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Parlons de religion... laïcisons le Québec et le Canada...

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 5 octobre 2016

Comme de nombreux Québécois et de nombreux membres du clergé québécois, j'ai été indigné la semaine dernière lorsque j'ai pris connaissance de la position des évêques de l'Ouest du pays concernant l'aide médicale à mourir. Un document signé de six évêques recommande à la Conférence des évêques catholiques du Canada de refuser les funérailles religieuses aux croyants qui font appel à l'aide médicale à mourir. Ce sujet sera débattu lors d'une rencontre de cette institution qui se tient à Cornwall, en Ontario.

De nombreuses voix parmi les évêques québécois se sont élevées, dont celle du Cardinal Lacroix qui a fait clairement connaître sa position sur son compte Twitter. Il écrivait que : « Je n'envisage pas de directives qui auraient pour but de refuser l'accompagnement ou l'accès aux sacrements des malades/funérailles. »

Quoi qu'il en soit, le mal est fait et l'Église catholique romaine a prouvé à de maintes occasions son incompétence à s'adapter à la modernité. Le Québec et le Canada aussi ont failli dans leur inaction à adapter l'État québécois et l'État canadien à la réalité du fait religieux. Le Québec et le Canada ont été incapables de faire suivre des gestes forts de laïcité pour accompagner le double mouvement de la sécularisation et de la déchristianisation des sociétés québécoise et canadienne. Ce qui peut inquiéter dans ce phénomène c'est que ce que nous n'avons pas fait avec l'une des religions dominantes de ce pays, le catholicisme, risque de se reproduire dans nos rapports avec les autres religions. Cela se traduit aujourd'hui par nos rapports troubles avec la religion musulmane. Tentative de compréhension de l'impact du fait religieux sur les sociétés québécoises et canadiennes.

Le fait religieux

Quoi que l'on puisse en penser, le fait religieux est toujours un aspect important de la vie des sociétés contemporaines et a fortiori de la société québécoise et canadienne. Au-delà des croyances des uns et des autres, il faut se rendre à l'évidence, le fait religieux tient encore une grande place dans nos vies et dans l'histoire de notre société. La religion a entretenu et entretient toujours des rapports touffus avec toutes les composantes de notre vie collective. Le facteur religieux n'est pas qu'affaire de croyances, mais c'est aussi un phénomène de société.

Comme fait de société, le fait religieux a de nombreux effets sur nous. D'abord, l'adhésion à une croyance religieuse a des effets sur nos comportements. Puis, il a une dimension sociale puisque cela se vit à l'intérieur de communautés confessionnelles au sein de la société globale. Un québécois catholique pratiquant appartient à la fois à l'Église de sa foi et aux nations québécoises et canadiennes. S'ensuivent donc des rapports entre ces communautés confessionnelles et l'État.

Les rapports des Églises et de l'État sont généralement les plus visibles, mais ce ne sont pas les seuls en cause. Ce n'est que le sommet de la pyramide de relations multiples comme le mouvement des idées, la culture, les opinions, les mentalités, etc. Même aujourd'hui, alors que nous vivons dans une société de plus en plus sécularisée, le fait religieux pèse toujours sur nos destins. Cela s'explique notamment par l'œuvre inachevée de laïcisation de nos sociétés et de l'effet combiné du double mouvement de sécularisation et de déchristianisation qui n'a pas été accompagné de gestes forts de laïcité.

La sécularisation des sociétés occidentales

La sécularisation des sociétés occidentales est un mouvement amorcé depuis fort longtemps et qui puise ses racines profondes dans la réforme luthérienne qui a largement affecté le visage contemporain que nous offrent le continent européen et même l'Amérique incluant les États-Unis et le Canada. Par la suite, la Révolution française de 1789 et la Révolution américaine de 1776 ont, toutes les deux, balisé les rapports entre le fait religieux et la société. Il en est de même de plusieurs courants philosophiques. Néanmoins, il faut se rendre à l'évidence que les rapports entre le fait religieux et le pouvoir laïque n'ont pas été de tout repos. C'est une histoire ponctuée de violences, de dissidences et souvent d'impuissance. Pour vous en convaincre, je vous réfère aux livres de l'historien René Rémond sur le 19e siècle, de Marcel Gauchet sur le désenchantement du monde ou encore sur la très belle synthèse de l'historien québécois Yves Gingras sur l'impossible dialogue entre religions et sciences.

