La bête a 40 ans. Plus ou moins. Je ne la crois pas susceptible
par rapport à son âge!
La bête est un congélateur. De type tombeau, pour reprendre
l'image populaire. Le genre de congélateur qui a servi, dans les romans
policiers (et parfois dans la vraie vie!) à conserver les restes d'une personne
dont l'existence a été interrompue, disons, abruptement!
À la maison, depuis tant d'années, le congélateur représente
une certaine stabilité. Son ronronnement constant inspire la confiance, d'autant
plus qu'il contient, dans son ventre, ce qui va nourrir le nôtre
éventuellement.
Un très efficace agent de conservation!
Depuis quelques années, il faut bien l'avouer, il démontrait
des signes de vieillesse. Le lourd couvercle ne tenait plus en position ouverte
par lui-même. Un bout de bois lui servait assez efficacement de béquille, quand
on n'utilisait pas simplement notre tête pour le retenir!
Ah, et la petite lumière servant à nous sécuriser par
rapport à l'apport électrique nécessaire à son bon fonctionnement vacillait au
gré de ses incertitudes.
Mais bon. L'essentiel y était : les aliments dont il
avait la garde étaient conservés.
C'était vrai jusqu'à samedi dernier.
En voulant quérir un simple pain, nous avons plutôt constaté
une mare liquide et molle qui semait la désolation...
Et il y a pire, cela
dit
Somme toute, on s'en bien tirés : pas de grande perte.
Il faut dire qu'il restait de la glace dans l'eau qui s'accumulait au fond du
congélateur. Tout n'était pas complètement perdu. Pas de quoi écrire à sa mère ou
aux assurances! Même si certaines compagnies promettent d'être là, là et là...
Comme la bête était devenue bien trop grosse pour nos
actuels et futurs besoins, le choix s'est arrêté sur le remplacement du tombeau
par un congélateur vertical bien plus petit.
Le magasinage commençait.
D'abord, lecture du fidèle Protégez-vous, dont les
analyses sont éclairantes.
Premier constat? Le nouveau congélateur, grâce aux avancées
de la science et des procédés magistralement modernisés, devrait durer 4 fois
moins longtemps que l'actuel tombeau! Et il sera encore moins réparable, de
toute façon...
On se dirige donc vers des commerces locaux (avec pignon sur
rue). On se dit que c'est mieux de pouvoir référer à une personne qu'à quelque
chose de virtuel.
D'entrée de jeu, le vendeur s'assure que l'on comprend bien
la base de la base :
-
Là, vous ne vous attendez pas à ce que le
nouveau soit aussi durable que votre vieux ?
-
Heu, non? Je veux dire... non!
Deuxième constat, nous sommes pris dans différents
questionnements mathématiques dont la logique n'est pas stricte et fait appel à
nos valeurs et à notre évaluation personnelle des enjeux.
Je m'explique.
On comprend que les composantes de base sont sensiblement les
mêmes partout. Ce sont les options qui s'occupent du reste. L'éclairage
adaptatif, la musique émise par l'appareil (oui, oui!) ou le fait que
l'électroménager envoie des textos au besoin (!). Rien qui annonce une
prolongation de la vie utile de l'appareil ou qui pallie le fait que tout est
en plastique et que, comme les plastiques sèchent avec le temps, il y a fort à
parier que lorsque quelque chose cassera, la difficulté de remplacer la pièce
mènera vers un nouvel achat. Les mathématiques interviennent dans le fait qu'il
faut parfois payer 4 fois le prix pour une marque qui promet un peu plus de
longévité.
Puis, le dilemme mathématique des assurances. On peut
allonger la garantie moyennant des sous. C'est bon jusqu'à 5 ans au total
(incluant la première année qui est de base).
Question de notre part, cette fois?
-
Ça veut dire qu'il va briser à l'intérieur des 5
prochaines années?
-
L'historique disponible tend à démontrer que
oui...
Déprimant.
Pour la petite histoire, au risque de nos vies (ou presque!),
on a renoncé à une garantie prolongée.
Mais quand même. C'est déprimant.
Déprimant de constater qu'alors que le vieux congélateur
avait représenté une source de réconfort et de confiance pendant des décennies,
voilà que son simple remplacement nous jette au visage toute la stupidité du
monde dans lequel on vit.
La quête d'accumulation du profit fait que les fabricants
construisent des trucs un brin sur rien. Et on finit même par s'entendre dire que
« ouin, de nos jours, c'est plus comme avant... » sur un ton
d'acceptation de cette nouvelle « normalité ». Dans un contexte où le
gaspillage des ressources matérielles devrait être à proscrire, c'est
troublant.
Et ça ouvre sur un écosystème d'assurances qui fait ses
choux gras en s'alimentant à même le mépris des fabricants et la crainte des
consommateurs devenus insécures.
Et, comble du comble, juste à côté de nous, un couple vient
de passer une heure à récolter des dizaines d'informations sur des produits
précis. Ils avaient fait leurs recherches, mais il leur manquait l'expertise de
quelqu'un qui s'y connaît un peu plus. Ils demandent finalement un devis. Ils
constatent que, selon leurs données comparatives, ils s'apprêtent à payer environ
100$ de plus (sur une facture de 10 000 $). Puis, oh, calamité, il y aura
un délai de livraison de quelques jours sur un des items!
-
Regarde ben. Si t'es pas capable de faire mieux
que Costco, on s'en va là de ce pas.
Le gars a dit ça en se levant pour quitter avec sa
conjointe. Je vous épargne ici le reste du raisonnement du gars : c'était
aussi creux que blessant.
Déprimant, tout ça.
Ce soir-là, nous sommes sortis gelés de notre magasinage.
Tristement gelés.
Clin d'œil de la semaine
Chaque
espèce animale a son prédateur.
L'humain
est autosuffisant à ce chapitre.