Les images d'hommes décapités vivants par des fanatiques musulmans, se réclamant de l'État islamique (EI), qui ont circulé sur le Web ont eu leur effet.
L'effet recherché en fait par les auteurs de ces crimes contre des innocents. L'État islamique, ce nouveau califat de l'époque moderne, est devenu le centre des préoccupations de la politique internationale des grandes puissances mondiales. Le Canada n'y échappe pas. Un débat fait rage au Canada. Devons-nous ou non participer à cette nouvelle guerre américaine contre le terrorisme? Harper dit Oui, Mulcair dit non et Trudeau dit peut-être. La question n'est pas de savoir si nous sommes des pacifistes, mais plutôt de déterminer si nous sommes prêts à défendre les valeurs occidentales contre ceux qui veulent leur disparition. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle croisade, les fidèles contre les infidèles. Regards sur la politique étrangère canadienne...
Retour du refoulé
La relation du Québec avec la guerre fait largement appel au refoulé. Clairement la guerre est un phénomène associé à l'infériorisation des Canadiens français. Pour nous en convaincre, nous n'avons qu'à nous rappeler les drames vécus par les personnages des romans, de pièces de théâtre ou de films. Parmi les plus célèbres, il faut se rappeler La Guerre, Yes Sir de Rock Carrier ou encore tout récemment le dernier roman de Jean Pierre Charland les années de plomb qui rappellent chacun à leur façon les mauvais souvenirs que représentent la guerre pour les Québécois de souche. On vient de rééditer chez Lux le livre de l'historien Jean Provencher sur le Québec sous la loi des mesures de guerre en 1918. Dans son roman intitulé Le choix de Thalie dans sa saga Les années de plomb, Jean Pierre Chartrand rappelle la conscription de 1942 en mettant l'accent sur la culpabilité vécue par ceux et celles qui ont fait le choix de se porter volontaire pour défendre la démocratie contre le régime nazi d'Adolf Hitler.
Plus près de nous, on se rappelle le refus du gouvernement de Jean Chrétien d'aller en Irak avec l'armée américaine de Georges W. Bush. On s'en félicite encore. Dans un tel contexte du retour du refoulé, on ne s'étonnera pas que les Québécois soient critiques concernant la demande de Barack Obama faite au premier ministre Stephen Harper d'un effort supplémentaire du Canada. Tout cela est encore plus difficile pour nous depuis que le gouvernement canadien dirigé par Stephen Harper a profondément transformé la politique étrangère canadienne à compter de son accession au poste de premier ministre du Canada.
Le Canada va-t-en-guerre...
Le journaliste Noah Richler a publié en 2012, un essai sur cette question qui a été traduit en 2013 et publié chez Leméac intitulé De la fleur au fusil. Le Canada s'en va-t-en-guerre. Dans ce livre, il accuse le gouvernement de Stephen Harper d'avoir renoncé à l'héritage pearsonien du maintien de la paix pour plutôt adopter une idéologie belliciste qui a amené notre pays à envoyer des Canadiens se faire tuer en Afghanistan et à investir massivement l'argent de nos taxes dans des armements.
Richler explique la nouvelle politique étrangère canadienne belliciste par un long travail de conviction de l'opinion publique canadienne auquel ont participé de nombreux intellectuels. Il cite l'ancien chef libéral Michael Ignatieff en 2005, alors écrivain et spécialiste des droits de la personne qui à Dublin en Irlande dénonça la politique étrangère canadienne dans ces termes : « La réputation entièrement fausse de gardiens de la paix dont jouissent les Canadiens. Ceux-ci dit-il préfèrent construire des hôpitaux, des écoles, et des routes plutôt que de payer le prix de la véritable citoyenneté internationale. » (p.64)
Il n'y a pas qu'Ignatieff qui dénonça la culture canadienne en matière de politique étrangère les historiens et politologues canadiens ont apporté leur contribution à cette érosion de la bonne conscience canadienne. Dans un ouvrage désormais célèbre Who Killed Canadian History l'historien Jack Granastein dénonçait la culture hippie des années Trudeau au Canada en attribuant notre mollesse de notre politique étrangère aux politiques en matière d'éducation et au multiculturalisme. Il n'était pas seul, ses collègues David Bercuson et Barry Cooper ont multiplié les attaques dans leurs écrits contre l'idée du Canada comme gardien de la paix, ce qu'ils appelaient la vision bérets bleus du monde.
Pour ces intellectuels, nous dit Richler, « le Canada avait des vues politiques erronées et sa naïveté était sidérante - la quête de la paix mondiale rêvée par les hippies, principalement fondée sur un amour débridé et une confiance sans garantie et accompagnée d'un présumé antiaméricanisme - qui, de concert avec le coût relativement modeste de telles missions, expliquerait la prédilection du Canada pour le maintien de la paix. » (p.66)
D'un côté, il y a le retour du refoulé au Québec à l'endroit de la guerre et de l'autre côté de la solitude canadienne, il y a un débat sanglant sur l'identité canadienne par intellectuels interposés. Le débat à venir sur la demande d'Obama d'une plus grande participation du Canada à la guerre américaine contre l'État islamiste court la chance d'être passionnant. La droite qui a toujours trouvé suspecte la politique étrangère des gouvernements libéraux ne se gênera surtout pas pour faire triompher sa politique de va-t-en-guerre. Il sera intéressant de voir où logera Justin Trudeau dans ce débat traditionnel entre la gauche et la droite canadienne en matière de politique étrangère.
Le terrorisme ce n'est pas la guerre
Pourtant la situation actuelle est fort différente. Ici, nous ne sommes pas face à la guerre, mais face au terrorisme. Un terrorisme qui s'appuie sur une religion. Nous renouons avec l'époque des croisades. Pas étonnant que le message de nos gouvernants se conjugue au Crois ou meurs... S'il est vrai que la situation actuelle nécessite que nous revoyions notre politique étrangère, il est aussi indiscutable que nous ne devons pas prendre nos décisions seules ou avec quelques alliés. La menace du retour des croisades par des fanatiques musulmans ne doit pas faire de nous des croisés pour autant...
Lectures recommandées :
Jean Pierre Charland, Les Portes de Québec. Le prix du sang, tome 3, Montréal, Hurtubise, 2008, 520 p.
Jean Pierre Charland, Les Années de Plomb. Le choix de Thalie, tome 3, Montréal, Hurtubise, 2014, 460 p.
Rock Carrier, La Guerre Yes Sir!, Montréal, 2e édition, Stanké, 1998, 120 p.
Jack Granastein, Who Killed Canadian History, Toronto, Harpers Collins Publishers, 1998, 158 p.
Jean Provencher, Québec sous la loi des mesures de guerre 1918, Montréal, Lux, 2014,161 p.
Noah Richler, De la fleur au fusil. Le Canada s'en va-t-en guerre, Montréal, Leméac, 2013, 386 p.