L'aberration qui ressort de l'affaire Samsung vs Apple, c'est qu'il aura fallu un siècle et demi de luttes ouvrières, de militantisme à la dure et d'incarcération de chefs syndicaux pour en arriver au fait qu'en cette deuxième décennie du XXIe siècle, des gens sont fiers de travailler pour une entreprise multinationale 20 heures par jour et sept jours semaines.
Lisez-moi bien. Durant le procès en cours, c'est Apple qui a d'abord insisté sur les longues heures quotidiennes consenties par les équipes du iPhone et du iPad pour en arriver aux résultats que l'on connaît. Il n'y aurait pas eu de miracle ou de pensée magique, seulement du talent et, surtout, du travail. Énormément de travail.
Vantardise à laquelle s'est attaquée Samsung. Et pour se faire, elle a fait témoigner la chef designer Leeyuen Wang, une jeune femme dans la trentaine à qui l'on doit, notamment, l'interface du Galaxy 5, une interface qui aux dires des avocats d'Apple, serait un peu trop empruntée à celle du iPhone.
Mme Wang a soutenu qu'Apple n'avait pas le monopole des longues heures de travail. Dans son cas, a-t-elle raconté au Tribunal, elle passe régulièrement au travers de périodes où elle ne dort que deux ou trois heures par nuit. Même qu'en 2010, l'intensité du travail fut tel qu'elle n'arrivait plus à nourrir son poupon au sein, ce qui fait que ses glandes mammaires ont cessé leur essentielle production. Ici attention ! La madame ne se plaignait pas, elle pavoisait !
De quoi parle-t-on ? De la valorisation industrielle, probablement sociale itou, de l'esclavage techno. Dans ce procès, voici des témoins qui surenchérissent sur leur degré de servitude inconditionnelle. C'est l'équivalent du fait que ma quéquette est plus longue que la tienne, que mon père cogne plus fort que le tien et que mon char coûte dix fois plus cher que le tien. Tu te penses bon avec des 15 heures de travail par jour, mon p'tit gars ? T'as rien vu ! Moi, je m'en tape 20 et je dors seulement deux heures ! Écrase, p'tit-cul !
Qu'est-ce qui fait qu'en techno, les entreprises arrivent à faire travailler leurs employés autant que s'ils se les étaient achetés dans une foire de viande humaine ? Que des jeunes démarrent une petite boîte novatrice et que pour ce faire, ils y consacrent des heures indicibles, je peux comprendre. Mais qu'au bout de cinq ou six ans, quand la micro firme est devenu une PME rentable et prometteuse, que des employés non-propriétaires imitent les fondateurs sur le plan heures travaillées, cela au point d'en faire un point de valorisation, je comprends moins.
Accordera-t-on une promotion à un père ou une mère de famille qui, en privilégiant sa vie familiale et l'éducation de ses enfants, n'est pas toujours présent(e) dans les grands marathons d'heures folles, ou à une personne qui s'affiche ouvertement et fièrement comme n'étant pas rebutée par ses conditions bien rémunérées d'esclave moderne, au point de faire se tarir son système d'allaitement ? Poser la question, c'est y répondre.
Si je pose la question, c'est parce que je l'ai déjà posée à des proches de Microsoft ou d'Apple, pour ne citer que ces deux multinationales, où on m'a parlé des heures de fou qu'il fallait régulièrement investir pour faire carrière, pour atteindre au moins le palier occupé par les vice-présidents ! Cela ne semble-t-il pas contredire cette caractéristique de la génération Y voulant qu'elle ne travaille que les heures qu'elle veut bien consentir et qu'elle n'a aucune fidélité de carrière envers son employeur ? Peut-être que finalement, on connaît aussi mal les trentenaires que l'on connaissait les 20-25 ans avant l'apparition des carrés rouges.
De quoi faire se retourner Michel Chartrand dans sa tombe !