Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie. Homme aurait mérité un H majuscule, dans ce cas-ci. Hommes et femmes, c'est souvent la même chose. Mêmes conneries. Mêmes préjugés. Même combat, à bien des niveaux.
La vie est faite de luttes, d'attaques, de protection de territoires, de jugements de valeur, etc. Elle est aussi faite de petits bonheurs, de moments tendres et heureux. Et parfois, dans le cours de cette vie. Parfois, au nom d'on ne sait trop quoi, une personne se démarque et fait preuve de plus de charisme que la moyenne. Ce qu'il dit ou d'où il vient joue très peu dans le magnétisme qu'il dégage. Il s'agit plutôt d'une sorte d'authenticité qui donne une valeur universelle à la présence de cette personne. Une authenticité qui vole un peu au-dessus de la mêlée.
Dans les années 1970, de vrais bons Libéraux, dans mon entourage, disaient de René Lévesque qu'ils l'aimaient bien. « Mais pas son otion séparatiste », ajoutaient-ils rapidement... Mais quand même, une sympathie était là, palpable, presque incompréhensible. Mais là quand même.
Puis Lévesque est mort. René, pour les intimes. Et les intimes, subitement, c'était tout le Québec. La mort avait, en moins de temps qu'il en faut pour l'écrire, filtré tout ce qu'était l'homme pour ne garder que le bon. Et pourquoi s'entend-on pour ne garder que le bon? Peut-être parce qu'une fois parti, il ne représentait plus une menace. Quelques intellectuels ont bien tenté de faire valoir que l'homme n'était pas aussi bon et fin qu'on le disait (Pierre Bourgault avait gueulé fort, je me souviens). Mais la pluie de ses paroles n'avait même pas humecté la pensée commune.
La mort, c'est cette bête fascinante qui trie les souvenirs, les marque d'un sceau indélébile. La mort, ultimement, fait en sorte qu'on a le loisir de se faire une image d'une personne, la déposer dans sa mémoire vive, et ce, sans crainte que quelqu'un ne tente de la défaire.
Il arrive que des humains marquent l'imaginaire collectif. Lévesque l'a fait solidement. Il arrive aussi que certains humains aient un don pour la phrase qui reste. « J'ai jamais été aussi fier d'être Québécois que ce soir », lançait Lévesque en 1976. Puis, en 1980, alors que des milliers de partisans déçus attendaient de lui un réconfort. Il a lancé le fameux : « Si je vous comprends bien, vous êtes en train de me dire à la prochaine fois! » Tout le monde l'a encore en mémoire.
Parfois, au fil des humains qui foulent notre sol, il y en a qui marquent le pas un peu plus que les autres.
Sans contredit, Jack Layton en était un. Le filtre de la mort a déjà fait son œuvre. Ceux qui le traitaient de populiste et d'espèce de clown politique en mai dernier ne disent rien, maintenant. Ils regardent fixement le sol, essayant de comprendre pourquoi, eux aussi, ils sont émus.
Et ce Jack (un bon Jack, disait ma mère, quand elle parlait de quelqu'un qui était, à ses yeux, de bonne souche) a su saisir l'occasion de servir la phrase (un court paragraphe, en fait) qui fait de lui un de ces rares hommes à savoir frapper fort quand c'est le temps :
« Mes amis, l'amour est cent fois meilleur que la haine. L'espoir est meilleur que la peur. L'optimisme est meilleur que le désespoir. Alors, aimons, gardons espoir et restons optimistes. Et nous changerons le monde. »
La mort demeure un grand mystère. C'est un filtre à bienfaits extraordinaire, un traitement-choc qui devient souvent (et un peu paradoxalement) bénéfique pour l'entourage qui doit s'arrêter, se regarder, comprendre. Qui doit continuer, surtout. Le noir est la couleur qu'on donne généralement à la mort. Étrangement, de ce noir surgit souvent une lumière.
C'est peut-être un peu ça que Félix Leclerc voulait signifier quand il disait : « c'est grand la mort, c'est plein de vie dedans.»
Clin d'œil de la semaine
Les organismes craignent d'avoir perdu une voix forte en Jack Layton, à Ottawa. Ils ont raison d'avoir peur. La voix n'est plus là et l'oreille de Harper n'entend rien...