Vous rappelez-vous de Jim Allchin, un élégant monsieur qui possédait un doctorat en informatique du Georgia Institute of Technology et à qui Bill Gates avait confié le développement de Windows en 1999 ? Il disparut de Redmond à la fin de janvier 2007, une fois le lancement de Windows Vista complété. Il faut dire que ce système d'exploitation (SE) avait plus d'un an de retard et se présentait dans un état un peu broche à foin.
Comme il fallait un bouc émissaire à cette onéreuse catastrophe, ce fut le malheureux Jim que l'on désigna. Les mauvaises langues supputent que c'est le tonitruant Ballmer qui avait alors orchestré la curée, mais il faut dire qu'Allchin s'était fait des ennemis dans la haute direction de Microsoft. Lisez ce qui suit; Allchin l'a écrit en 2004 (c'est ma traduction).
«J'ignore comment l'entreprise a perdu de vue ce qui importe d'abord à nos clients corpo et grand public, mais à mon avis, nous nous sommes égarés. Je pense que nos équipes ont oublié ce que signifiaient les notions de produit débogué, de résilience, de scénario complet, de sécurité et de performance. Elles ne comprennent plus l'importance des applications actuelles et la nature des problèmes auxquels font face nos clients. Je vois passer beaucoup de trucs aléatoires, certains superbes, mais aucun ne semble s'incarner dans de bons produits. J'achèterais un Mac aujourd'hui, si je ne travaillais pas chez Microsoft ... Apple, elle, ne s'est pas perdue en route ... »
(« I am not sure how the company lost sight of what matters to our customers (both business and home) the most, but in my view we lost our way. I think our teams lost sight of what bug-free means, what resilience means, what full scenarios mean, what security means, what performance means, how important current applications are, and really understanding what the most important problems [our] customers face are. I see lots of random features and some great vision, but that doesn't translate into great products. I would buy a Mac today if I was not working at Microsoft. ... Apple did not lose their way. ...")
La suite ? Un an plus tard, Ray Ozzie avait été nommé « architecte logiciel principal » en lieu et place de Bill Gates (devenu P.D.G. à temps complet de sa fondation éponyme) et Steven Sinofsky, VP principal responsable de l'ingénierie logicielle. C'est à lui qu'Ozzie et Ballmer confièrent le développement de Windows 7, ce qu'il fit avec maestria ! Chapeau ! À plus forte raison que Windows Sept s'est avéré une excellente mouture du SE de Microsoft.
Sauf que ce matin, à l'instant précis où je vous tape cette chronique, le père Sinofsky doit voir Jim Allchin dans sa soupe. Pensez-y. Vista se voulait différent de XP : nouvelle interface, nouveaux outils, nouvelles possibilités, etc., des trucs compliqués dans un contexte de code spaghetti dont certains bouts remontaient à Mathusalem. Allchin s'est planté, du moins avec la version 32 bits. Pendant ce temps, Sinofsky commençait déjà à fouetter ses troupes en vue de Win 7 et il n'a pu faire autrement que de voir défiler, page après page, le plus qu'enviable dossier professionnel de son prédécesseur.
Résumons en disant qu'Allchin était un ingénieur logiciel hautement renommé. Ajoutons qu'on lui doit de petits produits comme Windows Server 2003 et Windows XP ... Or, ce champion a été broyé par Windows Vista. Depuis, il est musicien professionnel et vient de lancer son deuxième album comme guitariste de Blues. En fait, il est très bon !
J'ignore si Sinofsky est musicien, mais pour l'instant, il n'a pas le goût des accords. Il n'a que Win 8 et ses fichues échéances en tête. Il pense à l'automne 2012, laquelle, Oh My God!, s'en vient à grands pas. Il lui faut un produit ARM dans les bidules et autres tablettes asiatiques que les gens commenceront à acheter dès l'automne au début du marché des fêtes. Il lui faut un produit Intel pour les blocs-notes qui eux aussi commenceront alors à se vendre plus sérieusement. Il lui faut des ordiphones avec interface Metro (et des tablettes itou). Il a besoin d'un méga plan marketing pour bien positionner Win 8 dans le concert des grands. Enfin, il lui faut, pour que surgisse quelque chose de terrible chez Apple et chez les Androîdés, que ses prières soient exaucées !
Sinon, On My God ! Il y a des tablettes Androîd plus belles et plus attachantes que jamais qui apparaîtront (nom de code Jelly Bean) vers la mi-octobre - imaginez les ventes - et il y a Apple qui lancera sûrement un iMachin vers lequel des masses folles de consommateurs émus et pantelants convergeront. Si Steven Sinofsky n'arrive pas à tapisser le G8 aux couleurs de Win 8 Metro avant la mi-octobre, il est cuit, archi cuit ! Le fait d'arriver trop tard (novembre ?) pour que Microsoft s'en tire la tête haute quand les IDG, Gartner et autres Forrester feront les comptes au 31 décembre 2012, sera aussi pire que de devoir reporter le lancement de Win 8 en janvier 2013 à la manière de Vista.
Pauvre homme, quel stress ! Et ce n'est pas tout. Il y a une tendance lourde : les acheteurs d'ordi se procurent surtout des tablettes et la vente des PC de tables est en chute libre. Donc, Sinofsky doit miser sur un SE polyvalent, un SE capable d'articuler les bidules et les ordis, une première chez Microsoft. Androîd s'en vient sur le Bureau avec une mouture grand public de Linux, Apple prépare la fusion iOS - OS X.
Sinofsky sait tout cela et il doit réussir à imposer sa marque dans un marché duquel son employeur est pour l'instant exclu. Pour qu'on lui reconnaisse une percée significative, bref, pour qu'on le congratule comme dans le cas de Win 7 et pour qu'on lui refile le fauteuil que Ballmer cédera bien un jour, il faudra que Metro ravisse une importante part de marché à Apple et à Android d'ici un an. C'est du court terme ! Tout un pari !
Dans l'état actuel de Windows 8, une certaine insatisfaction s'est manifestée chez bon nombre de ceux qui ont mis à l'essai la version Customer Preview d'il y a trois semaines. Ce qui signifie qu'il reste à Sinofsky un gros cinq mois (il faut tenir compte des étapes de fabrication, les RC et les RTM) pour finir le travail, pour faire triompher Metro, pour sortir Microsoft de son bourbier.
Y arrivera-t-il ? Tout se peut. Sinofsky est un dur à cuire, une sorte de Steve Jobs que l'on adore détester et que l'on finit par suivre les yeux fermés. Une histoire palpitante à suivre !