Duel, film d'action de Steven
Spielberg, diffusé dans les années 1970, une adaptation d'une nouvelle
homonyme signée Richard Matheson. L'action se passe dans le désert de la
Californie. Un homme sans histoire, mais dominé par sa femme se retrouve
poursuivi par un camion, dont on ne voit jamais le visage du conducteur joue le
rôle du bourreau. Un film qui nous tient sur le bout de notre siège et qui
révèle déjà le grand talent de Spielberg. On ne pourrait trouver de meilleures
métaphores pour essayer de comprendre les angoisses et le ras-le-bol de
milliers de Canadiennes et de Canadiens pris en otage par des camions notamment
depuis plus de deux semaines dans la ville d'Ottawa. (Cette chronique est
écrite le 13 février 2022.) Encore aujourd'hui, les autorités peinent à
rétablir l'ordre contre cette colère organisée en manifestation et en siège à
l'encontre des mesures sanitaires et les mesures mises en place par les
gouvernements pour combattre la pandémie de la COVID-19. Cela met la table à
une réflexion sur l'état des lieux démocratiques au Canada.
Bilan
gouvernemental en matière de pandémie
Je l'ai écrit souvent dans le cadre de
cette chronique. Les différents gouvernements ont fait tout leur possible pour
protéger la santé et la vie de la population sous leur responsabilité contre ce
virus mortel qui a tant sévit. Pour y parvenir, les gouvernements ont dû
restreindre nos libertés, fermer des pans entiers de l'économie et dépenser des
sommes astronomiques pour procurer des équipements de protection aux personnels
de la santé, soutenir financièrement les individus et les entreprises victimes
de cette crise sans précédent et acheter des vaccins à grands frais aux
compagnies pharmaceutiques qui ont réalisé l'exploit de développer un vaccin
efficace contre ce virus pour nous préserver de ses effets les plus graves et
éviter à plusieurs une mort certaine. Au moment où j'écris ces lignes, cette
pandémie est loin d'être terminée. Le variant Omicron fait rage et il emporte
quotidiennement de nombreuses vies humaines au Québec et au Canada. En même
temps, notre société fait face à une vaste campagne de désinformation. Des
groupes extrémistes et antidémocratiques, appuyés par des forces obscures
internationales, ont profité de l'occasion pour déstabiliser encore plus les
démocraties occidentales en prenant appui sur la misère réelle des populations
qui voient leurs vies mises sur pause. Nous sommes tous à fleur de peau, nous pointons
nos voisins comme responsables parce qu'en temps de crise, il faut identifier
un coupable. Plus que jamais, nous sommes fragiles. Si nous sommes fragiles,
nos démocraties le sont aussi. C'est le terreau fertile aux événements de
désobéissance que nous voyons chez nous comme ailleurs. Il faut prendre un pas
de recul et comprendre où nous en sommes et surtout pourquoi nous en sommes là.
Le
bris de confiance de la population envers ses institutions et ses élus
Ce n'est pas la pandémie qui
est responsable de l'état actuel des choses. La pandémie est plutôt un
révélateur d'une crise des consciences plus profonde. Je l'ai écrit souvent
dans cette chronique, nous sommes animés d'un individualisme sans précédent,
nous ne voulons plus que du pain et des jeux et nous avons perdu, quoi qu'en disent
nos élus, le sens de la solidarité. Devant un danger réel comme la pandémie,
nous avons peine à nous rassembler pour faire front commun même s'il faut le reconnaître,
la société québécoise fait figure de modèle dans ce portrait sombre de
l'humanité au 21e siècle. Nous avons perdu foi en nos
institutions et en nos élus. Le terrain est fertile aux démagogues, aux
populistes de tout acabit. Les outils d'information nouveaux permettant de
s'exprimer comme sont les réseaux sociaux libèrent la parole et la haine se
distille à coup de tweet et de post. Pas de garde-fou médiatique
pour calmer le jeu. La haine et la colère se répandent et s'insinuent dans nos
âmes et nos consciences. Si une telle chose est devenue possible ce n'est pas
seulement parce que nous sommes fragiles aux mensonges et aux manipulations,
mais parce que nous avons aussi de bonnes raisons de nous méfier de ceux qui
nous gouvernent, qui nous ont tant promis et qui nous ont si souvent déçus. La
démocratie est en crise. La pandémie ne fait que nous révéler ce que nous
sommes.
La
cacocratie et le néo-libéralisme
Je viens d'achever de lire
un essai de Michel Lincourt paru en 2020 aux Presses de l'Université Laval et
intitulé : La cacocratie ou la démocratie assassinée par le mensonge.
Un essai intéressant qui s'inscrit dans les sentiers des travaux d'un Thomas
Piketty et qui fait une démonstration convaincante des malaises que nous
retrouvons dans notre monde. Le point d'ancrage de l'analyse de Lincourt est
une critique acerbe du néo-libéralisme et de la financiarisation de l'économie
capitaliste libérale. Avec clarté et beaucoup de détermination, Michel Lincourt
fait le procès des grands de ce monde qui n'hésitent pas à sacrifier la vie
pour leurs bénéfices. Voici ce qu'en dit Josiane Boulad-Ayoub dans la préface
du livre : « Ainsi, Michel Lincourt déconstruit, tour à tour, la Toile qui
envahit tous les recoins de nos activités, la propagande commerciale qui nous
aveugle. Ensuite, bas les masques, les grands faux, les grands mensonges de
l'histoire écoulée et contemporaine, sont cités au banc des accusés. Voici défiler
les sanglants coupables qui nous enfoncent de plus en plus dans l'immense
marécage où nous vivons et qui a pour nom cacocratie. » (p. 2)
Lincourt pose un diagnostic
juste de la réalité même si les solutions qu'il propose ne sont pas encore à
point. Il écrit : « Quelle est l'idéologie qui unit ces gens qui nous
gouvernent ? C'est le néo-libéralisme. C'est le culte pathologique de l'argent.
C'est la recherche morbide du profit. C'est la croyance que la prospérité ─ ou
le bonheur des gens selon eux ─ se fonde uniquement sur la croissance
perpétuelle de l'économie. C'est l'exigence de la liberté absolue pour eux et
la soumission non moins totale de tous les autres. C'est la mutation de
l'information en divertissement. C'est considérer que la valeur d'un individu
se fonde exclusivement sur son pouvoir d'achat... On privatise la dette
gouvernementale... On laisse le taux de change flotter... Aux USA, les chefs
d'entreprises s'accordent une rémunération 312 fois plus élevée que celle
de leurs employés, au Canada, ils s'accordent 187 fois plus... On dégrade
les citoyens en individus, les individus en consommateurs, les consommateurs en
internautes et les internautes en zombies branchés et tout le monde se trouve
content. On déménage l'industrie manufacturière dans le tiers-monde, où l'on
exploite un sous-prolétariat qui crève de faim, et personne ne s'offusque. » (p. 545-547)
Des mots durs, mais à mon
sens pertinents. Devant tout cela, nos élus ont démissionné. Ils ont permis à
ces forces de la financiarisation de l'économie de contrôler notre monde et nos
vies. Vous trouvez étonnant que des démagogues de toute nature puissent y
trouver un terreau fertile au recrutement pour leur révolte, comme celui des gilets
jaunes ou des camionneurs. Pas moi.
Il faut que nous puissions
reprendre le contrôle de notre monde. Nous devons combattre pour une économie
libérale qui ne carbura plus aux inégalités sociales. Il est temps que nos élus
se lèvent et qu'ils fassent corps avec la très grande majorité de la population
pour mettre fin à cette déliquescence démocratique...