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Le Canada aujourd’hui


Justin Trudeau a formé un gouvernement pour tenter de gérer au mieux la crise politique potentielle que recèlent l'aliénation de l'Ouest et la résurgence du nationalisme au Québec. Le problème n'est pas là. Il est ailleurs. Il réside dans l'incapacité pour le Canada d'adapter ses institutions et ses pratiques de gouvernance au 21e siècle.
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Photo : crédit photo: Youtube
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 27 novembre 2019

La semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a fait l'annonce de son cabinet pour l'accompagner comme premier ministre dans le mandat minoritaire que lui a accordé la population canadienne le 21 octobre dernier.

Le conseil des ministres qu'a nommé Justin Trudeau est composé de personnalités compétentes et certaines sont remarquables. On peut dire que la composition de son cabinet répond aux exigences de la conjoncture politique. Le conseil des ministres est équilibré dans les circonstances, il est représentatif de la population canadienne et il s'inscrit dans la continuité du gouvernement que Justin Trudeau a offert aux Canadiennes et aux Canadiens depuis son élection comme premier ministre en 2015. Justin Trudeau a formé un gouvernement pour tenter de gérer au mieux la crise politique potentielle que recèlent l'aliénation de l'Ouest et la résurgence du nationalisme au Québec. Le problème n'est pas là. Il est ailleurs. Il réside dans l'incapacité pour le Canada d'adapter ses institutions et ses pratiques de gouvernance au 21e siècle. Ce problème n'est pas issu des politiques de Justin Trudeau. Il prend appui sur l'histoire même du Canada et s'inscrit dans la mouvance des démocraties occidentales qui ont peine à contenir le populisme à la Trump sous les effets délétères de la mondialisation économique et de la globalisation des enjeux tant économiques, sociaux, qu'environnementaux. Réflexion sur l'avenir du Canada.

Les origines de la crise canadienne

Les commentateurs de la scène politique canadienne affirment que le Canada est en crise parce que des nationalistes ont été élus au Québec sous la bannière du Bloc Québécois et que l'Ouest canadien a voté massivement pour les conservateurs d'Andrew Scheer. On voit dans ces phénomènes ayant pour toile de fond l'opposition entre les tenants d'un État pétrolier et ceux qui veulent prioriser la lutte aux changements climatiques les signes annonciateurs d'une grave crise politique qui mènera à la balkanisation du Canada. Ces analyses ne sont pas fausses, mais fort incomplètes. Pour comprendre les enjeux actuels de la crise politique qui guette le gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau, il faut en retracer les causes dans la genèse de l'État canadien en 1867.

Dans un livre publié il y a quelques semaines, Donald J. Savoie écrit un chapitre fort instructif intitulé « Comprendre les origines de la démocratie canadienne » dans lequel il défend l'idée que le « Canada a vu le jour pour mettre fin à l'impasse politique entre le Canada-Ouest et le Canada-Est; pour remédier aux difficultés économiques auxquelles les colonies de l'Amérique du Nord britannique étaient confrontées, alors que la guerre de Sécession américaine tirait à sa fin et que l'accord de réciprocité canado-américain fut abandonné; et pour répondre au désir de faire obstacle à l'expansion américaine, en particulier dans l'Ouest du Canada, après que les États-Unis eurent fait l'acquisition de l'Alaska en mars 1867. La Grande-Bretagne espérait ainsi que ses colonies deviendraient plus autonomes sur le plan économique, et de nombreux habitants du Canada-Ouest et des Maritimes éprouvaient le profond désir de demeurer fidèles à la Couronne britannique. On espérait aussi que la construction d'un chemin de fer ouvrirait partout de nouvelles perspectives économiques. Les architectes de la Confédération canadienne décidèrent que la façon dont les Canadiens allaient se gouverner après 1867 serait façonnée par les traditions culturelles britanniques et les institutions politiques, administratives et judiciaires inspirées du modèle britannique. » (Donald J. Savoie, La démocratie au Canada. L'effritement de nos institutions, Montréal & Kingston, London, Chicago, McGill-Queen's University Press, 2019, p. 80-81.)

Le Canada est donc né en 1867 dans un déni de la démocratie et comme un arrangement entre colonies britanniques qui souhaitaient trouver une solution à l'affrontement entre le Québec et l'Ontario sur une base nationale et linguistique et dans la crainte de se faire avaler par les États-Unis. On a voulu créer un regroupement de colonies qui pouvaient s'autogouverner, mais on a omis d'imaginer des solutions adaptées au Canada préférant importer des institutions de la mère-patrie l'Angleterre. Donald J Savoie porte un jugement sévère sur cette période de l'histoire canadienne que nous partageons : « Les Pères de la Confédération, contrairement à leurs homologues des États-Unis, ne virent pas la nécessité de proposer des idées nouvelles sur la meilleure façon d'organiser les institutions politiques afin de les adapter non seulement à une culture politique distincte, mais aussi à la diversité linguistique, culturelle, régionale du nouveau pays. » (Donald J. Savoie, Ibid. p. 82.)

