Dimanche de la fête des Pères. Il y a file au restaurant spécialisé dans les déjeuners.
J'ouvre tout de suite une parenthèse : malgré le fait qu'il en ouvre tous les trois mois, il semble qu'il y ait très souvent une file dans ce type de restaurant! En ce dimanche de la fête des Pères, ça ne fait pas exception.
Cette parenthèse en implique une deuxième : la file du resto me fait penser à mon papa qui a toujours refusé de la faire : « j'ai vu du monde faire la file pour la soupe populaire, je n'attendrai pas en file pour aller dans un restaurant! » C'est dans ce type de souvenir qui remonte que je me dis qu'il me manque.
Fin de cette deuxième parenthèse.
Dans la file du restaurant, donc, il y a plein de gens qui, en ce matin de fête des Pères expriment leurs valeurs familiales profondes. Ils sortent papa, désireux de passer du temps de qualité ensemble.
Troisième parenthèse : il a bien fallu ajouter un qualificatif au mot temps puisqu'en quantité, le temps n'est plus disponible. Il a donc été démontré (et documenté?) qu'une petite quantité de temps de qualité équivaut largement à une grande quantité de temps de moindre qualité.
Revenons à l'histoire. Donc, malgré une réservation, une petite famille (disons qu'ils sont 5 - deux fils -en couple- et le papa-veuf-) fait la file. Ça fait quatre minutes 20 secondes (à peu près), que le noyau familial attend. Le ton commence à monter.
« On avait réservé! Vous n'avez aucun respect pour vos réservations? »
« Je suis désolée, mais c'est un peu plus long que prévu! »
« Ben là, eux autres, ils ont presque fini leur café, ils peuvent pas partir? Ils niaisent, là! Ils ne voient pas qu'ils bloquent tout le monde ? »
« Un peu de patience, monsieur... »
Quatrième parenthèse : plusieurs personnes attachent une importance capitale à la fête des Pères. Certains ressentent même l'obligation d'acheter un cadeau. Dans bien des cas, il semble que dans les mots « importance capitale », le 10h à midi est l'importance, et le fait que ça ne dépasse pas midi est capital!
Un des fils dans la file se retourne vers celle qui semble être sa conjointe : « câlisse, moi, le restau, je veux ben, mais là, va falloir faire le Costco pis j'ai ma pelouse à faire. Pas le temps de niaiser dans l'entrée ben longtemps, moi là! »
On sent qu'il y a massacre de l'humeur, ici. Il y a fort à parier que le repas sera trop ci ou pas assez ça.
Cinquième parenthèse : dans notre vie pressurisée, on finit par devoir tout mettre dans des cases. Et une case, ça vient avec un cadre. Et là, la case disponible dans l'espace-temps familial pour un déjeuner destiné à démontrer l'attachement aux valeurs familiales profondes est de deux heures, transport et préparation inclus...
Un peu en retrait de la conversation, le papa regarde un peu partout. La décoration semble l'intéresser pas mal, subitement. Il ne commentera pas. Qu'il soit invité, c'est déjà beau!
Sixième parenthèse : je ne suis pas très fête des Mères ou des Pères. Je ne déteste pas les occasions de se rencontrer, mais ce n'est pas obligatoire que ce soit à date fixe. Cela dit, je dis cela parce que mon contact avec mes enfants est régulier (ça, c'est important pour moi). Mais je ne peux m'empêcher de constater que les dimanches qui sont marqués d'une fête sur le calendrier, les stationnements des résidences pour personnes âgées sont pleins. Et pas mal vides les autres dimanches.
Dans ce contexte, vive la fête, toute commerciale puisse-t-elle être!
Bon. Fin de l'histoire.
Le fils dit, à voix plutôt basse, à sa conjointe : « en tous les cas, si la conne (lire la serveuse) me redemande d'être patient encore, je vais lui dire « eille, tu comprends pas, là, ma chouette! On a réservé, faque grouille-toi pis respecte tes réservations! ». Y a toujours ben des limites, ostie de perte de temps de marde... »
À peine le temps de terminer sa phrase et la serveuse les invite à prendre place. « Enfin! », dira le bougon d'office.
Quelques minutes plus tard. Le papa ouvre une carte où il est imprimé : Merci, papa, de nous avoir transmis les valeurs d'honnêteté, de compréhension et de respect! C'est le plus legs que tu pouvais nous faire! » Le papa, un peu perplexe, remercie ses enfants en tâtant la carte cadeau de Canadian Tire de 60$. En fond de scène, un de ses fils murmure à l'autre : « Ah! Oui, tu me dois trente piastres... »
Septième parenthèse : la réaction du papa me rappelle le mien quand il avait dit : « on a élevé nos enfants de façon égale, mais ils n'en ont pas profité également! ». C'était une fois où j'avais été moins fin...
Conclusion : je ne sais pas trop s'il a eu le temps de faire son gazon après son Costco, mais voilà que le fils pourra se vanter d'adhérer aux valeurs fondamentales de la famille quand il racontera sa fin de semaine à ses collègues du bureau.
Pis ceux qui sont pas dans la famille? Ben qu'y man...
Allez, je blague! Ou pas, c'est selon!
Et rappelons-nous que notre papa, quand il est encore là, y est toute l'année. Pas juste un dimanche au resto...
Clin d'œil de la semaine
Son papa et sa maman étaient très riches. Il a vécu entre « parents t'aises » (Sol)