Le plus grand combat de la Révolution française et du mouvement des idées des philosophes de la modernité comme Kant et Voltaire fut celui, non pas de la tolérance de la dissidence religieuse, mais bel et bien de la reconnaissance publique de la liberté de croyance et de l'égalité de tous les cultes devant la loi. Ce mouvement puissant des idées du 18e siècle revendiquait l'autonomie de la société civile et portait en germe la laïcisation de l'État, la sécularisation de la société et la séparation du religieux et du profane. Ce mouvement chez nous ne s'est accompli qu'avec la Révolution tranquille. Comme ce fut l'objet de compromis, l'œuvre n'a jamais été achevée et nous sommes toujours devant un État qui n'a pas posé de gestes forts de laïcité. Cela presse plus que jamais et est d'autant plus nécessaire que nous vivons une période de déchristianisation comme société.

La déchristianisation du Québec

La déchristianisation n'a rien à voir avec la laïcité ni avec la sécularisation. Il s'agit du phénomène lié aux comportements personnels et aux croyances intimes des individus. Depuis une centaine d'années en Occident et depuis au moins 50 ans au Québec, des masses d'individus paraissent se désintéresser de toutes croyances religieuses. L'Église catholique aujourd'hui ne représente plus, pour une large majorité d'entre nous, que désintérêt et indifférence. Vous croyez que j'exagère...

Au Québec, nous dit un article d'Antoine Robitaille du journal Le Devoir en 2010, « De nombreuses statistiques montrent depuis longtemps le déclin de l'Église catholique. Entre 1957 et 2000, le taux de fidèles allant à la messe le dimanche est tombé de 88 % à 20 %. Chez les jeunes, le phénomène est plus accentué encore: parmi les 18 à 34 ans, en 2000, il y avait 5 % de pratiquants seulement. Pratiquement dans tous les diocèses, l'âge moyen des prêtres dépasse les 70 ans. Dans l'archidiocèse de Québec, de 1997 à 2010, le nombre de curés et d'équipes pastorales est passé de 166 à 73. »

Il ne subsiste chez nous qu'une forme de catholicisme culturel qui fait que nous continuons à revendiquer notre statut de membre de la catholicité à l'occasion des naissances, des mariages et des décès. Nous revendiquons aussi ce statut dans notre référent identitaire comme patrimoine pour l'opposer aux religions des nouveaux arrivants tout particulièrement vis-à-vis la religion musulmane que plusieurs associent à tort au terrorisme et à la charia.

Laïciser le Québec et le Canada

Il m'apparaît urgent que nos gouvernements, tant celui du Québec que du Canada, posent des gestes forts en matière de laïcisation de l'État. Il est anormal que l'on continue d'offrir chez nous des contenus religieux dans nos écoles, que l'on finance les Églises et les cultes par des crédits d'impôt ou encore par des subventions directes sous le couvert du patrimoine, que l'on fasse référence à Dieu dans la constitution canadienne, que l'on récite des prières dans des conseils municipaux ou encore que l'on maintienne un crucifix au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale au Québec.

Il est temps d'assumer notre héritage, de rompre avec le fait religieux officiellement et de faire de nos États des lieux de laïcité. La laïcité s'impose et viendra compléter une longue évolution où nous avons assisté à la sécularisation du Québec et à sa déchristianisation. La laïcité est le chaînon manquant de cette évolution. Une fois pour toutes, parlons de religion, mais laïcisons le Québec et le Canada...


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