Dans ma chronique de mai dernier intitulée : La province
de Québec n'a pas d'opinions que des sentiments, j'écrivais ceci : « Wilfrid Laurier, un ancien grand premier
ministre avait déclaré que sa province, le Québec, n'avait pas d'opinions, mais
que des sentiments. » Aujourd'hui, on doit se rendre à l'évidence qu'il avait
raison en partie du moins. Il n'avait pas prévu qu'à notre époque les opinions
seraient basées sur des sentiments et non sur la science. Le Québec a non
seulement des sentiments, mais il se gouverne avec des opinions issues de ces
sentiments. Nous en sommes au gouvernement de l'opinion et des sentiments et de
la bonne conscience. La semaine que nous venons de vivre me donne raison.
Dans le temps de le dire,
l'itinérance, le coût de la vie et la question du logement sont devenus des
questions incontournables pour tout politicien qui veut de faire réélire. Comme
si ces questions étaient nouvelles. Ce qui est nouveau aujourd'hui c'est le
degré d'attention que nous leur portons. Et ça c'est le résultat d'habiles
campagnes de relations publiques des maires, du chef conservateur de
l'opposition fédéral, Pierre Poilievre et de la complicité involontaire des
médias. Nous sommes gouvernés par l'opinion ambiante plutôt que par les
faits. C'est le cirque de la démocratie.
Le phénomène Poilievre
Il y a une dizaine de jours, Poilievre a fait bonne figure à
Québec. Il a su harnacher la colère et l'impuissance des Canadiennes et des
Canadiens dans un discours politique articulé et simple : tout cela c'est
la faute de Justin. Bien sûr, nous savons tous que Pierre Poilievre n'a pas
vraiment de solutions à la crise du logement, encore moins quant à la crise de
l'itinérance. Il n'a pas plus que les autres politiciens accès à des leviers
significatifs pour réduire l'inflation et soulager le portefeuille des
contribuables canadiens. Bien sûr, il y a la rhétorique habituelle sur le
déficit de l'État fédéral, les dépenses irresponsables du gouvernement Trudeau,
la taxe sur le carbone et le durcissement des peines contre les vrais
criminels. Le discours habituel des conservateurs, mais qui ces jours-ci trouve
une oreille attentive auprès d'une majorité de la population. Les sondages
défavorables pour les libéraux de Justin Trudeau en sont une expression
évidente. Ce qui ne signifie pas que les recettes à la Poilievre ne viendrait
pas empirer la situation. Songeons un instant ce qu'aurait été le Canada si Poilievre
avait été notre premier ministre depuis 2015.
Dystopie d'un Canada bleu Poilievre
Sous le leadership de Poilievre, le Canada aurait négocié un
accord de libre-échange à rabais avec Trump où on aurait laissé tomber le
système de gestion de l'offre au profit de moins d'interventions dans le marché.
Pour protéger l'agriculture du blé de l'Ouest canadien et négocier de plus
grands avantages pour l'industrie pétrolière canadienne, tout aurait été
négociable pour lui. Ce qui aurait rapporté d'importants revenus à l'État
canadien. Parlant d'économie du pétrole, Poilievre n'aurait pas acheté,
contrairement à Justin Trudeau, le pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan,
mais aurait plutôt forcé le jeu en s'attaquant au gouvernement
Si je reste dans le
domaine des pipelines, Poilievre, il l'a encore mentionné la semaine dernière,
croit toujours qu'il est vital qu'un pipeline pétrolier traverse la vallée du
Saint-Laurent pour se rendre dans les Maritimes afin d'écouler le pétrole
canadien sur les marchés internationaux. Sous un gouvernement Poilievre, nous
aurions vu aboutir ce projet qui serait réalisé aujourd'hui. Nous aurions eu
aussi droit à un complexe méthanier sur la Rive-Sud de Québec : le projet
Rabaska.
Le gouvernement Poilievre
n'aurait pas bien sûr implanté une taxe sur le carbone. À quoi bon parler de la
réduction des gaz à effet de serre tant et aussi longtemps que la Chine et
l'Inde ne réduiront pas leurs émissions nous aurait raconté Poilievre ? Au
fond, la crise climatique est une illusion. Il n'y a pas de réchauffement de la
planète. Un problème de moins sous un gouvernement Poilievre.
Sur la crise liée à
la hausse des prix, là aussi il n'y aura pas eu d'inflation puisque le
gouvernement n'aurait pas fait de déficit comme celui de Justin Trudeau. Par
exemple, lors de l'épidémie liée à la COVID-19, le gouvernement n'aurait pris
aucune mesure particulière. Pas de fermeture de frontière, pas de vaccins,
inefficaces de toute façon, pas de mesures sanitaires. Un gouvernement
Poilievre s'en serait remis à la responsabilité de chaque individu. Bien sûr,
il y aurait pu avoir plus de décès, mais pour Poilievre ce n'est que le
résultat de la loi de Dieu.
Sous Poilievre, le
monde serait plus simple. Pas de crises climatiques, pas de crise de
l'itinérance puisque ces gens auraient été mis en prison pour vagabondage ou
pour avoir mendier sur la place publique et pas de crise du logement parce que
les jeunes familles auraient accès à une propriété grâce à la croissance de
l'économie canadienne. Il est clair que nous avons erré quand nous nous sommes
donné un gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau. Il aurait fallu voter
bleu.
Plus sérieusement...
On peut s'amuser à
imaginer des mondes qui n'existent pas. Nous pouvons vouloir rompre avec la
complexité du monde dans lequel nous vivons, mais malgré tous nos efforts
d'imagination, nous serons confrontés à une population qui vieillit, à la
pénurie de la main-d'œuvre, à l'existence de guerre comme celle en Ukraine, à
la multiplication des souffrances parmi la population liées à la pauvreté, à la
toxicomanie ou à la violence. Cela ne changera pas et nous serons toujours
impuissants à faire disparaître tous les problèmes. Ce n'est pas quelque chose
que nous contrôlons et il faut se le dire.
Ce que nous
contrôlons par ailleurs ce sont les débats que nous avons entre nous. Nous
contrôlons ce qui devient populaire instantanément par notre intérêt. Notre
duplicité et notre hypocrisie sont de feindre de croire qu'il existe quelque
part des baguettes magiques et des magiciens qui pourront simplifier cette
complexité du monde pour notre confort.
Dans un tel cirque,
il m'apparaît plus encore aujourd'hui qu'hier que le gouvernement libéral de
Justin Trudeau est l'un de nos outils pour tenter de juguler ces différentes
crises auxquelles nous sommes présentement confrontées. Pour les libéraux qui
sont là depuis huit ans, ce n'est pas facile de renouveler en construisant
l'avion en vol, mais ils n'ont pas le choix. Poilievre avec l'aide de ses
redoutables talents de démagogues est en action et il touche bien souvent la
cible de notre engouement pour des solutions faciles.
Pour Justin Trudeau
aussi la pente est abrupte. Depuis son élection en 2015, il a souvent déçu. Il
doit aujourd'hui passer à la seconde vitesse et faire ce qu'il connait
bien : boxer avec l'opinion publique...