L'époque est extrême.
Une époque, pourtant, ne peut être extrême en soi. Une époque est une époque. Comme une année est une année sur la ligne du temps.
C'est tout.
« Qu'est-ce que tu veux que je fasse, on vit dans une époque extrême. J'y peux rien, je suis le courant. »
Je le sais bien.
Et le courant est fort. Même le meilleur nageur risque de ne pas s'en sortir.
Une époque que l'on a rendue extrême, donc.
Décembre me rappelle invariablement les extrêmes. Du don généreux qu'on fait au coin de la rue en passant par la cueillette de denrées essentielles pour bien des familles, en passant par les campagnes caritatives comme celles d'Aube-Lumière, cette maison de fin de vie de Sherbrooke, tout y passe.
Et tout cela est juste et bon.
Mais on est drôles, quand même. Drôles dans le sens qu'on s'émeut aisément devant la vidéo qui montre le visage reconnaissant de celui qui a moins de chance et qui reçoit un don, mais on ne s'émeut pas tant du fait qu'on arrive à Noël à moitié brisé par les vagues de la performance qui se cassent sur nous au fil des mois.
Bêtement, c'est comme si le premier justifiait le deuxième. Comme si le moins « chanceux », en recevant de nous, justifiait que notre « chance » nous coûte si cher en temps et en santé.
L'extrême, c'est cette chose qui finit par nous faire échapper l'essentiel. L'essence des choses.
Prenez le vin.
C'est souvent entre amis, autour d'une table chaleureuse, qu'on a goûté au vin la première fois. Vous savez, cette désinvolture alors qu'on se calait confortablement contre le dossier de notre chaise, faisant tourner nonchalamment notre coupe de vin entre nos doigts, en laissant les doux effets du nectar faire tanguer le réel? Et vous savez, aussi, cette façon de régler le sort du monde qui s'échappait de ces soupers?
Aujourd'hui, on va d'abord étudier le vin dans la bouteille, nos papilles vivant dans un palais dont le raffinement empêche le plaisir en bas d'un certain niveau. D'un certain cépage. Si le prince n'est pas satisfait de son palais, un brouillis s'installera dans son appréciation du moment et le plaisir sera exclu. On ne sert pas de la piquette à quelqu'un qui travaille si fort et performe si bien! Et chacun finit avec sa définition de la piquette.
L'essentiel prend le bord.
Et pour ce qui est de régler le sort du monde, c'est simple: si tout le monde faisait comme nous, ça irait mieux. Réglé.
L'époque est extrême.
Ce qu'on en fait l'est, c'est sûr.
On achète notre poinsettia pour Aube-Lumière en se disant qu'on contribue à une cause juste. Et c'est vrai.
Et si on se donnait le défi extrême de faire en sorte que cette justesse n'attende pas qu'on soit allongé dans le lit de notre fin de vie pour trier l'essentiel du non essentiel? Pour se demander ce qu'il reste de nous, à ce moment précis, alors que l'argent et le clinquant du quotidien ne comptent plus?
Voilà un défi. Un défi extrême.
C'est peut-être parce qu'il est extrême qu'il va nous séduire, après tout.
Clin d'œil de la semaine
Me semble que les soupers entre amis étaient plus simples avant. On doit être bouchonnés...