Vers
la fin des années 1870, la famille Powel, originaire de Birmingham en
Angleterre, vint s'installer à Dudswell.
Le
père, le Révérend Frederick Powell, un ministre
congrégationaliste, pratiqua quelques temps son ministère à Dudswell Sud1 et à
Marbleton. La mère, Elizabeth Wright, décédée
quelques années auparavant en Angleterre, avait laissé une petite fortune à
séparer entre ses deux enfants à leur majorité, Lily et Milton Dilwarth Powel.
L'argent irait en dernier lieu au père, advenant le décès des enfants.
Le 28
juillet 1885, Milton Powel âgé de 10 ans, se noyait dans le lac d'Argent2 dans des
circonstances nébuleuses. L'enfant fut inhumé dans le cimetière anglican de
Marbleton situé en face de l'église Saint-Paul, et l'affaire fut vite oubliée.
Quelques
mois plus tard, Powel et sa fille Lily déménageaient à Danville ou la vie
continua apparemment sans histoire. Le village de Danville était un endroit où
il faisait bon vivre. La vie était centrée autour des fermes, de la station de
chemin de fer et particulièrement autour de l'église où la vie sociale se
déroulait. Les gens venaient là pour écouter de la musique, des poèmes dits par
des gens de la place et le dimanche, pour le sermon du Révérend. Après le service, tout le monde restait sur
le perron du sanctuaire pour écouter les potins de la semaine avant de
retourner chacun chez soi pour le dîner.
Mais
cette petite vie paisible ne semble pas avoir plu à Fred Powel puisqu'en 1887,
il déménagea à Richmond où il tenait un magasin général. Lily resta dans la
région et pensionnait chez M. et Mme Buchanan à environ un mile de Danville sur
le chemin de Kingsey.
À
cette époque, Danville était en effervescence. En effet, suite à une campagne
de tempérance, plusieurs propriétaires d'hôtels faisaient face à des poursuites
pour violation de la loi sur la vente des liqueurs. Parmi eux, il y avait
Jonathan Sinnott, un ancien fermier tenant le Richmond Railroad Hotel. Pour le bénéfice du lecteur, cet homme
avait un fils de huit ans nommé Michael qui devint célèbre sous le nom de Mack
Sennet, l'un des réalisateurs les plus importants du cinéma muet américain. De
son vivant, on l'appelait « The king of comedy » (« Le roi de la comédie »)..
C'est lui qui fut le promoteur, avec un groupe d'hommes d'affaires, de
l'installation des fameuses lettres "HOLLYWOOD" sur une montagne de
Los Angeles.
En
1888, la fête du Canada, le Dominion Day, tombait un dimanche. On fêta donc
l'événement le lendemain du jour du
Seigneur, soit le 2 juillet. L'Armée du Salut présenta un concert à Danville et
Lily était de la fête. Mais vers les dix heures du soir, elle décida de rentrer
chez elle, seule, ayant refusé l'offre d'un copain de l'accompagner.
Le
mercredi suivant, le 4 juillet, Ephraim Cleveland se leva très tôt. C'était un
beau matin chaud et ensoleillé qui annonçait une journée idéale pour le
ramassage du foin. Après un petit déjeuner frugal, il harnacha ses chevaux à la charrette et
s'engagea sur le chemin de Kingsey qui le conduirait à son champ. Chemin
faisant, il remarqua un chapeau de femme dans le fossé. Il le ramassa et
l'accrocha à la clôture de façon à ce que la propriétaire puisse éventuellement
le récupérer.
Quelques
jours plus tard, il apprit la disparition de Lily Powel. L'histoire du chapeau
lui revint à la mémoire et il décida de retourner sur place avec un voisin. En
plus du chapeau, ils découvrirent un sac à main taché de sang. Dans celui-ci,
ils découvrirent une lettre écrite de la main de la disparue. Elle était
adressée à George Pierce mais n'avait
évidemment pas été postée.
Très
perturbés, ils retournèrent au village et en avisèrent les autorités. Un groupe
de voisins commencèrent aussitôt des recherches sur les lieux de la disparition.
Deux membres de l'équipe, Ephraim Cleveland et George Gibson, découvrirent un
endroit où l'herbe avait été écrasée comme si on avait traîné quelque chose. Ils
suivirent la trace jusqu'à une petite rivière où ils découvrirent le corps de
Lily caché dans les roseaux. Ils découvrirent également des traces de
chaussures d'un homme qu'ils suivirent jusqu'au chemin entre l'école et le
moulin à scie de George Allen.
À
Danville, tout le monde connaissait la jeune fille qui devait fêter ses 21 ans
quelques jours plus tard, devenant ainsi l'unique bénéficiaire de la petite
fortune laissée par la mère, son frère étant décédé.
Le docteur Speer, le coronaire de Danville qui examina le corps de Lily,
rapporta que la malheureuse avait été frappée à plusieurs reprises à la figure.
Elle avait deux dents cassées et le visage affreusement tuméfié. Elle n'avait
pas été violée, mais on retrouva, près de son corps, des indices qui prouvaient
qu'elle avait chèrement défendu sa vie.
La cause fut confiée au détective Dyson de Richmond. La plupart des
jeunes gens de la région furent interrogés sur leurs allées et venues du soir
de la disparition. Plusieurs mentionnèrent qu'en retournant chez eux par la
fameuse route, ils avaient entendu des cris étouffés dans la nuit, qu'ils
avaient crié mais que personne n'avait répondu. Ils avaient finalement pensé
que ce devaient être les plaintes d'un animal.
Malgré
une longue enquête et l'offre d'une récompense de $1500 (une vingtaine de
milliers de dollars d'aujourd'hui), le
meurtrier ne fut jamais retrouvé mais, à cause de l'héritage, les enquêteurs soupçonnèrent longtemps le
Révérend Powel, alors remarié et marchand prospère à Richmond.
Selon
l'enquête, il était seul à connaître les clauses testamentaires qu'il avait
toujours gardé secrètes. Lily ne savait donc pas qu'elle hériterait d'une
fortune à son 21e anniversaire. La mère morte en Angleterre, le fils
noyé à Marbleton et la fille assassinée à Danville, le père héritait d'un
important montant d'argent, ce qui aux yeux de la justice, était un mobile à
toute épreuve. Mais il ne fut jamais accusé du meurtre, faute de preuves.
Sources: The Richmond Guardian, The Sherbrooke Examiner and The
Waterloo Advertiser.
1 Petit village
situé à l'intersection de la route No 1 et le chemin du Bassin Nord.
2 On retrouve cette
information dans le journal intime de J.R. Andrews, bien connu à Dudswell. Il
était le père de Clift Andrew, propriétaire d'un magasin général à Bishop's
Crossing. Aussi dans "Cimetières
des Cantons de l'Est".