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Les déboires de Microsoft expliqués par l’usage du Stack Ranking


7 juillet 2012
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Nelson Dumais Par Nelson Dumais
Samedi le 7 juillet 2012

Première phrase-choc : « De nos jours, le iPhone d'Apple génère à lui seul plus de revenus que tous les logiciels Microsoft combinés. ».

En voici une deuxième : « Microsoft - des gens brillants qui font des choses médiocres ». Et une autre : « À cause de sa bureaucratie, Microsoft a torpillé toutes ses chances en mobilité où elle jouissait pourtant d'une grande avance sur sa concurrence. »

Ces phrases ne proviennent pas du blogue d'un ado fou du Mac ou d'un « spin » à la solde de Google/Apple/Oracle. On les retrouve plutôt dans l'édition courante de Vanity Fair, un magazine étasunien haut de gamme qui fêtera bientôt ses trente ans. Le titre ? « How Microsoft Lost Its Mojo: Steve Ballmer and Corporate America's Most Spectacular Decline" (Comment Microsoft a perdu sa touche magique: Steve Ballmer et le déclin le plus spectaculaire du monde américain des affaires). Cliquez ici pour une mise en contexte de l'article.

La thèse: Un jour, sous la gouverne de Bill Gates, Microsoft a implanté un système de gestion des ressources humaines pour le moins controversé appelé « Stack Ranking » (évaluation forcée en critères hiérarchisés ???). C'est cet outil de gestion qui aurait mis fin à l'innovation. L'Empire de Redmond se serait alors transformé en une redoutable bureaucratie financée par Windows et Office, deux produits mis au point avant l'ère du Stack Ranking. Ce que voyant, le successeur de Gates sur la chaise curule, Steve Ballmer, n'aurait rien fait pour corriger la situation sous prétexte que ça se faisait ailleurs (effectivement) et que, donc, c'était une méthode acceptable.

En gros, cette procédure oblige chaque unité de travail à évaluer le rendement de ses membres en les classant dans une ou l'autre des quatre catégories suivantes: excellent exécutant (« top performer »), bon exécutant, exécutant moyen et pauvre exécutant. Tous les membres d'une équipe doivent participer, patrons comme sans grade, de sorte que tout le monde évalue tout le monde, que ça plaise ou non. Les résultats sont compilés et la personne qui recueille la fiche la plus médiocre est, semble-t-il, congédiée.

Kurt Eichenwald, l'auteur de l'article cite un ancien programmeur de Microsoft (en fait, il en a interviewé des douzaines). "Si vous étiez membre d'une équipe de dix employés, vous commenciez votre première journée de travail en sachant que, nonobstant talents et compétences, deux personnes recevraient les meilleures évaluations, sept en auraient une médiocre et une dixième s'en verrait remettre une très négative. Voilà pourquoi les employés se font compétition au lieu d'exercer en groupe cette agressivité sur le marché à l'endroit de la concurrence. »

Idem pour les patrons. Quand un ingénieur visionnaire arrive avec un produit qui déroge un peu de la doctrine Windows ou Office, on le fait disparaître craignant de devenir la cible d'une évaluation terrible. Par exemple, un lectel (eReader) aurait été rejeté des années avant que le Kindle d'Amazon n'apparaisse. Autre exemple, MSN Messenger n'aura pas reçu, quand c'aurait été le temps (c'était l'époque de MySpace, quatre ou cinq ans avant l'arrivée de Facebook), un module de réseautage social. Et que dire des Tablet PC qui n'ont jamais vraiment déclenché de révolution ? Vision = inquiétudes = rejet !

On a compris que pour ne pas être saqué (les salaires sont très bons chez Microsoft), tout employé muni d'un instinct de survie élémentaire va faire en sorte de ne pas agacer ou inquiéter ses collègues. Il ne fera pas de vagues, il produira juste assez et sera très actif socialement au bon moment. Il calculera sans arrêt. Ce faisant, personne n'aura envie de se venger en lui accordant un score dévastateur. C'est normal. Si en raison de vos actions, vous recevez la cote la meilleure, cela signifie que ce n'est pas vous, mais un de vos collègues qui se retrouve coiffé du bonnet d'âne et qui risque de perdre son boulot.

D'un autre côté, si ce sont les barreaux de carrière qui motivent une personne, il se peut qu'elle s'organise pour toujours bien paraître. Quoi qu'en pensent les autres. Vous aurez beau travailler 80 heures par semaine pour bien paraître lors d'une évaluation de rendement, si votre collègue arrive « à marcher sur l'eau ou la changer en vin », c'est lui qui l'emportera. Vous vous retrouverez donc fatigué et démoralisé. Surtout si vous vous faites congédier.

En terme syndicaliste des années 70, le gars qui reçoit la meilleure évaluation est un « crosseur de shop », un « nez brun » qu'il faut planter pour mieux se protéger soi-même. Un « crosseur de shop » c'est un « zélé » qui fait hisser le seuil minimal de productivité, ce qui oblige tout le monde à faire plus et ... de plus en plus. Incidemment, l'URSS utilisait à l'époque un système analogue pour honorer ses héros du travail, des « crosseurs de shop » dont on affichait la tronche sur des panneaux réclames.

Remarquez, vous pouvez être chanceux et vous retrouver dans une équipe où les incompétents sont nombreux; vos chances de congédiement sont alors minimes. Par contre, vous pouvez tout aussi bien vous ramasser dans un groupe de nerds ou votre vie devient totalement enduite de travail, de travail et de travail, avec de sérieuses chances de perdre votre lucratif emploi.

Selon Eichenwald, une quantité inimaginable d'employés, certains arborant des CV pas piqués des vers, ont été contraints de quitter Microsoft. Certains, très talentueux, mais inaptes aux gamiques sociopolitiques internes, s'en sont allés exercer leur art ailleurs dans l'industrie.

Or, en juxtaposant l'ère du « Stack Ranking » à celle des innovations chez Microsoft, on arrive à comprendre le pourquoi du comment de certains gros bides. Ce serait le cas, notamment, de la plate-forme mobile, celle qui menait le bal mondial pour devenir WinPhone 7, du Zune avec son écosystème lancé tout croche et trop tard, de Windows Vista, SE dont la conception et le développement a dû coûter deux ou trois fois plus cher que prévu, et ainsi de suite.

Autrement dit, l'ère Ballmer serait caractérisée par la méthode du « Stack Ranking ». Quand on sait tout le mal qu'on en dit ici et là (faites une recherche dans Google, vous serez édifiés), on n'arrive pas à comprendre pourquoi rien n'est fait pour que Microsoft ne change son fusil d'épaule. Mais pourquoi, au juste, le tonitruant P.D.G. devrait-il le faire ?

Parce que dans sa caboche, Microsoft est une méga patente très très rentable. Windows ronronne dans plus de 90 % des ordinateurs personnels de la planète et Office est la norme de facto que tout le monde respecte, même ses imitateurs. L'univers corpo s'y conforme et s'en dit satisfaite. Le long terme, celui où il n'y aura plus de PC, mais des dispositifs à la sauce tablette ? C'est loin, très loin. Ce n'est pas parce qu'il se vend désormais des tablettes en quantité phénoménale que la Microsoft de Ballmer va se mettre à perdre des sous. Bien au contraire. Si elle est incapable de vision, elle a un certain talent d'opportunisme et, jusqu'à un certain point, de rattrapage, permettant aux millions de continuer à entrer.

C'est-ce que souhaitent les actionnaires, non ?

Toutes ces misères à cause d'un simple système d'évaluation du rendement ! Qui l'eut cru ?


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