La saison estivale est propice au rattrapage télévisuel, les jours de pluie notamment. L'occasion est propice pour commenter les séries télévisées et les films qui se consacrent à décrire et à faire vivre la scène politique américaine.
Il faut dire que cela est encore plus intéressant sous la présidence de Donald Trump puisque ce dernier nous fait vivre une présidence qui sort des sentiers battus et que parfois la fiction semble bien en deçà de la réalité du monde de Donald Trump. Réflexions fugaces autour de quelques œuvres américaines de fiction politique et de la présidence de Donald Trump.
Fiction et réalité
Si l'on cherche à comprendre la relation entre la fiction et réalité, on s'attardera d'abord à comprendre que le rapport entre ces deux réalités est pragmatique et cognitif. Le récit narratif bâti sur le mode de la fiction se veut un instrument d'interprétation pouvant nous aider à comprendre le monde qui nous entoure. Souvent dans la vie de tous les jours, nous interprétons la vie comme un roman. La question que nous posent les œuvres de fiction est : que se passerait-il si nous interprétions la réalité comme si elle était constituée d'éléments fictionnels ?
C'est la question à laquelle a répondu Ahmed Safran dans le journal français Libération en décembre 2016 : « Umberto Eco a beaucoup réfléchi au lien entre réalité et fiction. Dans sa vision, la fiction narrative nous permet d'approfondir la connaissance du monde. Grâce au récit, nous donnons de l'ordre, du sens, aux expériences de la réalité. Nous appliquons le même processus et les mêmes compétences que ceux que nous utilisons lorsque nous lisons et analysons un roman. L'une des fonctions de la fiction narrative est de nous permettre de nous donner du sens à tout ce qui se passe dans notre vie. À travers la narration des faits, les récits nous demandent de les interpréter pour chercher à leur attribuer un sens. La narrativité nous offre la possibilité d'expliquer tout ce qui nous arrive par le biais des expériences affectives et cognitives mûries grâce à des œuvres fictionnelles... Au contraire, il affirme qu'un rôle décisif revient à son exégète. Il s'agit de formuler des stratégies et de parcours de sens afin d'interpréter l'ouvrage par rapport à son bagage culturel et aux horizons d'attente de son époque. »
L'idée est lancée : les œuvres de fiction sont des témoins privilégiées des horizons d'attente d'une époque. La question que je pose en ce lendemain de la fête du jour de l'indépendance américaine du 4 juillet dernier est simple : où en sont nos voisins du sud avec leurs attentes ou mieux encore avec le rêve américain ? La réponse est complexe, mais révélatrice d'une époque où Donald Trump est devenu président de l'un des pays les plus puissants du monde.
Les œuvres de fiction en vogue sur la société politique américaine
Les œuvres de fiction, par les images qui sont produites, par les émotions transmises nous donnent à voir une réalité imaginée, c'est-à-dire « la face cachée des choses » que recouvrent les discours et des représentations figées. L'homme prisonnier de sa condition cherche à transcender par un effort permanent qui devient l'image de sa grandeur, de son propre néant, il tire son être. Ainsi, les œuvres de l'art, en général, expriment bien la contradiction propre de l'homme qui ne devient homme qu'en humanisant le monde. Mais quel monde est projeté comme humanité par les œuvres de fiction américaines ?
Dans la série House of Cards, c'est l'ambition et le cynisme d'une classe politique pour qui la fin justifie les moyens qui sont mis en scène. Une série où le faux triomphe sous un fond de scène de violence et de déshumanité. Dans la série Survivant désigné, c'est au contraire la lutte du bien et du mal personnifié par un président qui représente monsieur tout le monde et qui a été propulsé à ce poste par le hasard de la violence politique américaine. Le cynisme est bien présent puisqu'au fil des épisodes le pouvoir changera l'homme au point où il emploiera les mêmes moyens que ses adversaires pour conserver le pouvoir à l'issue d'une campagne électorale chaudement disputée. Le cynisme sort grand gagnant.
Dans l'autre série que j'ai choisie pour discuter de ce sujet, il y a l'œuvre de l'écrivaine canadienne Margaret Atwood, La servante écarlate mise en scène par Bruce Miller.
Une dystopie franchement pessimiste du devenir de la société américaine et qui fait écho à la montée du puritanisme chez nos voisins du sud. Rappelons l'histoire de cette dystopie à l'aide du résumé que l'on peut retrouver sur Wikipédia : « Dans un avenir proche, la combinaison de pollutions environnementales et de maladies sexuellement transmissibles a entraîné une baisse dramatique de la fécondité qui a pour conséquence un taux de natalité extrêmement bas. Les "Fils de Jacob", une secte politico-religieuse protestante de type restaurations et aux accents fondamentalistes, en a profité pour prendre le pouvoir, détruisant la Maison-Blanche, la Cour Suprême et le Congrès lors d'un coup d'État.
Dans cette version dystopique et totalitaire des États-Unis, la République de Gilead, les dissidents, les homosexuels et les prêtres catholiques sont condamnés à mort par pendaison. Les relations hommes/femmes obéissent dorénavant à des règles très strictes. Alors que les hommes occupent toutes les positions du pouvoir, les femmes ont été démises de leur statut de citoyennes à part entière. Elles ne peuvent ni travailler, ni posséder d'argent, ni être propriétaires, ni lire. Elles sont catégorisées selon leur fonction : les Épouses (habillées en bleu/vert) sont les femmes des dirigeants, les Marthas (en gris) s'occupent de la maisonnée et les Servantes (en rouge pourpre) sont uniquement dédiées à la reproduction, sous la surveillance rigide des Tantes (en brun). Les Servantes sont affectées au sein des familles dirigeantes, jusqu'à ce qu'elles mettent au monde les enfants tant désirés. La série suit le parcours de June, une femme devenue Servante sous le nom de Defred (car au service du commandant Fred Waterford). »
L'Amérique, une société divisée et profondément pessimiste
Si l'on prête de la crédibilité à la thèse d'Umberto Eco selon laquelle la fiction est un baromètre assez juste des horizons d'attente d'une société, nous ne pouvons qu'arriver à la conclusion que les États-Unis vivent une décadence accélérée de leur société et que le rêve américain qui fut si attrayant pour de nombreux pays et humains n'est plus qu'un souvenir. Ce n'est pas un hasard si lors du jour de la fête nationale du 4 juillet dernier, le président actuel Donald Trump a politisé comme jamais dans l'histoire ce moment intense de patriotisme américain, valeur au cœur de l'identité profonde de l'Amérique.
Nous faisons partie de ce rêve américain nous aussi. Avec la crise environnementale qui s'accentue, les désaccords politiques de plus en plus clivants, nos incapacités à entretenir le dialogue pour assurer un meilleur vivre-ensemble, nous vivons une période sombre de la vie des démocraties libérales partout en Occident et tout particulièrement aux États-Unis d'Amérique. L'élection de Donald Trump n'est pas la cause, mais le révélateur. La réalité dépasse les fictions politiques américaines.