À cette époque, Macdonald, Cartier et les autres ont voulu régler la question des luttes entre français et anglais en créant un État unitaire où l'autorité fédérale se réservait les pouvoirs importants et reléguait aux provinces des pouvoirs jugés insignifiants pour l'époque, tout en se donnant la compétence légale de désavouer les lois des législatures provinciales. Cela est arrivé à de multiples occasions au 19e siècle. Bref, le Canada a été créé pour des raisons pratiques sans vision et de façon antidémocratique. Ce pays a par la suite évolué et s'est transformé, mais sans jamais remettre en question les vices à la base de sa création soit une incapacité de tenir compte de la diversité et des régions qui le compose. Pas étonnant que l'on retrouve aujourd'hui des régions qui vivent un sentiment d'aliénation. La seule tentative réussie de refonder le Canada ce fut celle de Pierre Elliott Trudeau qui l'a fait dans le cadre du rapatriement de la constitution canadienne en 1982. Par la suite, l'échec de Meech nous le rappelle, le Canada a été incapable de reconnaître les nations qui le composent tout en respectant les droits et libertés de ses habitants. Une vision purement légaliste du libéralisme s'oppose ainsi à une vision plus communautariste du Canada.

La crise actuelle

Dans un tel contexte historique et épousant les contours d'une mouvance mondiale où le populisme et le cynisme menacent l'avenir de la démocratie. Il faut agir même si le Canada semble épargner jusqu'à maintenant des Trump de ce monde. Néanmoins, les tares d'origine handicapent plus que jamais l'avenir de notre pays.

Le premier handicap majeur est la centralisation du pouvoir aux seules mains du Conseil exécutif et du bureau du premier ministre, le Bureau du Conseil privé. Comme l'a établi Donald J. Savoie dans son livre Governing From The Centre publié par la maison d'édition Toronto University Press en 1999 : « Depuis une trentaine d'années, le pouvoir exécutif a tout centralisé les pouvoirs autour du premier ministre. Des organismes tels que le Bureau du Conseil privé, le ministère des Finances et le Conseil du Trésor exercent leur influence de manière horizontale, en décidant les méthodes dont les politiques sont élaborées et la manière dont l'argent est dépensé. Ces organisations ont été créées pour rationaliser les processus de planification à Ottawa. Cela a concentré le pouvoir autour de la personne du premier ministre et a affaibli l'influence des ministres, des départements hiérarchiques traditionnels et même du Parlement, sans contribuer à l'élaboration de politiques plus rationnelles et cohérentes. » (Donald J. Savoie Governing from the Centre. Concentration of Power in Canadian Politics, Toronto, University of Toronto Press, 1999, 440 p.). Ce travers s'ajoute aux problèmes structurels des débuts du Canada qui trouve son origine dans sa fondation en 1867.

Savoie a poursuivi sa réflexion dans son livre sur la démocratie au Canada et il a identifié les quatre grands défis que doit relever la démocratie canadienne : « Tout d'abord, les institutions politiques nationales demeurent incapables de tenir compte du facteur régional dans l'élaboration des politiques et d'exercer leurs activités conformément aux conventions constitutionnelles qui sous-tendent le gouvernement parlementaire fondé sur celui de Westminster. Deuxièmement, la bureaucratie gouvernementale a perdu ses repères et n'est plus en mesure de répondre aux attentes des politiciens et des citoyens. De plus, le citoyen moyen croit que les institutions politiques nationales servent les intérêts de ceux qui sont en poste, de l'élite économique et des groupes d'intérêt au détriment de son propre intérêt. Enfin, la reddition des comptes au sein du gouvernement ne répond plus aux exigences actuelles en raison de l'essor des nouveaux médias, du travail des lobbyistes et des appels incessants à une plus grande transparence. » (Donald J. Savoie, La démocratie au Canada. L'effritement de nos institutions, op. cit. p. 20)

L'avenir du Canada

Je suis de ceux qui croient fermement que le Canada mérite mieux comme avenir que celui que nous lui donnons aujourd'hui. Le Canada est un projet inachevé qui est digne de notre considération et nos efforts. Pour cela, il faudra cependant ne pas avoir peur de mettre la main à la pâte et de renouveler nos institutions et la constitution canadienne. Ce ne sont pas que de vieilles chicanes quoique puisse en dire le premier ministre, Justin Trudeau. Je soutiens respectueusement qu'il faut agir si l'on souhaite que le Canada puisse avoir un avenir à la mesure de nos aspirations, il faut mettre fin au pouvoir concentré dans les mains du premier ministre et redonner à la Chambre des communes toute la légitimité qu'elle mérite. Il faudrait aussi réformer le Sénat pour en faire le porte-parole des régions au Canada. Le Conseil des ministres devrait redevenir un lieu d'élaboration des politiques gouvernementales, pas uniquement une instance de consultation faisant office de groupe de discussion du premier ministre. Enfin, et cela n'est pas la moindre des choses, il faudrait que le Canada soit en mesure de reconnaître les droits nationaux des Premières nations, du Québec et de l'Acadie.

Bref, il faut revoir la constitution de notre pays en y mettant à contribution la population canadienne et pas seulement celle de ses élites. Il est à souhaiter que les forces politiques de l'Ouest, du Québec et des Maritimes puissent éviter de s'affronter bêtement, mais plutôt qu'elles entreprennent ensemble un dialogue pour juguler la crise qui se profile à l'horizon. Ce moment devrait plutôt devenir le prétexte à une refondation du Canada d'aujourd'hui...


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