Il y aura 50 ans samedi que le corps inanimé du député
et ministre libéral, Pierre Laporte a été retrouvé dans le coffre arrière d'un
véhicule automobile sur les terrains de l'aéroport de Saint-Hubert. Un
événement tragique qui constitue l'un des points de bascule de ce que nous
avons retenu comme la crise d'octobre.
Ces dernières semaines, des reportages,
des documentaires et de nombreux livres ont été publiés ou republiés à
l'occasion du 50e anniversaire de cet événement de l'histoire du
Québec. Tentative de réflexion sur la signification d'octobre pour le Québec.
La crise d'octobre : le contexte
de ferveur populaire
Du haut de mes douze ans, j'ai vécu la crise d'octobre à
Montréal. Je me rappelle que mes amis et moi narguions les membres de l'armée
canadienne qui étaient postés tout le long de notre trajet pour aller à l'école
Lionel-Groulx située à l'époque sur la rue Sherbrooke. Nous scandions le slogan
Vive le FLQ à pleins poumons. Cela, avant la mort de Pierre Laporte... Le
décès de Pierre Laporte a tout changé pour nous. Nous avons alors découvert
l'horreur de la mort d'un homme alors qu'auparavant nous pensions que c'était
un moment de libération du peuple québécois.
Peut-être trouvez-vous que ces réflexions sont très politisées
pour des enfants, mais je vous jure qu'à mes douze ans, mes amis et moi étions
très politisés. Nous discutions de l'actualité, participions à toutes les
manifestations et il y en a eu beaucoup à Montréal dans ces années, notamment
sur la langue française contre le bill 63 du gouvernement de
l'Union nationale de Jean-Jacques Bertrand. Nous vivions dans une ville où
régnait une ferveur quasi révolutionnaire et où la rue était centrale dans nos
prises de conscience. Dès ma sixième année, mes amis et moi préparions des
cocktails Molotov pour les grands qui les lançaient sur les membres des forces de
l'ordre. À cette époque, la police était notre ennemi, car elle usait de
violence envers nous. Je me rappelle avoir reçu des coups de matraque parce que
nous occupions notre école pour obtenir le droit d'arborer une coiffure où nos
cheveux pouvaient dépasser notre lobe d'oreille. Pour faire valoir notre point
de vue, nous avions occupé l'école, mais la police nous avait évacués manu
militari. C'est dans ce contexte que j'ai vécu la crise d'octobre sous fond de
discrimination systémique envers les Québécois francophones de souche.
Les francophones du Québec, victimes
de discrimination systémique
Alors que le débat sur la reconnaissance d'une
discrimination systémique de la part de l'État québécois, les tenants de cette
thèse font souvent l'impasse sur la situation déjà vécue par les francophones
du Québec. Le film tourné par le fils de Paul Rose, Félix Rose, sur la crise
d'octobre a le mérite de jeter la lumière sur la situation discriminatoire
vécue par les Québécois francophones à cette époque. Le lieu de vie des Rose à
Ville Jacques-Cartier, aujourd'hui un quartier de la ville de Longueuil, est
révélateur à cet égard. On y voit la vie de Canadiens français qui vivaient
sans système d'égout, sans service d'incendie. Des conditions de vie de misère
et aucun avenir autre que celui de travailler dans des usines dans des
conditions de travail misérables comme à l'industrie de sucre Lantic. Tout cela
à quelques kilomètres du centre-ville de Montréal et des quartiers de l'Ouest
où la richesse anglophone tranchait avec la vie de la majorité
canadienne-française de Montréal.
L'économiste réputé Pierre Fortin a calculé qu'en 1961, le
salaire d'un Québécois francophone équivalait à 52 % de celui d'un
anglophone. L'anglophone moyen avait un revenu 92 % plus élevé que celui
d'un francophone. À la même période, seulement 47 % des entreprises
étaient sous le contrôle de francophones. En 2000, cette proportion est passée
à 67 %. Quand même pas la mer à boire....
