Plus jeune, je me suis demandé qui était donc ce poète dont Gilbert Bécaud chantait la mort. C'était juste avant que je découvre qu'il y avait souvent un deuxième degré dans les mots qu'on décline.
Dans la chanson, on enterre le poète dans un champ et, depuis, il y pousse des bleuets.
Connerie, diront les uns. Porteur de sens, diront les autres.
La poésie, c'est une talle de bleuets qui vient endimancher un champ autrement uniforme.
Quand on parle de poésie, on voit le poète. Un bonhomme un peu à part, portant un veston élimé et, surtout, un foulard autour du cou, été comme hiver.
Pourtant.
On porte tous un gène de poésie. Des fois, on travaille fort pour le réprimer, mais je crois qu'on l'a toutes et tous, pour parler le politiquement correct.
Deux images récentes me viennent en tête quand on parle de poésie. La première, lorsque Louis-José Houde, qui animait un gala de l'ADISQ, avait décidé de rire de ces auteurs-interprètes-poètes qui protègent leur voix avec un foulard. Comme si leur voix était un trésor! Bon. C'est de l'humour. Mais le caustique en moi (qui n'est jamais bien loin!) avait répliqué, en direct de mon salon, « si j'avais ta voix, Louis-José, je ne chercherais pas à la protéger non plus, c'est sûr! »
Le fait est qu'on aime bien rire du poète. Et bien franchement, comme dans toutes les autres sphères de notre grande société, certains se la jouent solide!
La deuxième image date d'il y a quelques années. Sur le plateau de Tout le monde en parle, Robert Charlebois voit un invité s'asseoir tout près de lui. Fred Pellerin. Pendant l'entrevue du conteur, quelqu'un l'interrompt. Charlebois intervient : « laissez-le parler, c'est un poète! »
La réplique, venant d'un autre poète ayant écrit des choses extraordinaires, m'a marqué.
Vous voyez, je n'aurais pas, d'entrée de jeu, accolé l'image d'un poète à Fred Pellerin. Pour moi, la poésie, c'est de la rime. Parfois de la rime à tout prix. Quelques fois, une succession de mots parfois tordus qui fabriquent un texte qui se retrouve, à mon œil un peu trop terre à terre, au cinquième ou sixième degré.
Autant l'avouer tout de go : la poésie qui se branche à mon cœur et à mon imaginaire est celle qui demeure accessible. C'est comme pour le jazz. Mais ça, c'est moi. Ce n'est ni meilleur ni moins bon que ce que ça représente pour un autre. C'est comme les goûts : on peut toujours en discuter, mais, à la fin, ça ne change rien.
Mais ce soir-là, la réplique de Charlebois m'a ouvert les yeux.
Il y a de la poésie partout. Et pas assez, au final.
Je me suis rappelé tout cela au lendemain du spectacle de Fred Pellerin auquel j'ai assisté cette semaine. Un spectacle qui fait du bien. Juste ça. Et tout ça! Parce qu'au-delà des histoires drôles des personnages de son village, il y a ce deuxième degré. Un deuxième degré qui peut prendre différentes formes pour différentes personnes. C'est ça, la magie de la poésie.
Un spectacle qui finit par nous questionner sur le type de vie qu'on mène.
Dans notre monde fou où la vitesse est au service de la performance, on a besoin de poésie. On a besoin de prendre l'ordinaire et de le rendre plus beau. C'est utile, la poésie : ça force ce petit temps d'arrêt nécessaire pour gober ce qui est beau.
La poésie, c'est une courtepointe faite à partir de bouts de tissu qui ne servent plus et dont l'agencement crée une couverture de réconfort.
À travers les non-dits et les mensonges de nos politiciens, à travers la pression de notre société de consommation, il doit y avoir plus de poésie.
Un poète est un pelleteux de nuages? J'espère ! Comme le dit si bien Alexandre Poulin : il faut pelleter les nuages pour qu'enfin le soleil brille...
Clin d'œil de la semaine
Voir le système de santé bien plus beau qu'il ne l'est, ce n'est pas de la poésie, c'est de la supercherie...