Qui dit atavisme dit hérédité. Il s'agit de caractéristiques
physiques ou psychologiques qui deviennent partie prenante des caractères
physiques ou psychologiques d'une société. C'est en quelque sorte le retour du
même caractère au sein d'une société politique qui reste présent après maintes
générations. Au Québec, c'est le libéralisme et le nationalisme qui sont les
caractéristiques ataviques de notre société politique. Le nationalisme
québécois a revêtu plusieurs visages au cours de notre histoire, d'un
nationalisme grégaire de survivance, nous en sommes venus en un nationalisme
d'affirmation qui a pris parfois des allures révolutionnaires, tranquilles ou
pas. Une chose demeure plus centrale dans l'affirmation de la personnalité distinctive
du Québec durant toute notre histoire c'est la place qu'y occupe la défense de
la langue française.
Il y a quelque chose de malaisant dans le différend qui
oppose notre artiste Samian et le Festival de la chanson de Granby autour de la
langue de l'expression de l'artiste dans ses prestations artistiques. Il s'agit
en fait de la capacité du nationalisme québécois à accueillir comme sien
l'héritage des premiers peuples dont leur langue maternelle. Réflexions autour
du refoulé québécois.
La Loi 96
Le gouvernement Legault a déposé un projet de loi, la Loi 96,
pour renforcer la Loi 101. Les débats font rage autour de cette loi. Les plus
nationalistes la trouvent timide et timorée parce qu'elle ne va pas assez loin
notamment en n'étendant pas la Loi 101 au collège d'enseignement général
(CÉGEP). D'autres, en particulier les représentants de la communauté anglophone
et le PLQ, pestent contre les mesures venant contrer l'expansion des collèges
de langue anglaise comme Dawson et Champlain et sont en désaccord avec
l'utilisation de la clause dérogatoire nonobstant qui vient limiter les
capacités de contestation de la Loi devant les tribunaux.
La défense de la langue française a toujours été un enjeu
majeur du nationalisme québécois. Sous la plume de Lionel Groulx et d'André
Laurendeau, la défense du français était un sujet de prédilection pour ces
pères du nationalisme québécois comme cela l'avait été des décennies auparavant
pour le nationaliste Henri Bourassa. Avec l'élection des trois colombes à
Ottawa, dont le père de l'actuel premier ministre Justin Trudeau, Pierre Elliott
Trudeau était le fer de lance, on a adopté une politique de bilinguisme au
Canada qui n'a jamais donné de réels fruits pour l'avancée et la protection de
la langue française au pays. Le gouvernement Trudeau tente de corriger le tir
avec une nouvelle mouture du projet de loi élaboré par Mélanie Joly et redéposé
ces derniers jours par la ministre Petitpas.
Pendant que les gouvernements s'activent sur le plan
législatif, Montréal quant à elle voit de plus en plus la langue française
reculée et de nombreuses entreprises à charte canadienne soumise aux lois
fédérales, mais pas à la Loi 101 n'ont même pas de porte-parole parlant
français, même si leur siège social est au Québec comme Air Canada. Cela est
aussi vrai pour des entreprises privées comme SNC-Lavalin.
L'affaire Samian
C'est dans
ce contexte que l'artiste Samian a dénoncé le Festival de la chanson de Granby
qui lui interdit de chanter dans sa langue maternelle : « C'est royalement insultant. » L'artiste Samian
ne mâche pas ses mots au sujet du Festival international de la chanson de
Granby. Selon lui, l'organisation l'a invité à prendre part à l'événement en
août prochain, mais en lui demandant par la suite de faire des compromis sur sa
langue ancestrale, l'anishinaabemowin. (Cité dans un
quotidien de Granby.)
La question que pose sur sa
page Facebook le chanteur d'Amos Samain, issu de la Première Nation
Abitibiwinni, mérite réponse : « Est-ce qu'encore, en 2022, les langues autochtones
doivent être considérées comme des langues étrangères ? Ces langues ancestrales
d'ici n'ont rien de menaçant pour le français ! J'en ai royalement marre de cette
(sic) mentalité coloniale ! Il est temps de changer ça au Québec ! L'heure est
pressante à la décolonisation », a-t-il écrit.
