Que le nom de William Shakespeare ait été celui d'un véritable génie ou celui d'un tâcheron ayant servi de prête-nom, qu'il s'agisse du pseudonyme d'un ou de plusieurs hommes de théâtre du XVIe siècle ou de quelques lettrés de la cour élisabéthaine, tout le monde reconnaît au personnage une compréhension remarquable des humains et de leurs codes moraux. Mais personne à ce jour, n'a salué ses étonnantes capacités de prémonition, de prédiction, voire de futurologie, ce que moi, ce matin, je fais sans sourcilier. Bref, j'affirme que l'on peut retrouver des conseils très pertinents quant à la fréquentation des réseaux sociaux dans l'œuvre de Shakespeare, notamment dans Hamlet.
À la scène III de l'acte 1, on voit Polonius, l'éminence grise du roi Claudius, abreuver de conseils son fils Laertes qui s'en va en mission à l'étranger. J'ai déniché une traduction française qui m'est apparue fidèle (vous pouvez comparer ici), laquelle je vous la présente ci-après, en points détachés. Je n'ai changé ou omis aucun mot du texte; je n'ai ajouté que des sauts de ligne pour simplifier la présentation.
POLONIUS. - Encore ici, Laertes ! A bord ! à bord ! Quelle honte ! Le vent est assis sur l'épaule de votre voile, et l'on vous attend. Voici ma bénédiction ! (Il met sa main sur la tête de Laertes.) Maintenant grave dans ta mémoire ces quelques préceptes.
- Refuse l'expression à tes pensées et l'exécution à toute idée irréfléchie.
- Sois familier, mais nullement vulgaire.
- Quand tu as adopté et éprouvé un ami, accroche-le à ton âme avec un crampon d'acier ;
- mais ne durcis pas ta main au contact du premier camarade frais éclos que tu dénicheras.
- Garde-toi d'entrer dans une querelle, mais, une fois dedans, comporte-toi de manière que l'adversaire se garde de toi.
- Prête l'oreille à tous, mais tes paroles au petit nombre.
- Prends l'opinion de chacun ; mais réserve ton jugement.
- Que ta mise soit aussi coûteuse que ta bourse te le permet, sans être de fantaisie excentrique ; riche, mais peu voyante ; car le vêtement révèle souvent l'homme. »
Pas pire, non ?
Et, un peu plus loin dans la même scène, Polonius admoneste sa fille Ophélia. En lisant le copié-collé qui suit, songez à Facebook et à une certaine pratique bien établie.
POLONIUS. - Bah ! pièges à attraper des grues !
- Je sais, alors que le sang brûle, avec quelle prodigalité l'âme prête des serments à la langue.
- Ces lueurs, ma fille, qui donnent plus de lumière que de chaleur, et qui s'éteignent au moment même où elles promettent le plus, ne les prenez pas pour une vraie flamme.
- Désormais, ma fille, soyez un peu plus avare de votre virginale présence ; ne dépréciez point vos rendez-vous à ce point de les donner à commandement.
- Quant au seigneur Hamlet, ce que vous devez penser de lui, c'est qu'il est jeune, et qu'il a pour ses écarts la corde plus lâche que vous.
- En un mot, Ophélia, ne vous fiez pas à ses serments ; car ils sont, non les interprètes de l'intention qui se montre sous leur vêtement, mais les entremetteurs des désirs sacrilèges, qui ne profèrent tant de saintes et pieuses promesses que pour mieux tromper.
- Une fois pour toutes, je vous le dis en termes nets : à l'avenir, ne calomniez pas vos loisirs en employant une minute à échanger des paroles et à causer avec le seigneur Hamlet.
Comme quoi les outils passent, mais les humains restent !
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Nelson Dumais -