Si l'on en croit la prestigieuse revue anglaise The Economist, le Québec est un nid de « nativistes » qui fait preuve de méfiance envers l'immigration et d'une réelle hostilité à l'endroit des politiques multiculturelles prônées par cette revue phare du multiculturalisme.
Ne reculant devant rien, dans un article consacré à la politique canadienne, dans son numéro du 21 avril dernier, intitulé « A Different Kind of Populism », The Economist affirme : « And in Quebec, nativism has flourished. Its Francophone residents have long fought to protect their language and culture. Mr. Legault may not call immigrants rapists-this is Canada, after all-but he does want to cut their inflow by 20%, and subject them to a "values test." » (Sans auteur, A Different Kind of Populism, The Economist, 21 avril 2018).
Cela devrait faire plaisir à notre premier ministre du Québec et chef du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard. Lui qui se dit le seul et unique authentique chef d'un parti fédéraliste au Québec. Comparer François Legault à des populistes de droite et assimiler le nationalisme québécois à la fermeture aux autres, tout cela dénote d'une méconnaissance crasse de l'histoire du Québec. Moi qui suis un lecteur assidu de cette revue, je suis déçu de ce raccourci idéologique. Qu'une revue prestigieuse loin de nos débats s'y prête est compréhensible, mais que cela soit repris par des gens d'ici est malhonnête intellectuellement. Regards actuels sur le nationalisme canadien-français devenu québécois.
L'origine du nationalisme canadien-français
Dans un livre publié récemment sur l'histoire des Canadiens français en Floride aux États-Unis, l'historien Serge Dupuis nous offre une excellente synthèse des origines du nationalisme canadien-français et québécois :
« Le Canada français a une histoire complexe. Il s'agit d'abord d'un projet de société, qui a voulu rassembler les descendants français de la vallée laurentienne après l'annexion de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne en 1763 et la défaite des réformistes libéraux pendant les Rébellions 1837-1838. Le Canada français - nation sans État, dont les éléments étaient unis par des symboles, une mémoire, des institutions et un territoire - s'est déployé principalement entre 1840 et 1960. À partir de 1960, les Canadiens ont emprunté différentes stratégies pour faire avancer leurs intérêts. Le vocable "Canadien français" a cédé sa place, par exemple, à "Québécois" ou à "Franco-ontarien", les identités francophones s'étant recentrées à l'intérieur des limites provinciales. Le référent "canadien-français" a été progressivement marginalisé, au point où, à l'aube du XXIe siècle, peu de gens s'en servent pour se décrire. » (Serge Dupuis, Plus peur de l'hiver que du diable. Une histoire des Canadiens français en Floride, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2016, 188 p.)
Le projet de reconnaissance des droits des Canadiens français dans une Amérique anglophone a pris divers chemins de travers et sa forme la plus achevée a été celle d'un Québec souverain, projet porté par le Parti québécois. Il y a eu aussi la voie du dualisme canadien et du fédéralisme renouvelé pour laquelle le Parti libéral du Québec a longtemps été le porte-étendard de Jean Lesage à Jean Charest. Sous Jean Charest, on a même ressorti la théorie Guérin-Lajoie en matière d'affaires internationales qui prônait l'autonomie du Québec sur la scène des relations internationales. Il y a eu aussi ce concept des deux peuples fondateurs du premier ministre Pearson selon la thèse du fondateur du journal Le Devoir Henri Bourassa et repris brillamment par André Laurendeau. Puis, de façon plus contemporaine, il y a eu cette notion de société distincte battue en brèche par l'échec de l'accord du lac Meech de l'ex-premier ministre conservateur Brian Mulroney.
Depuis, l'échec référendaire de 1995 et la reconnaissance de la nation québécoise par le gouvernement du conservateur Stephen Harper, on sent l'affadissement de cette volonté de reconnaître les droits et l'existence de la nation québécoise. Cela est plus explicite encore avec le concept de société canadienne postnationale de Justin Trudeau. Concept totalement intégré par le premier ministre libéral du Québec, Philippe Couillard. Est-il étonnant dans un tel contexte de lire des reportages de revues pourtant sérieuses qui amalgament la lutte des francophones d'ici à du « nativisme »? Le combat pour assurer la pérennité de notre langue et de notre culture est plus nécessaire que jamais.
Heureusement, il y a encore des défenseurs du Québec
Dans le magma idéologique actuel lié à la mondialisation. Dans un monde où les frontières nationales sont défiées et que l'on assiste au métissage des populations à l'échelle planétaire, il faut que des voix s'élèvent pour défendre la pérennité de la plus importante communauté francophone en Amérique du Nord. Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault est l'une de ses voix avec sa formation politique tout comme l'est Jean-François Lisée et le Parti québécois. La différence c'est que les caquistes voient l'avenir du Québec au sein du Canada. Pouvons-nous être à la fois de fiers Canadiens et des nationalistes québécois?
Moi j'affirme que oui. Défendre la société distincte du Québec, sa langue, sa culture et ses institutions originales n'est pas une tare quoique puisse en dire le premier ministre libéral Philippe Couillard. Promouvoir une meilleure intégration des immigrants que nous accueillons à notre société et remettre en question le taux d'entrants eu égard à notre capacité d'accueil n'est pas pratiquer une politique régressive nativiste quoiqu'en pensent les journalistes de la revue The Economist. Chercher à valoriser un dialogue entre les nouveaux arrivants et les membres de la société d'accueil en mettant de l'avant nos valeurs universelles et notre culture n'est pas de la même eau que les politiques régressives des partis politiques nationalistes européens comme celui de la Française Marine Le Pen.
La voix des Canadiens français
Lors de la prochaine campagne électorale, il faut faire entendre la voix des Québécoises et des Québécois d'ascendance canadienne-française et faire bien comprendre à tous que le Québec contemporain est ouvert au monde, mais qu'il est attaché à ses racines canadiennes-françaises. Être accueillant, généreux et ouvert aux autres cultures, ce n'est pas se nier soi-même. La négation de la nation québécoise par le Parti libéral du Québec et de son chef, Philippe Couillard est la plus importante rupture de ce parti avec son histoire. C'est aussi une forme de trahison envers le Québec de Jean Lesage, Robert Bourassa, René Lévesque, Daniel Johnson, Jacques Parizeau, Bernard Landry, Jean Charest et Pauline Marois.
Jamais un chef du Parti libéral du Québec n'aura été aussi en porte-à-faux avec le Québec qui vit, bouge et respire en 2018. Monsieur Couillard aurait eu avantage à dénoncer la vision déformée du Québec véhiculée par la revue The Economist plutôt que de frapper sur le même clou en se déclarant le seul et authentique représentant des « vrais Québécois ». N'en déplaise à Philippe Couillard et à ses amis, nous pouvons être nationalistes et ouverts au monde. Le nationalisme québécois n'est pas du « nativisme ». Le Québec c'est ma patrie et le Canada c'est mon pays!