Dimanche matin. 5 h.
Benjamin, un petit-neveu d'à peine plus d'un an, ne dort que d'un œil dans la chambre d'à côté. On le garde, pour reprendre l'expression consacrée.
Il est tôt. Pas mal proche de mon heure de lever, cela dit. Comme il émet de petits sons plus ou moins conscients, je me risque à la porte de la chambre. Le simple bruit achève de le réveiller et il me tend les bras, l'air de dire : « sors-moi de là, on est le matin! » Ce que je fis...
Quelques minutes plus tard, je sens bien que sa nuit a été interrompue un brin. Je m'installe sur mon fauteuil berçant dans la verrière. À peine deux minutes après m'avoir expliqué (avec des gestes de la main et un langage que lui seul comprend), tout ce qui se passait dehors, le voilà endormi, bien appuyé sur mon épaule.
Moment privilégié.
Ce genre de moment où on trouve que ces petits êtres sont tellement dépendants. Tellement à la merci de ce qu'on peut leur faire subir. Tellement sensibles à ce qu'on peut leur offrir.
Un dimanche matin ordinaire, pour tout le reste. Un moment propice à laisser aller mes pensées au son bienfaisant de la respiration paisible d'un petit bonhomme qui a bien mieux à faire, pour le moment, que de réfléchir à toutes sortes de trucs.
Je me suis rappelé tant de moments magiques avec mes fils. Des moments où je me demandais bien de quoi leur demain serait fait.
Je me pose les mêmes questions aujourd'hui, pour Benjamin. Mais avec un degré d'inquiétude plus élevé.
Il est 5 h. Il fait encore noir. Ou gris charcoal, je dirais. Je sais que, cet après-midi, ma blonde et moi irons au rassemblement pour la Journée de la terre au parc Jacques-Cartier. Il y a tant à faire pour la boule bleue. « Elle est ronde, mais pas usée égal », me suis-je d'abord dit. L'usure est plus forte chez nous. On peut bien se targuer de posséder plein de trucs, il n'en demeure pas moins qu'on a échappé complètement la notion de collectivité, de respect de l'environnement. À l'ère du jetable, on achète, on scrape et on rachète. Et on s'en fout. On se gargarise de bien remplir nos différents bacs (ce qui est bien), mais on ne veut pas se demander si on consomme trop.
« Pauvre Benjamin. Dors. Prends des forces, ça va t'en prendre... » Je me dis ça en pensant à Monsieur Harper qui vient d'abandonner l'Accord de Kyoto. Il l'a fait en nous disant bien que ce n'était qu'une question de cible et que tous les efforts seraient investis pour améliorer notre empreinte collective. Mais, au dernier budget, le chat est sorti du sac : alors qu'on sait que ça prend, minimalement, deux ans pour bien étudier les impacts environnementaux des projets de développement, il ramène le délai à un an. Entre ça et ne rien étudier du tout, pas beaucoup de différence... L'important, c'est qu'on développe...
En même temps, on ouvre le Nord. Tous azimuts. Sans beaucoup de détails. On présente ça comme si c'était un projet de société. En fait, c'est un business , mais on refuse d'identifier les actionnaires véritables. Il n'y en a que pour le Nord, dans la bouche de Monsieur Charest. Le sarcasme me gagne et je me dis qu'effectivement, on est mieux au Nord, il n'y a plus grand-chose à scraper au sud...
Eh, puis, toute cette saga de la grève des étudiants.
Tu sais Benjamin, (ou plutôt, tu ne sais pas encore, mais je te le dis maintenant...), il faut que tu te souviennes d'un truc important : en société, il faut, impérativement, avoir une écoute honnête lorsqu'on voit des gens se mobiliser et s'exprimer. Même si on a l'impression que tout a été dit, il vaut toujours mieux se rasseoir et revoir les dossiers que de se retirer et faire la sourde oreille. Quand on envoie paître tout le monde comme Mme Beauchamp et M Charest le font présentement, on ne règle rien. En fait, on demande à la police et aux tribunaux de faire les choses à notre place. On laisse la violence s'installer et les esprits s'échauffer.
Ce n'est pas ça, Benjamin, une société efficace.
Ce n'est pas la prospérité par la surconsommation non plus, tu sais...
La terre a droit à un traitement équitable. Elle a des ressources pour nous nourrir. Pas pour nous gaver. Et, parmi les ressources les plus importantes de la terre, il y a toi. Et tous les autres Benjamin, garçons ou filles. Avec nos conneries, Benjamin, j'ai bien peur que vous deviez ramer fort. Dis-toi bien que plus il y aura de gens qui rameront dans le même sens, plus forte sera la poussée. Rassemblez-vous, comme on essaie de le faire, et mettez des enjeux au centre des préoccupations. Vous verrez, on ne peut pas perdre, dans ces conditions.
Tu es l'avenir, Benjamin. On va essayer de t'ouvrir la route.
Clin d'œil de la semaine
Si on se disait, honore les étudiants, plutôt que au Nord, les étudiants, il me semble que notre investissement pour un Québec prospère, en mode développement durable, serait meilleur...