Le selfie. C'est « in ». C'est parfois comique. C'est parfois pratique. Mais c'est d'abord et avant tout un symptôme.
Au fil des 30 dernières années, sous le sapin, des milliers de personnes ont offert et reçu des ouvrages sur le lâcher-prise, la conquête de son soi intérieur, sur le retour vers moi, mes besoins, mes goûts, mes objectifs. Depuis une trentaine d'années, il pleut des conférences qui enseignent à cultiver son soi intérieur, à se remettre au centre de notre univers, à cultiver la performance de notre quête de bonheur.
Et ça a marché, visiblement.
Notre « moi » est devenu tellement gros qu'il fait ombrage à notre « nous » qui étouffe, en manque d'air et de lumière.
Le danger derrière tout cela est majeur. Plus on se concentre sur soi, moins on regarde autour. En société, c'est la catastrophe. Je me disais cela cette semaine en écoutant les commentaires de certains auditeurs d'une station de radio locale. On posait la question suivante : que pensez-vous de l'idée de Radio-Canada de renoncer à ses revenus publicitaires en retour d'une contribution plus haute du financement public?
Les 5 premières réponses entendues étaient déprimantes. Presque aliénantes. Je résume : on peut bien fermer Radio-Canada! Moi, je l'écoute pas, même pas Unité 9, faque, fermons ça et sauvons de l'argent!
Évidemment, je suis en profond désaccord avec cet énoncé. Mais ça, ce n'est pas grave. On n'a pas à tous être d'accord. Ce qui est grave, c'est le manque de réflexion minimale et de vision un peu périphérique. Moi, je ne regarde pas, donc, c'est inutile.
Le jour où on n'aura plus de vrai diffuseur public avec des ressources correctes, bien ce jour-là, on sera condamné à être manipulés. Complètement. Déjà que c'est bien parti, je n'ose imaginer la suite.
Qu'on regarde le modèle, qu'on diminue l'aspect divertissement, tout cela se défend. Mais, minimalement, argumentons, défendons un point, informons-nous sur ce que fait Radio-Canada au jour le jour. Pas juste un insignifiant : qu'on abolisse, moi, je l'écoute pas. Le pire ennemi des politiciens du Québec, c'est la petite équipe de l'émission Enquête à Radio-Canada. La Commission Charbonneau est une conséquence de l'émission Enquête. M. Couillard se tient sur ses gardes à cause du diffuseur public, en grande partie. Un diffuseur public est un rempart dans le maintien d'une démocratie.
Ce qui nous rend particulièrement vulnérables, c'est qu'un peuple peut voter pour Trump sur la stricte base de phrases-chocs à 140 caractères. Souvent des mensonges et des insultes, mais toujours quelque chose qui interpelle l'émotion. Pas la réflexion. Parce que, occupés à mon moi-même, je délègue tout le reste sans prendre le temps de réfléchir. Dites-vous bien que les stratèges politiques l'ont compris.
Titille le côté émotif de l'électeur et il va te laisser le champ complètement libre. Si un diffuseur public ne vient pas jouer les trouble-fête de temps à autre, ce sera le party au gouvernement.
La démocratie n'a pas été pensée comme cela. Elle compte, pour demeurer crédible et efficace, sur notre apport. Notre contribution réelle. À nous de le réaliser...
Clin d'œil de la semaine
« Trump a dit qu'il s'occuperait de tout. Bon. On l'essaie. J'ai fait mon effort. Vite, une vidéo de chat. Ahhhhh....... »