Parfois, un sujet de chronique s'impose à nous. C'est obligé, il faut en parler! Il est vrai qu'il y a longtemps que je vous avais mentionné le nom de Donald Trump dans l'une de mes chroniques. Je trouvais qu'il ne méritait pas tant de commentaires. Pour développer l'esprit critique envers lui, il fait très bien cela lui-même. Pourtant cette dernière semaine, Donald Trump s'est invité dans la campagne électorale québécoise par le biais de la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Des négociations reprises dans la précipitation, la trahison de notre allié, du théâtre politique au Québec et des inquiétudes quant à nos quotas de lait. Pleins feux sur une classe politique impuissante...
Qu'est-ce que l'ALÉNA?
Le mal vient de la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain, connu sous l'acronyme ALÉNA. Cette renégociation a été rendue incontournable à la suite de la promesse du président américain Donald Trump de le renégocier ou de le déchirer. Ce traité est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Il a remplacé l'ancien traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Par ce traité, on a institué une zone de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, couvrant environ 480 millions d'habitants. Cet accord vise essentiellement à retirer les frontières économiques entre les pays signataires, tout en maintenant les frontières politiques. Les bénéfices de l'existence de cette zone de libre-échange pour les économies impliquées et les travailleuses et les travailleurs des pays impliqués ne font pas l'unanimité. Il est clair que cela a conforté la dépendance de l'économie canadienne à celle de son voisin du Sud, mais les bénéfices retirés ne font pas l'unanimité parmi les experts.
L'ALÉNA un mirage?
Après près de 25 ans d'existence, ce traité fut-il si favorable à l'économie canadienne? Voilà une question pertinente. Dans une étude publiée en juin 2018, l'Institut de recherche d'informations socio-économiques (IRIS, institut à gauche idéologiquement), les auteurs affirment que l'on « peine à trouver les traces d'un développement économique soutenu que l'Accord aurait pu susciter. »
Des chiffres de cette étude affirment que pour l'exportation : « Leur poids dans le PIB canadien était passé de 17,4 % à 29,1 % entre 1961 et 1993. L'entrée en vigueur de l'ALÉNA a propulsé cette proportion à 44 % en 2000, mais depuis 2001, il est redescendu à 30 %, soit au taux prévalant avant la signature de l'accord tripartite. Aussi, la présence du secteur automobile dans les exportations canadiennes a subi un déclin, au profit de l'industrie pétrolière. On assiste donc à une fragilisation de l'économie canadienne et à un retour vers une production primaire à faible valeur ajoutée. » (Loc. cit.)
Puis, pour les exportations, il est clair que l'économie canadienne est très liée à l'économie américaine, sinon dépendante, mais l'ALÉNA a eu très peu d'impact pour augmenter le volume d'exportation insiste les auteurs de l'étude de l'IRIS : « la proportion des exportations dirigées au sud de la frontière revenant sous son niveau du début de l'ALÉNA. Elle a, certes, augmenté par rapport au Mexique, mais elle demeure marginale, sous les 2 %. On peut dire que même si le Canada demeure très lié aux États-Unis, il y a eu une diversification des partenaires commerciaux hors de l'Amérique du Nord ». (loc. cit.)
Le Devoir rapporte que les auteurs de l'étude et les chercheurs à l'IRIS, Alexandre Bégin, Mathieu Dufour et Olivier Viger Beaudin observent également qu'au chapitre de la rémunération de la main-d'œuvre, les hausses salariales (en dollars américains de 2016 calculés sur une base de parité de pouvoir d'achat) « sont peu impressionnantes au Canada et aux États-Unis, avec des taux annuels composés de 1,4 % et de 1,3 % respectivement » depuis 1993. Sans compter que dès le départ, la rémunération tire de l'arrière sur la productivité au Canada.
Par ailleurs, L'Institut CD Howe affirme de son côté, dans une étude publiée en novembre 2017 que... « la fin de l'accord tripartite entraînerait une perte de 15 milliards pour l'économie canadienne, retranchant moins de 0,6 point à la progression du PIB, et qu'elle coûterait entre 25 000 et 50 000 emplois. La BMO allait dans le même sens en évoquant une réduction de 1 point de pourcentage du PIB sur cinq ans, et en mesurant à 0,5 point la hausse du taux de chômage. Ce qui est important, mais pas la catastrophe appréhendée. » (loc. cit.)