Comment les représentants d'une
nation minoritaire, enfermée géographiquement dans un océan anglophone, peuvent-ils
se montrer accueillants envers des langues minoritaires et discriminées comme
le sont les langues des peuples premiers du Canada ? Relire Gaston Miron s'avère
un exercice utile pour réfléchir à cette question.
L'héritage de Gaston Miron
Les débats qui ont précédé
l'adoption de la Loi 101 sont riches en enseignement et Gaston Miron,
poète et célèbre auteur de l'homme rapaillé, a été un fervent militant pour la
langue française. Nicolas Bourdon a écrit dans Le
Devoir du 12 mars dernier : « Le projet de loi 96 du gouvernement
Legault est présentement à l'étape de l'étude détaillée en commission
parlementaire. Ce projet ne présente malheureusement pas de mesure forte qui
contribuerait à changer substantiellement la dynamique linguistique du Québec.
L'extension de la loi 101 au niveau collégial est une mesure phare que
plusieurs démographes et experts réclament depuis longtemps, mais qui
malheureusement ne figure toujours pas dans le projet de loi. »
Il poursuit en extrapolant la position
qu'aurait Miron sur le projet de loi 96 du ministre Jolin-Barette : « Il
est pourtant illusoire de vouloir améliorer la qualité du français des jeunes
Québécois sans que le français soit la langue de l'éducation supérieure et du travail.
Veut-on s'améliorer en français et dépasser le niveau de base qu'on a acquis au
sortir du secondaire quand on sait que cette langue est déclassée ? Non. "Dans
le statu quo, écrit Miron, on ne peut agir directement sur la langue, on ne
fait appel qu'à des motivations qui ne touchent que des individus. Mais, si on
change la situation globale qui conditionne le fonctionnement de la langue, la
langue va se récupérer d'elle-même [...]. L'apprentissage et la pratique vont
devenir des motivations profondes", écrit-il dans Décoloniser la langue. »
loc. cit.
Il en vient à la conclusion que
Gaston Miron aurait été favorable à l'application de la Loi 101 au Cégep :
« Il faut se rendre à
l'évidence, un nombre important de nos dirigeants n'ont jamais embrassé deux
des grands objectifs de la loi 101 : faire de la langue française la
langue de l'éducation et du marché du travail. Ils militent plutôt pour un
bilinguisme institutionnel dans lequel le français n'est plus qu'une langue sur
deux et, de plus en plus souvent, la deuxième. Leur discours contribue à
cantonner le français dans des lieux que Miron appelle des "lieux de refuge",
des lieux du "dedans", du "repli culturel". Dans cette optique, le français est
essentiellement la langue de la famille et, à la limite, celle de l'école
primaire et secondaire ; le "dehors", l'éducation supérieure et le monde du
travail fonctionnent au contraire en anglais. Or, le poète de La vie
agonique savait fort bien qu'une langue qui se cantonne dans des lieux de
refuge est une langue qui meurt à petit feu. Il lui importait donc de "refaire
l'unité du dedans et du dehors, de rendre l'homme adéquat à son réel." Étendre
la loi 101 au cégep consiste assurément à faire un pas important dans la
réalisation de l'objectif que Miron s'était fixé. » loc. cit.
L'inconfort de l'incident Samian
Ce qu'il y a de dérangeant dans le débat que lance
l'artiste d'Amos Samian c'est que la défense et la survie d'une langue ne peuvent
avoir de succès dans des « lieux de refuge » comme le démontre l'histoire des
législations linguistiques au Canada. Cela donne des langues qui meurent à
petit feu comme le français dans le Rest of Canada et dans la région de
Montréal au Québec. En même temps, comment pouvons-nous feindre ne pas
comprendre la douleur des peuples autochtones quant au sort réservé à leurs
langues et à leurs traditions ? Malaise qui vient heurter notre vieil atavisme
politique...