Lundi soir, la population du Québec s'est
donné un nouveau gouvernement au terme d'une campagne électorale qui a été
l'une des plus dures et les plus sales de l'histoire politique récente du
Québec.
Ce gouvernement sera libéral et majoritaire. Philippe Couillard a le
lourd défi d'assumer les tâches de premier ministre de toutes les Québécoises
et de tous les Québécois. Dans les circonstances actuelles où la confiance des
gens est à son plus bas à l'égard des institutions démocratiques, le défi est
colossal. Le Québec est la seule nation francophone en Amérique du Nord. C'est
une mission énorme que de faire prospérer cette société tout en assurant la
pérennité de sa langue et de sa culture dans le respect de sa diversité et du
défi que pose le métissage de sa population. La population dans sa grande
sagesse a fait le pari Couillard.
La
longue durée...
Le grand historien français Fernand Braudel
a été celui qui a donné à notre discours historiographique le concept de longue
durée dans sa thèse célèbre sur la Méditerranée et le monde méditerranéen. Pour
Braudel, les nations s'inscrivent dans la foulée des civilisations. Il rejette
dans son analyse les événements brefs et ponctuels pour prioriser à la place
les faits de longue durée. Suivant Braudel, nous dirons que la nation
québécoise s'inscrit d'abord dans un espace, une aire culturelle à laquelle
sont rattachés des biens ayant une cohérence entre eux. La nation québécoise
présente aussi une cohérence et une permanence de traits collectifs qui s'inscrivent
au cœur de son identité. Pour comprendre le sens de son histoire, il faut
examiner soigneusement les structures du quotidien des gens, les jeux de
l'échange et le temps du monde.
Pour durer, une nation comme la nôtre doit
parfois endurer et surtout progresser pour perdurer. Lorsque l'on s'attarde au
choix des Québécoises et des Québécois à la présente élection, on ne peut
ignorer qu'elle a choisi la prospérité économique plutôt que les querelles
constitutionnelles. Est-ce à dire que nous sommes comme se plaisent à le dire
certains déçus « un petit peuple qui a choisi par lâcheté de s'enferrer
dans la médiocrité ambiante. » Vous ne serez pas étonné que je réponde un
retentissant NON à cette question.
Le
sens de l'histoire
S'il est vrai que le Québec forme une
nation distincte en Amérique du Nord, il n'en demeure pas moins vrai que
celle-ci connaît de profondes transformations depuis les vingt-cinq dernières
années notamment sous l'influence d'une forte immigration et d'un phénomène
mondial de métissage des populations dans les grandes cités du monde comme
Montréal.
Lorsque nous disons Nous les Québécois,
nous évoquons au fond, sans le dire et sans y réfléchir vraiment, les
descendants de souche française qui représentent environ six millions de membres
de cette nation québécoise. Les deux autres millions de membres de cette nation
sont issus de l'immigration ancienne ou récente ou des descendants d'Anglais,
d'Écossais et d'Irlandais. Cela comprend aussi les membres des nations
amérindiennes qui comptent pour environ 100 000 personnes sur l'ensemble
du territoire québécois. Les francophones de souche ont toujours été divisés
depuis le gouvernement Baldwyn-Lafontaine sur leur stratégie eu égard au
Canada. Aujourd'hui, c'est encore pareil. Relativement à cette césure politique
des francophones de souche entre eux quant à leur avenir, devant cette idée de
faire notre place au Canada par la négociation et la patience ou quitter ce
pays pour en fonder un bien à nous, comment voulez-vous que les citoyennes et
citoyens québécois issus de l'immigration récente ou ancienne choisissent un
camp? Surtout s'ils nous perçoivent comme une nation frileuse qui craint
l'avenir et qui veut interdire des signes ostentatoires religieux. Les
résultats de cette élection étaient fort prévisibles. Entre la proposition
d'une vision de société ouverte sur le monde, accueillante aux autres ou celle
du repli sur soi et de l'interdiction, le choix était simple. Cela est d'autant
plus vrai que le discours porté par les ténors du parti québécois faisant des Québécois
des victimes de leur histoire n'est plus adéquat.
L'exemple
du peuple acadien
L'historien Ronald Rudin vient de publier
un excellent ouvrage chez Boréal intitulé :L'Acadie entre le souvenir et
l'oubli. Un historien sur les chemins de la mémoire collective.S'inscrivant dans les sentiers de l'histoire culturelle et s'appuyant sur
les travaux de Benedict Anderson qui voit les nations comme des communautés
imaginées, Rudin enquête sur la fabrication des fêtes du 400e anniversaire
de naissance de l'Acadie et sur le 250e anniversaire de la
déportation des Acadiens. Il veut comprendre comment chacune des communautés et
des individus qui ont participé à ces commémorations voient le passé acadien.
Rudin dans ce livre fait la démonstration sans équivoque que les commémorations
sont des constructions identitaires qui révèlent des visées conflictuelles
derrière l'histoire officielle qui nous est racontée.
Une citation est particulièrement
révélatrice : « Cependant, avec le temps, l'exaltation de la
souffrance a fini par lasser, et celui qui se cherche une place dans l'histoire
doit désormais prouver que son peuple s'est montré résolu dans l'adversité,
bref, qu'il a été acteur plutôt qu'objet... En matière d'historiographie, on est
passé de la ventilation des griefs du passé chez les femmes, les ouvriers et diverses
minorités à un portrait où ces groupes affichent une certaine souveraineté même
lorsqu'ils étaient aux prises avec les difficultés les plus pénibles »
(p.346).
Au Québec, présenter l'histoire du Québec
comme une succession d'épreuves où le peuple a été instrumentalisé par
l'Église, les Anglais ou les méchants Canadiens ne passent tout simplement pas
auprès d'une population fière, résiliente, accueillante et confiante en son
avenir. C'est en grande partie l'explication de la défaite de celles et de ceux
qui voulaient notre repli et qui proposaient l'interdiction comme politique
d'accueil.
Non,
ce n'est pas la fin du monde...
Yves Desgagné a prédit sur son fil Twitter
la fin du monde si les Québécois élisaient le Parti libéral du Québec. Les
Québécoises et Québécois ont refusé de croire de telles sornettes. Ils ont
plutôt choisi quelqu'un pour relancer l'économie du Québec, car la meilleure
voie pour garder toutes les possibilités ouvertes pour l'avenir c'est de
retrouver la prospérité. Une fois le Québec remis sur ses pieds, nous aurons
tout le loisir de choisir le meilleur avenir pour assurer la pérennité de la
culture et la langue française en Amérique du Nord. La prospérité et le
rétablissement d'un climat plus serein pour mener nos débats sont ce qu'ont
choisi les Québécoises et les Québécois pour durer... dans la longue durée!