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Atavisme politique

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 16 mars 2022

Qui dit atavisme dit hérédité. Il s'agit de caractéristiques physiques ou psychologiques qui deviennent partie prenante des caractères physiques ou psychologiques d'une société. C'est en quelque sorte le retour du même caractère au sein d'une société politique qui reste présent après maintes générations. Au Québec, c'est le libéralisme et le nationalisme qui sont les caractéristiques ataviques de notre société politique. Le nationalisme québécois a revêtu plusieurs visages au cours de notre histoire, d'un nationalisme grégaire de survivance, nous en sommes venus en un nationalisme d'affirmation qui a pris parfois des allures révolutionnaires, tranquilles ou pas. Une chose demeure plus centrale dans l'affirmation de la personnalité distinctive du Québec durant toute notre histoire c'est la place qu'y occupe la défense de la langue française.

Il y a quelque chose de malaisant dans le différend qui oppose notre artiste Samian et le Festival de la chanson de Granby autour de la langue de l'expression de l'artiste dans ses prestations artistiques. Il s'agit en fait de la capacité du nationalisme québécois à accueillir comme sien l'héritage des premiers peuples dont leur langue maternelle. Réflexions autour du refoulé québécois.

La Loi 96

Le gouvernement Legault a déposé un projet de loi, la Loi 96, pour renforcer la Loi 101. Les débats font rage autour de cette loi. Les plus nationalistes la trouvent timide et timorée parce qu'elle ne va pas assez loin notamment en n'étendant pas la Loi 101 au collège d'enseignement général (CÉGEP). D'autres, en particulier les représentants de la communauté anglophone et le PLQ, pestent contre les mesures venant contrer l'expansion des collèges de langue anglaise comme Dawson et Champlain et sont en désaccord avec l'utilisation de la clause dérogatoire nonobstant qui vient limiter les capacités de contestation de la Loi devant les tribunaux.

La défense de la langue française a toujours été un enjeu majeur du nationalisme québécois. Sous la plume de Lionel Groulx et d'André Laurendeau, la défense du français était un sujet de prédilection pour ces pères du nationalisme québécois comme cela l'avait été des décennies auparavant pour le nationaliste Henri Bourassa. Avec l'élection des trois colombes à Ottawa, dont le père de l'actuel premier ministre Justin Trudeau, Pierre Elliott Trudeau était le fer de lance, on a adopté une politique de bilinguisme au Canada qui n'a jamais donné de réels fruits pour l'avancée et la protection de la langue française au pays. Le gouvernement Trudeau tente de corriger le tir avec une nouvelle mouture du projet de loi élaboré par Mélanie Joly et redéposé ces derniers jours par la ministre Petitpas.

Pendant que les gouvernements s'activent sur le plan législatif, Montréal quant à elle voit de plus en plus la langue française reculée et de nombreuses entreprises à charte canadienne soumise aux lois fédérales, mais pas à la Loi 101 n'ont même pas de porte-parole parlant français, même si leur siège social est au Québec comme Air Canada. Cela est aussi vrai pour des entreprises privées comme SNC-Lavalin.

L'affaire Samian

C'est dans ce contexte que l'artiste Samian a dénoncé le Festival de la chanson de Granby qui lui interdit de chanter dans sa langue maternelle : « C'est royalement insultant. » L'artiste Samian ne mâche pas ses mots au sujet du Festival international de la chanson de Granby. Selon lui, l'organisation l'a invité à prendre part à l'événement en août prochain, mais en lui demandant par la suite de faire des compromis sur sa langue ancestrale, l'anishinaabemowin. (Cité dans un quotidien de Granby.)

La question que pose sur sa page Facebook le chanteur d'Amos Samain, issu de la Première Nation Abitibiwinni, mérite réponse : « Est-ce qu'encore, en 2022, les langues autochtones doivent être considérées comme des langues étrangères ? Ces langues ancestrales d'ici n'ont rien de menaçant pour le français ! J'en ai royalement marre de cette (sic) mentalité coloniale ! Il est temps de changer ça au Québec ! L'heure est pressante à la décolonisation », a-t-il écrit.

