Nous irons voter le 21 octobre prochain pour choisir le prochain gouvernement du Canada. La campagne électorale qui s'est amorcée la semaine dernière a vu ressurgir les démons de la politique canadienne.L'affaire SNC-Lavalin, le débat Québec-Canada avec pour toile de fond la loi sur la laïcité, les questions morales comme l'avortement ou l'homosexualité et les équipes de candidats. La couverture médiatique qui se fait selon le prisme de la fixation des sujets à l'ordre du jour par les médias et qui tente de nous « vendre » la campagne électorale comme une course de chevaux où la popularité des partis et l'adhésion des électeurs à leurs idées sont mesurées par les multiples sondages. Bref, alors que le processus démocratique est gravement atteint par le populisme et les théories du complot et que l'Occident et sa civilisation sont menacés, on continue de couvrir les campagnes électorales comme si cela n'était que pure formalité. Regard critique sur la politique de notre époque.
De fausses surprises
On peut bien feindre l'étonnement et la surprise, mais qui voudra soutenir sérieusement que c'est une surprise que l'affaire SNC-Lavalin soit au cœur des questions des journalistes au lancement de la campagne électorale ? Cela fait des mois que ce sujet fait le bonheur des journalistes et des partis d'opposition à la Chambre des communes et dans l'actualité politique fédérale. Rappelons que tout cela a commencé en février 2019 alors que le Globe and Mail, a fait de cette affaire la une de son journal. Citant des sources anonymes, le Globe rapportait que les collaborateurs de M. Trudeau « ont tenté de faire pression sur Jody Wilson-Raybould alors qu'elle était ministre de la Justice pour qu'elle intervienne dans les poursuites pour corruption et fraude du groupe montréalais d'ingénierie et de construction SNC-Lavalin », et qu'une exaspération due à son manque de coopération était l'une des raisons ayant mené à son départ à la tête du ministère de la Justice. M. Trudeau nie toute irrégularité. On connait la suite de la saga impliquant Jody Wilson-Raybould.
Il y a quelques semaines, le Commissaire à l'éthique Mario Dion a relancé l'affaire en blâmant le premier ministre Justin Trudeau. Ce dernier bien qu'acceptant toute la responsabilité de ce dossier n'en a pas moins inscrit son ferme désaccord avec certaines parties du rapport Dion en affirmant que sa job c'est de défendre les emplois des Canadiennes et des Canadiens et qu'il ne s'excusera pas d'avoir fait sa job. Les partis d'opposition se font une joie de rappeler ce dossier sachant très bien que ce n'est pas le dossier le plus glorieux de l'administration du gouvernement Trudeau. C'est de bonne guerre. Faut-il s'étonner que l'on fasse un plat de la possible enquête de la GRC ? Médias et opposants de Justin Trudeau vont marteler le sujet d'ici le 21 octobre. Faut-il s'en étonner ?
Comme il ne faut pas s'étonner non plus que les questions de l'avortement et du mariage gai vont poursuivre le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, que la question de la pertinence du Bloc sera régulièrement soulevé à Yves-François Blanchet et que le turban de Jagmeet Singh et de la possible disparition du NPD seront le pain et le beurre des questionnements des médias et de la rhétorique des différents protagonistes de cette campagne électorale. J'allais oublier la question de laïcité au Québec ainsi que celle des pipelines seront aussi des sujets qui seront brandis par les médias pour démontrer que le Canada est divisé et quasi ingouvernable. Rien de neuf sous le soleil. On aurait envie de dire : Circulez il n'y a rien à voir... Pourquoi devons-nous vivre une telle conversation démocratique au moment important que constitue l'élection d'un gouvernement alors que des périls beaucoup plus importants menacent non seulement la démocratie canadienne, mais aussi toutes les démocraties occidentales ?
Fuir l'anecdotique pour s'attacher à l'essentiel
Alors, discutons si vous le voulez bien des choses importantes en lien avec notre choix démocratique du 21 octobre prochain. Commencer cette discussion nous donnera amplement du temps pour réfléchir et nous inoculera contre les rhétoriques partisanes des partis politiques en lice.
L'enjeu de la prochaine élection fédérale dépasse largement le récit anecdotique de l'affaire SNC-Lavalin ou des querelles sémantiques sur la façon de calculer l'impact des déficits budgétaires en relation avec les impératifs nouveaux de la science économique moderne. L'Occident est en crise. Les démocraties libérales sont en sérieuses difficultés avec la montée du populisme et du terrorisme tant intérieurs qu'extérieurs. La planète souffre et pour la première fois de l'histoire moderne et contemporaine on peut craindre l'extinction de la race humaine sur cette terre. Les inégalités sociales se creusent et cela se traduit par des inégalités politiques entre les populations de divers États. La politique étrangère canadienne ne fait pas le poids et les solutions devant la crise du climat sont trop timides. La prochaine élection générale au Canada est une occasion rêvée pour redonner au Canada un rôle de leadership dans le monde libre. Il faut que la prochaine campagne électorale se détache de l'anecdotique pour s'attacher à l'essentiel.
Il faut comprendre que l'avenir des humains sur cette planète est menacé si nous ne réussissons pas non seulement à changer nos habitudes et à modifier nos modes de vie, mais surtout si nous échouons à créer une volonté commune de tous les pays et de tous les habitants de cette planète. On veut bien chacun chez soi faire mieux pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre, mais ces efforts sont voués à l'échec si nous ne sommes pas capables comme humanité de nous donner des objectifs communs. Dans cette perspective, il serait plus intéressant d'entendre les chefs de partis en présence nous parler des moyens qui seront déployés pour favoriser une meilleure concertation de tous les pays quant à l'enjeu des changements climatiques plutôt que de nous rabâcher que l'on va travailler pour améliorer l'environnement. Je sais, cela c'est comme prêcher dans le désert. L'époque où le Canada représentait une sorte d'inspiration pour les autres pays du monde est aujourd'hui pour ainsi dire révolue. On peine à s'entendre avec notre voisin américain, nos relations avec la Chine et le Moyen-Orient sont dans un état pitoyable. Ce qu'il faut reconnaître cependant c'est que cela n'est pas la faute à notre gouvernement, mais plutôt le résultat d'une conjoncture particulière qui prend appui sur la présence accrue des populismes dans le monde et de personnages comme Donald Trump.
La vraie question...
L'autre grande question qui nous appartient et qui est en fait la seule vraie question est notre capacité de penser la société comme une communauté plutôt que comme une grande surface où l'on peut satisfaire nos besoins. La présence d'un Je impérial empêche littéralement l'épanouissement d'un Nous harmonieux. Il faut retisser les liens entre les Je et la communauté. Dans cette perspective, il faudrait cesser de pratiquer des rhétoriques qui divisent les gens, les régions, les villes et les campagnes pour se rappeler tous ensemble que nous formons une communauté peuplée d'humains qui ont besoin les uns et des autres. Les problèmes qui confrontent notre avenir et qui se dressent devant nous nécessitent une cohésion plus grande que jamais de la communauté afin de créer ensemble un horizon d'attente commun. L'élection prochaine doit être un moment de réfléchir tous ensemble à la chance que nous avons de vivre dans un pays aussi riche que le Canada et où les libertés fleurissent et où la prospérité est au rendez-vous. Posséder n'est rien à comparer d'exister. C'est donc par l'être, et non l'avoir, que nous serons capables de donner un vrai sens au 21 octobre...