme s'il s'agissait d'une corvée ou d'un moment difficile à passer. En 2008, Stéphane Laporte, chroniqueur au journal La Presse, faisait écho à cette humeur populaire en lançant à propos des élections provinciales : "Nous sommes écœurés". Les griefs sont bien connus : "Ça coûte cher, et ça change quoi", "blanc-bonnet, bonnet blanc", etc. Cette fatigue est si marquée que l'ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, n'a pas hésité à parler de "désaffection générale envers la démarche politique" notamment à l'endroit des élus. » (Jean Hermann Guay et Serge Gaudreau, Les élections au Québec. 150 ans d'une histoire mouvementée, Québec, Presses de l'Université Laval, 2018, p. 1)
Vivre d'espoir
Tout comme ces auteurs, je suis convaincu qu'il faut rompre avec ce cynisme et ce je-m'en-foutisme qui est le plus puissant frein à notre développement économique, social et culturel. Citons encore Hermann-Guay et Gaudreau : « Les 150 ans d'élections montrent clairement que les différents aspects de la vie électorale sont des construits sociaux, acceptés puis contestés, modifiés puis institutionnalisés au fil du temps. Pour être encore contestés. Si les élections ont indéniablement contribué à changer la société, elles ont été réciproquement transformées par la société elle-même. Les enjeux démocratiques et idéologiques, ceux qui sont liés aux classes sociales ou aux groupes linguistiques, ont fait que les campagnes d'aujourd'hui ne sont pas des calques des campagnes d'autrefois. À ce chapitre, le dicton populaire Plus ça change, plus c'est pareil est, à nos yeux du moins, plus faux que vrai. » (Ibid. p. 5.)
Il faut reconnaître que les femmes et les hommes qui ont accepté de poser leur candidature pour cette élection méritent notre respect et notre considération et il faut tenir pour acquis que ce sont des gens honnêtes qui ne veulent, pour la très grande majorité sinon l'unanimité d'entre eux, que le bien commun du Québec.
Certes, il faut débattre des questions d'avenir qui se pose à nous. Des choix s'offrent et ils sont différents. Je suis cependant convaincu que la première condition de succès réside dans cette phrase prononcée par Gregory Charles samedi soir dernier au centre-ville de Sherbrooke : « Si on s'écoutait... »