Vous avez obtenu un important jugement contre un débiteur,
vous tentez de vous faire payer ; pour ce faire, vous procédez à des
interrogatoires, à des saisies, mais rien ne fonctionne.
Récemment, vous apprenez que votre débiteur a voyagé autour
du monde, qu'il a plus de 400 000,0 $ d'inscrit sur sa carte de crédit,
qu'il réside dans une résidence luxueuse d'un riche quartier, qu'il a reçu
d'une fiducie constituée par son beau-père et administrée par son épouse la
somme de 50 000,00 $.
Vous vivez une immense frustration.
Avez-vous un recours à l'encontre des gestes qui viennent
d'être relatés?
Ce sont à ces questions auxquelles un juge de la Cour
Supérieure a été confronté, dans l'affaire 9090-5092 Québec inc. c.
Christine Bouchard (1)
Au départ le juge s'est posé, à juste titre, la question
suivante :
(15) « La demande est-elle vouée à l'échec en raison de son
absence de fondement en droit ou de l'absence d'intérêt pour agir de 9090? »
En effet, pour obtenir gain de cause devant un Tribunal, il
faut avant tout avoir un intérêt suffisant. C'est donc dire que le demandeur
doit démontrer l'existence de faits générateurs de droit.
En second lieu, le Tribunal pose la question de savoir si la
demande contre l'épouse du débiteur est bien fondée en droit.
Une fois établit les principes juridiques, le juge examine
pour lui ce qui est au coeur, des arguments du créancier 9090, la Fiducie.
Le juge constate que la Fiducie a été créée par le père de
l'épouse du débiteur, que ladite épouse en est l'une des administratrices, que
le débiteur, son épouse et leurs enfants en sont également les bénéficiaires.
En septembre, 2017, sur recommandation des comptables, la défenderesse Bouchard
verse 150 000,00 $ dans ladite Fiducie ; ce montant sera par la suite
distribué à trois des bénéficiaires, dont Boivin, le débiteur, son époux.
Pour obtenir gain de cause contre Bouchard l'épouse de
Boivin, 9090 soulève le recours en inopposabilité. Ce recours permet à un
créancier de récupérer un bien qui a quitté frauduleusement le patrimoine du
débiteur.
Parmi les conditions à remplir pour obtenir gain de cause
avec ce recours, il faut établir s'il y a eu un préjudice causé à 9090 et si le
geste posé l'a été au préjudice de 9090.
La conclusion du juge a été rapide ;
(45) Or, rien dans le dossier ne permet d'arriver à la
conclusion que l'acte attaqué a causé préjudice à 9090. D'autre part, l'acte
n'émane pas de Boivin et, d'autre part, il n'a pas eu pour conséquence
d'appauvrir son patrimoine.
Pour le juge, l'acte que l'on reproche dans un recours en
inopposabilité doit constituer un appauvrissement du patrimoine du débiteur, ce
qui n'est pas le cas dans le présent dossier. Le versement du montant de 50 000,00 $
est loin d'un appauvrissement, mais plutôt un enrichissement du patrimoine de
Boivin.
Le Tribunal conclut que 9090, n'a pas aucun recours contre
Bouchard, l'épouse du débiteur Boivin, que la procédure est donc mal fondée en
droit.
Le Tribunal ira même plus loin en soutenant que la demande
de 9090 contre Bouchard constitue de l'abus de droit, ce qui entraine des
dommages ; cependant à la demande des parties le montant sera établi
ultérieurement. On peut facilement croire que le juge accordera le
remboursement de tous les honoraires et débourser des avocats de la
défenderesse Bouchard.
Il y a lieu de retenir de cette affaire qu'avant
d'entreprendre un recours, vaut mieux éviter toute frustration antérieure qui
nuit à un bon raisonnement. L'avocat devrait être cette personne rationnelle.
Frustration et recours judiciaire ne font surtout pas bon ménage!
Au plaisir!
Michel Joncas, avocat
Monty Sylvestre, conseillers juridiques inc.
(1)2021 QCCS3494