Le triste épisode du débat sur les frais de scolarité continue de faire école au Québec. Il fait école parce que c'est un débat qui n'a pas eu lieu. Qui n'en a eu que le nom.
Car, au lieu de discuter, on a tout ramené à un carré rouge ou un carré vert. Comme si la question entière pouvait être contenue dans un petit carré de couleur.
Nous formons une société binaire.
Mon grand-père Alphonse était rouge. Pas de carré. Rouge au sens libéral du terme. Et quiconque n'était pas rouge, était bleu. Point.
C'est encore comme ça aujourd'hui. Demandez à la CAQ et à la défunte ADQ. Le troisième joueur a accès à la patinoire, mais pas quand il y a un match de hockey.
De toute façon, le hockey, c'est plus simple à deux clubs. Et, au Québec, le hockey est religion. Alors deux équipes, on croit à ça.
Nous sommes binaires partout. Vous n'êtes pas partisan des Canadiens? Vous êtes Nordiques. Mais si vous ne l'avez pas dit, même si vous pensez que Marian Stastny était la mère des deux autres tellement vous ne connaissez pas ça, rien n'y fait : qui n'aime pas les Canadiens est un Nordiques.
Rappelez-vous les carrés rouges et verts. Il suffisait de vouloir nuancer un propos, du genre : « Il me semble que les frais de scolarité devraient être gelés et que, collectivement, on devrait assumer le reste des coûts pour permettre à tout le monde d'aller à l'école... ». Vous veniez de vous rougir le carré violemment et les verts vous cataloguaient. Isoler le mal pour frapper dessus. Voilà l'essentiel du mouvement politique au Québec. Le mal, c'est celui qui ne pense pas exactement comme vous. Le bien, c'est la ligne de communication dictée par les firmes spécialisées. Carré rouge = violence. Répétez ça pendant des semaines, et voyez la phrase devenir vérité.
C'est devenu ça, notre démocratie, Bruno?
Quand je fais des constats, je les partage avec mon ami Bruno. Et, généralement, on fait les mêmes, des fois étonnamment. Et non, ça ne veut pas dire qu'on soit ou qu'on doive être d'accord tout le temps.
On partageait donc nos constats, cette semaine, dans le dossier de la charte des valeurs. Même (et surtout) les médias cherchent à séparer tout ça en deux. La triste rencontre entre le ministre Drainville et l'intellectuel Bouchard (de Bouchard-Taylor) à Tout le monde en parle en est un exemple. Bouchard a attaqué avec une citation d'un collègue de Drainville (Lisée) et a tout fait pour mettre l'autre en boîte. Il a tout fait déraper dès le départ et rien n'est vraiment sorti de l'exercice. Trop occupés à attaquer ou se défendre, les arguments sont demeurés au vestiaire, hors de la scène du débat. Qui n'a pas eu lieu, forcément. Mais, au moins, diront les défenseurs du disons-nous les vraies affaires, ils se sont engueulés. C'est tout ce qui compte.
Quand, à la radio, Marie-France Bazzo demandait à une professeure en philosophie de niveau Cegep si elle ne croyait pas que le débat sur la charte allait polariser les Québécois, la dame a eu une petite hésitation, avant d'expliquer que c'était le propre d'un débat de diviser les opinions. Sinon, il n'y a pas de débat... Triste, de devoir expliquer cela, quand même...
C'est donc là que nous en sommes, comme société. Nous sommes binaires. Une décision? Deux choix. Entre les deux n'existe pas.
Et pourtant...
Les médias martèlent que la population est divisée en deux : les pour et les contre. Mais, pour un instant, prenons-les contre. Certains le sont parce que la charte va trop loin. D'autres parce qu'elle ne va pas assez loin. Chez les pour, certains le sont parce que le voile diminue la valeur de la femme alors que d'autres souhaiteraient éliminer les symboles religieux de la fonction publique. Être binaire, c'est tenir pour acquis que les pour sont d'accord entre eux et que les contre le sont aussi. Pourtant, ce n'est pas le cas. Mais c'est plus simple de tout diviser en deux.
Si on veut avancer, il faut apprendre à débattre. Et les médias sont les premiers à devoir montrer la voie. Mais ce n'est pas ce qui se passe. Quand ils présentent un invité, ils commencent toujours en spécifiant qu'il est pour ou contre la charte.
Ça devient énervant.
Exemple :
M. Fouquet, bonjour. Vous êtes pour la charte des valeurs de Madame Marois, n'est-ce pas?
Ben... En fait, je crois qu'un citoyen travaillant pour l'État ne devrait pas envoyer un message religieux susceptible d'indisposer un autre citoyen. Je crois en la laïcité de l'État. Mais je me dis que ça pourrait peut-être se limiter aux membres du personnel en autorité.
Donc, vous basculez du côté du contre?
Je suis généralement en accord avec le texte, mais j'ajusterais, il me semble, la portée des signes dits ostentatoires.
Voilà que vous confirmez votre changement de cap?
Tu m'énerves...
Pour avoir une certaine valeur, il faut appartenir à un camp ou à un autre. Ça nous permet, comme citoyen, de s'insérer correctement dans une réponse de sondage. Et les sondages font la nouvelle. Et la nouvelle cherche à confirmer le sondage, influençant ainsi le prochain sondage qui nourrira la nouvelle...
Clin d'œil de la semaine
Nous sommes binaires, au Québec. Et en période de débat, bipolaires...