Le mauvais génie de l'ALÉNA : Donald Trump
Depuis son élection, le président américain Donald Trump n'a cessé de répéter que l'ALÉNA était l'un des plus mauvais accords jamais signés par les États-Unis d'Amérique et il a promis de remédier à la situation soit en retirant les États-Unis de cette mauvaise entente soit en renégociant ce traité dans des termes plus favorables à son pays.
Pour Donald Trump, l'ALÉNA est responsable de la fuite des emplois manufacturiers américains du secteur de l'automobile notamment vers le Mexique et le Canada. Par ailleurs, Trump attribue à ce mauvais traité la mauvaise performance de la balance commerciale américaine qui est pourtant beaucoup plus importante avec la Chine qu'avec le Mexique et le Canada. Pour notre pays, les balances commerciales sont en équilibre à quelques décimales près.
Le discours de Trump sur l'ALÉNA est plutôt un discours idéologique partisan qui permet à Donald Trump de bomber le torse et de prouver à sa base électorale qu'il prend tous les moyens pour redonner à l'Amérique sa grandeur d'autrefois tout en redonnant à la classe de mâles blancs frustrés du nouveau monde qu'ils habitent l'illusion du retour aux bonnes années d'autrefois.
Purement de la politique. Ce qui inquiète cependant dans le discours du plus puissant pays d'Amérique, c'est son peu de souci pour son voisin le Canada. Comme l'a dit avec à-propos, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, une chose est certaine, Donald Trump n'est pas l'ami du Canada. Pire encore, nous pensons que Donald Trump est la plus grande menace qui pèse actuellement sur le devenir des économies et démocraties libérales. Ce n'est pas rien.
Justin Trudeau, le négociateur
Un certain discours qui se fait de plus en plus entendre voudrait que la situation actuelle des tensions entre les États-Unis et le Canada soit le résultat d'une mauvaise stratégie de Justin Trudeau et de son gouvernement. La belle affaire! Comme si un pays peut être capable de négocier de bonne foi avec le président Trump, homme de tous les possibles qualificatifs du dictionnaire. Sous la présidence de cet homme, notre voisin du Sud est à enregistrer le plus grand recul des États-Unis dans l'échiquier mondial. Trump a affaibli durablement la position morale des États-Unis dans le monde qui a été construit par ce pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Le prestige et l'autorité de ce pays sont atteints et ce n'est pas demain la veille qu'un nouveau président pourra rétablir la situation. Le défi sera d'autant plus difficile puisque jamais la société américaine n'a été aussi divisée depuis l'époque de la guerre civile américaine.
Dans ces conditions, Justin Trudeau et le Canada font le maximum pour ne pas envenimer la situation tout en défendant les intérêts des Canadiens et des Québécois dans cette parodie de négociations trumpienne. Bien sûr, comme nous vivons au Canada, pourquoi ne pas y ajouter un psychodrame du conflit Québec-Canada? C'est ce que nous avons vécu la semaine dernière dans la campagne électorale québécoise.
Le concours Capitaine Québec
Cela est venu contaminer l'actuelle campagne électorale au Québec. Tous les chefs des partis en présence ont voulu montrer leur caractère « premier ministrable » en défendant les intérêts supérieurs du Québec. Dans ce cas, les intérêts supérieurs du Québec étaient incarnés par la défense de notre système de gestion de l'offre de nos producteurs laitiers et les clauses liées à l'exception culturelle. Des sujets importants, mais sur lesquels le Québec n'a aucune prise légale si ce n'est que de bomber le torse et de faire de grands discours. On s'est acharné dans une rare unanimité sur Justin Trudeau qui était accusé, avant le fait, de trahir le Québec et d'échanger nos intérêts contre ceux de l'industrie automobile ontarienne. Ce n'est pas sérieux ai-je envie de dire à monsieur Jean-François Lisée qui, reconnaissons-le, a manœuvré habilement dans ce dossier pour que l'on parle de lui. Par contre, tous les chefs ont manifesté leur appui aux agriculteurs.
Pas touche à nos quotas de lait. Pourtant, tous les experts le prédisent, si jamais nous parvenons à nous entendre avec notre voisin infréquentable, le système de gestion de l'offre en matière agricole en fera vraisemblablement les frais. Trump tient trop à ses électeurs du Wisconsin pour qu'il en soit autrement. Abandonner l'ALÉNA au profit de l'ancien traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n'est pas une option. Trump voudra encore l'ouverture de notre marché aux producteurs laitiers américains. Chose certaine, on peut prédire facilement sans se tromper qu'au terme de ces négociations avec nos voisins, « Ça va être lait! »...