On sait qu'une des premières grandes industries à avoir été présente et structurée sur Internet a été celle de la pornographie. Dès les débuts du commerce électronique dans les années 90, elle était là, bien en vue, offrant aux internautes toutes les sophistications du Web fricogène sans lésiner, sauf exception, sur la sécurité. En ce sens, elle fut une précurseure et un modèle pour les commerçants en ligne.
Elle a beau nous écoeurer, surtout si nous sommes des générations X et Boomer, elle a beau nous renvoyer à l'immense solitude humaine en cette époque placardée de froids gadgets, on a beau vouloir l'ignorer et en dire du mal, on a beau s'en offusquer publiquement comme je le fais présentement, cela n'empêche pas cette industrie que l'on soupçonne parfois d'être associée au crime organisé de se développer, de s'adapter aux goûts du jour et de faire en sorte que les appétits, quels qu'ils soient, puissent tous être sustentées. Bien entendu, on ne parle pas ici d'érotisme.
Quel que soit le fantasme qui nous allume, quelle que soit la malignité du scabreux dont on a besoin, il y aura commerce afférent sur la Toile, sans parler des trucs gratuits. D'où la ligne très tenue entre «pornographie classique» et «déviance criminelle». Par exemple, il est parfois difficile de déterminer si le modèle exhibé a plus de 18 ans, chose légale, ou ne l'a pas encore, ce qui est, techniquement, de la pédophilie. Présenter les photos d'une gamine de 14 ans en haute résolution n'est acceptable que dans les magazines de mode.
Qui plus est, une recherche banale dans Google en demandant que les résultats soient des images, débouche, surtout si on n'a activé aucune protection, sur l'affichage d'au moins une vignette olé olé. C'est arrivé à tout le monde, même aux enfants. D'où l'importance de bien les encadrer s'ils doivent fouiner dans les moteurs de recherche.
Bref, il y a de la porno partout, énormément, et tout le temps dans le cyberespace, de la légère, de la gynécologique et de la sordide. Face à l'omniprésence de cette abondance que personne ne semble associer à des bénéfices pour la santé, les théories ont circulé. Par exemple:
* Un enfant qui fait son éducation sexuelle sur la pornosphère, sera, une fois adulte, un handicapé sexuel; * La fréquentation des sites pornos mène à une forme morbide de dépendance; * Un consommateur de cyberporno en voudra de plus en plus, en cherchera de la plus en plus explicite et deviendra un insatisfait chronique sur le plan sexuel; * À force de fréquenter certains sites, certains hommes voudront passer à l'acte et deviendront des prédateurs sexuels; * L'abus de porno détruit la libido mâle; * Les consommateurs réguliers de porno estiment généralement que les crimes sexuels ne sont pas aussi terribles que ce qu'on en dit.
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Et ainsi de suite. Sont-ce là des théories fondées sur des recherches scientifiques basées sur de sérieux échantillonnages ? Y a-t-il consensus dans la communauté psychoscientifique ? Rien n'est moins certain, notamment aux États-Unis où un nouveau débat vient se surgir à ce sujet. Cette fois, c'est le National Geographic qui part en guerre contre la Toile porno. Que la vénérable publication ait ou n'ait pas le devoir ou la crédibilité ou la méthode pour traiter de cette question est un aspect que je n'aborderai pas. Mon point de vue est tout autre.
J'estime que l'on navigue socialement en pleine hypocrisie. La porno est devenue un incontournable sur Internet et, malgré les dommages psychologiques dont on l'accuse sans toutefois faire l'unanimité, aucune autorité étasunienne ou canadienne ne semble vouloir lever le petit doigt pour l'encadrer, la baliser, la civiliser, lui imposer le super domaine .xxx ou forcer une grande enquête internationale. Que les politiciens soient de droite comme de gauche, nord-américains, asiatiques ou européens, ils laissent le débat filer à hue et à dia.
Il faut dire que la porno fait vivre bien du monde, pas seulement en banlieue de Los Angeles, ici même au Québec. De par ses produits dérivés, ses salaires, les taxes qu'elle verse aux états, cette industrie fait l'affaire des gouvernements. Peut-être pas au même titre que le tabac, l'alcool et le jeu, ces dépendances si honnies qui sont taxées à la source, mais elle paie son écot.
S'il y a des inquiétudes, des débuts de théories, des témoignages de victimes, des tendances vers l'empironnage, pourquoi est-ce que nos sociétés modernes et leurs élus font comme si de rien n'était ? S'il n'y a rien d'autre que des dénonciations pieuses ou pudibondes, que l'on passe à autre chose. Mais s'il y a quelque chose de dommageable pour le seul véritable actif dont dispose une société, soit ses enfants et sa relève, qu'on y voit et qu'on prend les moyens nécessaires.
Évidemment, cela suppose qu'on le sache de façon documentée et hors de tout doute. Mais comme on vit dans un pays où, foi religieuse et pétrolière à l'appui, on nie les évidences scientifiques du réchauffement planétaire, il m'est avis que je viens de perdre mon temps à écrire cette chronique.
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Nelson Dumais - www.nelsondumais.com