Le dernier débat des chefs a eu lieu vendredi dernier sur les ondes de TVA. Ce débat se déroulait en français et il s'est tenu à un moment où un sondage Léger nous apprenait que rien n'était encore joué dans cette élection et que la lutte se faisait à quatre au Québec. Dans un curieux renversement des perspectives comme seule la politique canadienne peut nous en offrir, le choix des électeurs du Québec pouvait être décisif en 2015 dans le choix de l'identité du prochain gouvernement canadien. Curieux paradoxe pour une collectivité qui s'est distinguée par le passé par son refus de participer au pouvoir fédéral.
Duceppe dominant, Mulcair solide, Trudeau inconstant et Harper égal à lui-même...
Le Bloc pas une option...
Gilles Duceppe fut si dominant que Justin Trudeau n'a pu s'empêcher de l'appeler mon amour , expression qu'il a rapidement corrigé par mon ami. Blague à part, on a pu constater que l'expérience des débats, c'était son 18e débat de chefs, une connaissance profonde des enjeux et des dossiers et une rigueur intellectuelle sont des atouts précieux pour un chef dans un exercice de débat. Duceppe nous a offert une performance étincelante et pleine d'authenticité. Le problème n'est pas sa prestation, mais le fait que le Bloc ne représente plus une véritable option pour les électeurs.
Mulcair, chef de l'opposition officielle
Thomas Mulcair a été très solide. Il a répondu avec aplomb aux attaques et a su présenter avantageusement les éléments de son programme. Ses critiques à l'égard du gouvernement Harper étaient bien senties et sa connaissance des dossiers était impeccable. Bien sûr, il a encore du mal avec le niqab, affirmant que ce dossier le rendait mal à l'aise. Mais il n'a pas pu mettre un couvercle sur cette marmite et la phrase assassine de Stephen Harper indiquant qu'il ne pouvait même pas convaincre les candidats de son parti de sa position a fait mouche. Exception faite de ce passage difficile, Thomas Mulcair a été irréprochable. Néanmoins, il fait chef de l'opposition et à ce titre il n'incarne pas tant que cela le changement espéré par bon nombre de Canadiens.
Trudeau et son plan
On a beau dire, mais Justin Trudeau n'a pas donné sa place. Son discours tranche avec ceux des autres en matière économique, notamment son refus de faire de l'équilibre budgétaire, son mantra. La fidélité qu'il démontre à l'égard de l'héritage de son père et du Parti libéral du Canada en matière de diversité culturelle et de droits individuels va de soi. Il réussit également à nous faire partager sa passion pour le Canada. Contrairement au débat de Radio-Canada où il avait eu de la difficulté avec la langue française, ce ne fut pas le cas vendredi dernier, encore moins le lundi précédent au débat Munk. Malgré tout, on note qu'il est inconstant. Il peut être très bon ou ordinaire. Il incarne cependant le changement.
Harper, RoboCop de la politique canadienne
Dans ce débat, Stephen Harper a été égal à lui-même. Il a répété ses lignes préférées : stabilité économique, sécurité et valeurs canadiennes tout en s'exposant le moins possible aux attaques de ses adversaires. Ce fut peine perdue cependant. La formule retenue des face-à-face l'a obligé à répondre cette fois à des questions ennuyeuses pour lui. La gestion de l'offre en est un exemple. Il n'a pu affirmer qu'il protégera intégralement ce système. Même chose pour son silence sur sa position personnelle sur l'avortement, le mariage gai et le droit d'une personne à mourir. Son silence sur ces questions a été au moins aussi éloquent que ses parades oratoires.
Il a aussi eu plus de difficultés à rameuter la populace que nous sommes avec son bout de tissu. Cette fois, tant Mulcair, Trudeau et Duceppe ont mis son jeu en pleine lumière. Les déclarations de Mulcair qui lui reprochait l'indignité pour un premier ministre de faire ce qu'il faisait avec le niqab, la déclaration bien sentie de Duceppe le traitant d'hypocrite sur cette question et l'affirmation de Trudeau à l'effet qu'il y avait plus de députés dans son parti contre l'avortement que de femmes portant le niqab au Québec ont fait flèche de tout bois. Stephen Harper s'est défendu, mais beaucoup moins bien que dans les autres débats. Il a perdu des plumes dans ce débat contrairement aux précédents.
Fin du cycle des débats, l'électeur en sort gagnant
Le débat diffusé sur les ondes du Groupe TVA vendredi soir dernier complétait le cycle des débats. Le débat sur les relations internationales diffusé le lundi précédent à Toronto avait vu Justin Trudeau avoir le dessus sur ses adversaires surtout lorsqu'il a rappelé sa fierté d'être le fils de Pierre Elliott Trudeau en réponse à une attaque de Thomas Mulcair sur la Loi des mesures de guerre dans le débat sur la loi C-51. Même si Mulcair et Harper ont assez bien performé aussi, Justin Trudeau a eu l'avantage.
J'ai été l'un des rares Canadiens, j'en suis convaincu, à avoir regardé les cinq débats mettant aux prises les chefs des partis politiques fédéraux. Au terme de ce débat, on ne peut pas dire qu'il y a eu des gagnants ou des perdants. Chaque formule, chaque débat a permis de mettre en lumière un chef par rapport à un autre, mais en fin de course il n'y a pas eu de gagnants ou de perdants si ce n'est la démocratie.
Les débats ont été relevés. Ils ont été de loin meilleurs à ceux de la campagne précédente en 2011. Étant donné qu'il y avait de nouveaux joueurs qui en étaient à leur première expérience, Thomas Mulcair et Justin Trudeau, on peut être impressionné du résultat.
Ces débats ont aussi révélé le pouls de notre époque. Les médias sont de plus en plus fragmentés et on a eu droit à des débats sur des canaux de diffusion différents et plus nombreux à ce que nous étions habitués dans le passé. Les plus grands perdants sont les électeurs du Rest of Canada (ROC) qui n'ont pas eu droit à un grand débat national diffusé dans leur langue sur les médias à grande écoute.
À vous de jouer!
Les débats sont terminés. Il reste moins de deux semaines de campagne. Les chefs ont fait entendre leurs voix. Ils continueront à solliciter votre vote au cours des prochains jours dans une campagne qui prendra un rythme effréné. Il est possible que la gestion de l'offre et le traité du libre-échange de la zone du Pacifique viennent hanter la dernière ligne droite de cette campagne avec un potentiel de gain ou de perte de votes importants en Ontario et au Québec au sujet de la production laitière et des pièces automobiles. Pour les différents candidats, pour leurs partis et pour les chefs, rien ne va plus, faites votre choix!