Le revenu des anglophones était supérieur de 20 % à celui d'un
francophone et le taux de chômage était plus élevé au Québec que la moyenne
canadienne. Les investissements stratégiques du gouvernement du Canada étaient
pour l'Ontario et bien peu pour le Québec. Nous avions peine à nous faire
entendre en français au Québec. Heureusement, l'État québécois a servi de
tremplin à la nation québécoise pour s'arracher à cette vie de misère. Nous
n'avons pas si mal réussi même si nous sommes toujours des victimes du
colonialisme britannique. Pour celles et ceux que cette question intéresse, un
livre vient d'être publié aux Presses de l'Université Laval sous le titre Britannicité par les professeurs Claude
Couture et Srilata Ravi qui fait une démonstration que nous ne sommes pas sortis
indemne de ce colonialisme même aujourd'hui. Dans le même style de
préoccupation, il y a aussi l'essai intitulé Bande de Colons d'Alain Denault paru chez Lux éditeur.
La signification d'Octobre
aujourd'hui
Même s'il est utile de se remémorer le passé pour mieux comprendre
notre présent et pouvoir en tirer des leçons pour l'avenir, il ne faut quand
même pas vivre notre avenir au passé. Il y a une production abondante de
livres, de reportages sur Octobre 1970. Pour les plus jeunes, il faut en
rappeler les faits élémentaires. Au début des années 1960, un groupe a
pris le nom de Front de libération du Québec. Un groupe de jeunes peu organisé
qui exprimait la colère d'une nation devant la discrimination dont elle était
l'objet par le pouvoir colonialiste canadien et américain. Le FLQ souhaite
l'indépendance du Québec tout comme le Rassemblement pour l'indépendance
nationale de Pierre Bourgault et d'Andrée Feretti. Des membres pressés de cette
mouvance posent des bombes, volent des armes et mènent des actions dites
révolutionnaires jusqu'à l'enlèvement du diplomate James Richard Cross et de Pierre
Laporte, ministre du Travail et de la main d'œuvre du gouvernement libéral.
Cela mène à la libération de James Richard Cross et à l'exil à Cuba des auteurs
de cet enlèvement, au meurtre accidentel de Pierre Laporte et à
l'emprisonnement de ses auteurs parmi lesquels figurent les frères Paul et
Jacques Rose.
Octobre 1970 a aussi servi de prétexte au premier ministre de
Canada Pierre Elliott Trudeau, au premier ministre du Québec Robert Bourassa et
au maire de Montréal Jean Drapeau d'édicter ensemble la Loi sur les mesures de
guerre et d'emprisonner injustement plus de 500 Québécoises et Québécois qui
avaient commis le crime de penser différemment du pouvoir. Ces arrestations ont
été injustes et ont porté atteinte aux droits et libertés des citoyennes et des
citoyens du Québec. C'est un geste qui était injustifiable et qui aujourd'hui
demeure inacceptable. Je suis d'accord avec celles et ceux qui réclament des
excuses de la part des gouvernements impliqués soit le gouvernement du Canada, le
gouvernement du Québec et la Ville de
Montréal. La crise d'octobre est une tache indélébile à notre vie démocratique.
La crise d'octobre c'est aussi un drame pour la famille de Pierre
Laporte et celle de James Richard Cross et pour les familles de toutes les
victimes des bombes du FLQ. La crise d'octobre est un dérapage honteux du
Québec et heureusement que des voix sereines comme celle de René Lévesque se
sont élevées pour dénoncer ces actes de violence et rappeler que l'indépendance
du Québec ne pourra se faire que par le véhicule de la démocratie.
Le Parti québécois a par la suite fait la preuve que la
démocratie et les institutions étaient le meilleur véhicule pour améliorer les
choses, même si certains rêves comme celui de voir le Québec devenir un pays ne
se sont pas réalisés. Il faut tout de même convenir que le sort des Canadiens
français s'est nettement amélioré. Le combat de l'affirmation de notre nation
doit se continuer à l'intérieur ou en dehors du Canada et dans une version
réactualisée qui accueille toutes celles et tous ceux et qui se sont joints à
nous par l'immigration.
Au-delà des diverses réinterprétations de la crise d'Octobre 1970,
nos pensées le 17 octobre devraient aller à la famille de Pierre Laporte
qui va se souvenir douloureusement de la mort de leur père, leur frère ou leur ami.
Il faut se souvenir 50 ans après pour les bonnes raisons du 17 octobre
1970...