C'est arrivé alors qu'on jasait. Comme ça. De tout et de
rien. Il y a maintenant quelques mois, je crois bien. Une amie me
demande : « Tu trouves qu'on parle trop de la mairesse de
Lac-Mégantic, toi? »
La question se posait. La dame, fort sympathique, venait de
passer, à heure de grande écoute, à l'émission Tout le monde en parle.
J'imagine qu'elle avait fait de même aux autres grands réseaux de télé. Et de
radio. Elle a même fait une apparition au Bye-Bye (fort réussie, d'ailleurs!).
Je n'ai pas vraiment répondu à la question. Ou peut-être un
« je ne sais pas trop... » évasif. Vous savez, le genre de réponse qui
vient clore un sujet, mais qui implique que la question demeure entière et
mijotera, à feu doux, au fil des semaines et des mois à venir.
En fait, la question contenait deux volets. Faisait-on de
Madame la Mairesse une héroïne? Autrement dit, en était-elle venue à prendre
plus de la place que la tragédie que ses
citoyens ont vécue?
L'autre volet, c'est celui de la tragédie. Est-ce que la
couverture médiatique n'est pas devenue trop forte? Trop intense? En
sommes-nous rendus à ne parler que de cela, sous tous les angles possibles,
pour le plaisir d'en parler? Faisons-nous, en d'autres mots, du "survoyeurisme"?
Les deux volets sont intéressants.
Et ils me ramènent ailleurs.
Nous vivons dans un monde où le spectacle est de mise. Bien
appuyés par des médias sociaux explosifs, les médias traditionnels multiplient
les manchettes. Il en faut toutes les heures et toujours de plus en plus
croustillantes.
Et, comme il est possible de faire converger toutes les
plateformes dans une direction donnée, on donne à la nouvelle une allure
sensationnelle. Le moindre geste devient un événement. Les blogueurs disent les
« vraies affaires », se souciant plus de la forme de leur écrit que
de sa substance.
Toute cette apparence explosive vient nous faire échapper un
pan complet de ce qui était une planche de salut, pourtant. À force de se faire
mitrailler de nouvelles et de sujets plus ou moins anodins, on échappe la
mémoire à moyen et long terme.
Au Québec (comme ailleurs, probablement), on ne se souvient
plus. On a beau le lire au derrière de chaque voiture qui nous précède dans le
trafic, on ne se souvient plus.
J'exagère?
J'ai fait le test, ces jours-ci. Je me suis demandé quels
étaient les éléments importants des dernières années, et j'ai essayé de les
replacer dans le temps.
Le conflit étudiant est ressorti rapidement. Peut-être
suis-je le seul dans cette situation, mais toujours est-il que l'événement me
semblait lointain. C'était 2011, 2012? Comment ça a fini, cette affaire-là?
Mieux, est-ce que c'est fini? Il me faut réfléchir et remettre les blocs du
casse-tête en place pour refaire l'histoire. Comme si j'avais vécu tout cela il
y a des années.
C'est un bien étrange sentiment.
Le conflit avait revêtu un caractère exceptionnel et voilà
qu'il se dissipe dans la mémoire collective comme un brouillard chassé par une autre
journée qui se lève.
Le mitraillage d'informations diverses et spectaculaires
affecte donc ma mémoire à moyen et long terme.
Fort de ce constat, je réponds donc à la question de départ.
Non, Madame la Mairesse n'est pas trop vue et entendue dans les médias. Primo,
par son attitude (qui n'a rien d'égocentrique) et, secundo, par la nécessité de
se souvenir que tout cela est directement lié à une mise de côté des
responsabilités propres aux entreprises et aux gouvernements.
Quand j'entends le Gouvernement fédéral dire qu'il resserre les
règles de sécurité quant à conception et la fabrication des wagons identifiés
dans l'explosion, mais qu'il ne fera rien pour ceux qui roulent déjà, je me
dis : continuons de parler de la tragédie de Lac-Mégantic. Sinon,
collectivement, on va l'oublier, nos dirigeants vont constater que le bon
peuple s'est rendormi et les choses ne changeront pas.
Clin d'œil de la semaine
L'information en temps réel, jouée en une multitude de
petits clips intenses me fait penser à un four à micro-ondes : la chaleur
vient rapidement, mais ne demeure pas longtemps...