Une jeune fille se suicide.
Elle est victime d'intimidation à l'école.
Soudainement, le Québec s'embrase et la fumée secondaire recouvre même le Canada...
Plus tôt, en octobre, un événement s'est produit dans la vie de Marjorie. Elle s'est bagarrée avec une amie. Une amie qui me l'était plus, en fait. Jade. La toile de fond de la bataille? Un garçon dont les deux jeunes filles sont amoureuses. Lors du combat, la tête de Marjorie est frappée contre les casiers. Des gens interviennent et des suspensions surviennent. Une journée pour Marjorie, cinq jours pour Jade. Après ce combat, Marjorie a sombré lentement dans le désespoir. Jusqu'à la pendaison.
L'équation est simple aux yeux de milliers de citoyens : comme Marjorie a mis fin à ses jours après la bagarre, eh, bien, Jade est responsable de la mort. Du suicide.
Il y a quelques années, pareil événement aurait alimenté les lignes ouvertes. Les échanges auraient été acerbes. Pour la majorité des citoyens, la chose aurait été débattue au bureau, le matin, en prenant un café. Ou à la pause. Mais dans un réseau social restreint.
Maintenant, les échanges se font sur Facebook et autres réseaux sociaux. Et le côté sombre de Facebook devient alors très clair. Bien que le réseau vous fasse croire que vous communiquez avec des amis et que l'environnement est propice aux confidences, il fait parfois en sorte que la planète a accès à vous en moins de temps qu'il n'en faut pour envoyer un texto... C'est comme si vos échanges entre collègues, le matin, étaient tenus devant des milliers de personnes et que tout le monde pouvait entendre tout le monde et pouvait aussi s'adresser à tout le monde. Mais il y a pire. Il semble que le fait d'écrire sur Facebook déresponsabilise complètement la personne qui écrit.
Cette semaine, Jade a été inondée de plus de 500 messages haineux sur sa page Facebook. Des messages de partout au Québec et au Canada... Elle était devenue une tueuse, elle devait mourir, souffrir, payer pour ses actes... Des messages incendiaires émis par des gens qui savent qu'ils ne risquent rien, qui n'ont pas à assumer leurs actes. Des gestes de lâches, donc. Des paroles irresponsables.
Votre réseau d'amis Facebook cache des vices qu'il faut comprendre. Les gens qui s'en servent devraient aussi mesurer leurs propos, mais ça...
Quand on creuse l'histoire de Marjorie, on s'aperçoit qu'elle a vécu des épisodes d'intimidation depuis des années. C'est là-dessus qu'il faut travailler. Tout ce que les amis Facebook ont réussi à faire, cette semaine, c'est d'intimider à leur tour. C'est comme tenter d'éteindre un feu en y jetant de l'essence.
J'ai la profonde conviction qu'on ne se suicide pas pour une bagarre près d'un casier. À la limite, cet épisode est une goutte qui s'est ajoutée dans un vase qui était déjà plein. Le vase a débordé à ce moment, mais il aurait probablement débordé tôt ou tard.
Tout ce qui entoure ce suicide, y compris les réactions après l'événement devrait nous servir de miroir social: on est bons pour gueuler haut et fort, pour accuser à qui mieux mieux, pour traiter autrui de tous les noms. Mais on est moins bons quand vient le temps d'agir. De s'impliquer. On retourne alors rapidement dans notre bulle protégée par nos droits et libertés individuelles. Et on se dit « qu'au moins, moi, je lui ai dit à la p'tite... »
Je mets au défi n'importe lequel des individus qui a vomi des propos haineux sur la page Facebook de Jade de venir lui dire en face, avec la même véhémence que dans leurs propos virtuels. Ils verraient qu'un filtre s'installe toujours quand on s'adresse directement à une autre personne. Une petite gêne qui fait que la communication devient positive.
C'est de ce filtre dont je m'ennuie quand je vois des aberrations sur les réseaux sociaux électroniques ou que j'entends les animateurs de radiopoubelle, ces gueulards qui sont éternellement outrés. Et tous les possesseurs de vérité qui bloguent sur le web, bref, ceux qui se pensent tellement bons d'ainsi répandre leur venin en passant une bonne partie de leur vie à gueuler pour gueuler.
Le drame de Marjorie ne se résume sûrement pas à un incident. Il est probablement la conséquence fatale d'une série de frustrations, d'échecs et d'incompréhensions. Qui suis-je pour en juger? Ou pour condamner Jade?
Le suicide n'est pas une solution. La preuve? Nous avons perdu une vie, cette semaine. Et nos problèmes de fond restent entiers...
Clin d'œil de la semaine
Mon père répétait : on ne doit pas juger quelqu'un sans avoir marché un mille dans ses souliers.
Rien à ajouter, votre honneur...