Quand j'étais enfant, on jouait à la police ou aux cowboys,
nos bicyclettes Mustang servant tantôt de moto de police ou de cheval pour le
cowboy. Le trottoir devant les maisons des voisins devenait une route rejoignant
chacun des forts, situés dans chacune des cours des maisons de mes amis.
Bizarrement, que l'on soit policier ou cowboy, une chose ne
changeait pas : on s'appelait tous Joe. Allez savoir pourquoi.
« Hey, Joe, vient m'aider, je suis pris! »
« OK, j'arrive Joe! » Et mon ami arrivait à ma
rescousse, sous le vacarme des cartes à jouer qui se frottaient aux broches des
roues des bicyclettes, bien tenues par des épingles à linge.
Puis, presque forcément, un d'entre nous exagérait. Soit il
disait quelque chose d'un peu trop gras au goût d'une des mamans des acteurs du
jeu de rue, soit un des Joe tapait trop fort sur un autre Joe, mais toujours
est-il qu'à tout bout de champ, une porte s'ouvrait et une maman
s'exclamait : « Arrête un peu, toi là! »
Ça, ça voulait dire beaucoup. Ça voulait dire j'en ai assez
vu ou entendu, ça voulait dire tu ne t'en tireras pas de même, ça voulait dire,
surtout, que le jeu s'interrompait, le temps d'une conséquence.
Le plus fort des policiers ou des cowboys venait de se heurter
à l'ultime pouvoir dans nos vies, la maman d'un des amis qui en avait assez.
C'est drôle, mais on ne remettait pas en question cette
autorité-là. On savait à quoi s'en tenir. Il y avait des affaires qui se
faisaient et d'autres qui ne se faisaient pas. Des affaires qui se disaient et
d'autres qui ne se disaient pas. C'était comme inscrit dans le contrat social
qui régnait nos jeux, notre petite société à nous.
Quand on exagérait vraiment, il fallait réparer. La punition
elle-même ne suffisait pas. Il fallait, parfois, partir avec son père ou sa
mère et aller frapper à la porte de l'autre personne concernée par ce qui était
arrivé. Les parents s'expliquaient un peu, puis les excuses étaient exigées.
Je me souviens de cette fois :
« Salut, mon fils François a vraiment été rude avec ton
fils cet après-midi. Il lui a dit des choses vraiment pas correctes. »
« Ah! Entre! Mon gars ne m'en a pas parlé, mais on va
tirer ça au clair »
L'agresseur et la victime se retrouvaient face à face, tête
plus ou moins baissée, rêvant que ça finisse rapidement.
« C'est vrai qu'il t'a dit ça après-midi? »,
demande le papa de la victime.
« Oui... »
Ma mère me dit tout de suite : « Excuse-toi
maintenant! »
« Je m'excuse... »
« Donnez-vous la main », reprend ma mère. Ce qui fut
fait.
Au moment où je croyais que tout était fini, le papa de la
victime reprenait : « OK, c'est bon. Mais, j'imagine qu'il t'a dit ça
pour rien? Juste pour être méchant? T'as pas couru un peu après? »
« Ben... »
« Ben, c'est ça, répond le père sans attendre. Tu
sauras que dans la vie, quand on crache en l'air, ça nous retombe sur le nez.
François s'est excusé, c'est correct, mais repense à ton affaire pour les
prochaines fois toi aussi ».
Mon ami et moi étions soulagés. Non seulement la barrière de
la chicane était tombée, mais un peu de ciment supplémentaire avait été mis
entre les briques des valeurs de la vie de société.
Aujourd'hui, je lis les insultes épouvantables qui se disent
sur le Web, je constate cette façon qu'ont plusieurs parents de défendre leur
enfant si chéri alors qu'une bêtise est commise ou, encore, cette façon qu'ont
plusieurs parents de blâmer tout le système scolaire plutôt que d'enseigner la
conséquence des gestes à leur enfant et je me dis qu'on a échappé quelque chose
en chemin.
Personne n'est parfait, mais des fois, j'ai le goût de
crier, en pensant à ces parents : « Arrête un peu, toi, là! »
Clin d'œil de la semaine :
L'ultime menace de nos jeux de police et de cowboys :
« T'es mort ou ben non, je joue pus! »