Comment les représentants d'une nation minoritaire, enfermée géographiquement dans un océan anglophone, peuvent-ils se montrer accueillants envers des langues minoritaires et discriminées comme le sont les langues des peuples premiers du Canada ? Relire Gaston Miron s'avère un exercice utile pour réfléchir à cette question.

L'héritage de Gaston Miron

Les débats qui ont précédé l'adoption de la Loi 101 sont riches en enseignement et Gaston Miron, poète et célèbre auteur de l'homme rapaillé, a été un fervent militant pour la langue française. Nicolas Bourdon a écrit dans Le Devoir du 12 mars dernier : «Le projet de loi 96 du gouvernement Legault est présentement à l'étape de l'étude détaillée en commission parlementaire. Ce projet ne présente malheureusement pas de mesure forte qui contribuerait à changer substantiellement la dynamique linguistique du Québec. L'extension de la loi 101 au niveau collégial est une mesure phare que plusieurs démographes et experts réclament depuis longtemps, mais qui malheureusement ne figure toujours pas dans le projet de loi. »

Il poursuit en extrapolant la position qu'aurait Miron sur le projet de loi 96 du ministre Jolin-Barette : « Il est pourtant illusoire de vouloir améliorer la qualité du français des jeunes Québécois sans que le français soit la langue de l'éducation supérieure et du travail. Veut-on s'améliorer en français et dépasser le niveau de base qu'on a acquis au sortir du secondaire quand on sait que cette langue est déclassée ? Non. "Dans le statu quo, écrit Miron, on ne peut agir directement sur la langue, on ne fait appel qu'à des motivations qui ne touchent que des individus. Mais, si on change la situation globale qui conditionne le fonctionnement de la langue, la langue va se récupérer d'elle-même [...]. L'apprentissage et la pratique vont devenir des motivations profondes", écrit-il dans Décoloniser la langue. » loc. cit.

Il en vient à la conclusion que Gaston Miron aurait été favorable à l'application de la Loi 101 au Cégep : « Il faut se rendre à l'évidence, un nombre important de nos dirigeants n'ont jamais embrassé deux des grands objectifs de la loi 101 : faire de la langue française la langue de l'éducation et du marché du travail. Ils militent plutôt pour un bilinguisme institutionnel dans lequel le français n'est plus qu'une langue sur deux et, de plus en plus souvent, la deuxième. Leur discours contribue à cantonner le français dans des lieux que Miron appelle des "lieux de refuge", des lieux du "dedans", du "repli culturel". Dans cette optique, le français est essentiellement la langue de la famille et, à la limite, celle de l'école primaire et secondaire ; le "dehors", l'éducation supérieure et le monde du travail fonctionnent au contraire en anglais. Or, le poète de La vie agonique savait fort bien qu'une langue qui se cantonne dans des lieux de refuge est une langue qui meurt à petit feu. Il lui importait donc de "refaire l'unité du dedans et du dehors, de rendre l'homme adéquat à son réel." Étendre la loi 101 au cégep consiste assurément à faire un pas important dans la réalisation de l'objectif que Miron s'était fixé. » loc. cit.

L'inconfort de l'incident Samian

Ce qu'il y a de dérangeant dans le débat que lance l'artiste d'Amos Samian c'est que la défense et la survie d'une langue ne peuvent avoir de succès dans des « lieux de refuge » comme le démontre l'histoire des législations linguistiques au Canada. Cela donne des langues qui meurent à petit feu comme le français dans le Rest of Canada et dans la région de Montréal au Québec. En même temps, comment pouvons-nous feindre ne pas comprendre la douleur des peuples autochtones quant au sort réservé à leurs langues et à leurs traditions ? Malaise qui vient heurter notre vieil atavisme politique...


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