Il y a près de 40 ans que le régime de responsabilité sans égard à la faute a été instauré par le gouvernement québécois, afin d'indemniser le préjudice corporel des victimes d'accident de la route. En fonction de ce régime public d'assurance, quels droits avez-vous à titre de victime d'une collision? Et quelle est l'étendue de la protection juridique dont vous jouissez si vous êtes plutôt responsable de l'accident ?
Afin de bien cerner la particularité de ce système d'indemnisation, regardons d'abord le régime généralement applicable en matière de responsabilité civile (art. 1457 C.c.Q.). Selon ce régime, pour qu'un individu soit tenu civilement responsable à votre égard, vous devez prouver trois éléments : 1- sa faute ; 2- les dommages que vous avez subis, et 3- le lien de causalité entre la faute et les dommages.
Toutefois, dans le cadre du régime provincial, vous avez moins de preuves à fournir pour être indemnisé. Bien que vous deviez prouver vos dommages et le rapport entre vos blessures et l'accident survenu lors de l'usage ou du chargement d'un véhicule, vous n'avez pas à démontrer l'existence d'une faute de la part de qui que ce soit. La faute se définit légalement comme un écart entre le comportement du défendeur et le comportement qu'aurait eu une personne raisonnable, prudente et diligente dans les mêmes circonstances.
De fait et conformément à la Loi sur l'assurance automobile (art. 5), les indemnités accordées par la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) le sont sans égard à la responsabilité de quiconque. De plus, ces indemnités sont les seuls droits que possèdent une victime en raison d'un préjudice corporel et aucun recours juridique à ce sujet n'est reçu devant un tribunal (art. 83.57). Toutefois, pour certaines personnes, il est parfois possible de réclamer une indemnité en vertu d'un régime privé d'assurance, sans égard à la responsabilité de quiconque (article 83.58).
La Loi sur l'assurance automobile vous évite donc, à titre de victime, de devoir passer par un long et coûteux processus judiciaire dont l'issue incertaine dépend entre autres de la solvabilité du conducteur fautif. De plus, les conséquences financières sont assumées par tous les usagers de la route et non par un seul individu, soit le conducteur fautif.
Par contre, même si toutes les victimes d'accident de la route sont indemnisées, les montants qu'elles reçoivent ne compensent pas intégralement les dommages corporels et psychologiques subis. En effet, les sommes déterminées par la SAAQ ne correspondent pas toujours à ce qu'une victime pourrait espérer obtenir d'un tribunal de droit commun.
D'ailleurs, dans une affaire (réunissant deux dossiers distincts) tranchée récemment par la Cour suprême, les demandeurs tentaient justement d'obtenir, en plus de l'indemnisation du régime d'assurance public, des dommages et intérêts additionnels de la part de personnes étant intervenues après l'accident. Les demandeurs les accusaient d'avoir aggravé les dommages subis lors d'un accident de la route.
Dans le premier cas, le demandeur reprochait aux agents de la Sûreté du Québec (SQ) d'avoir mis trop de temps à localiser la voiture accidentée dans laquelle il se trouvait. La victime, grièvement blessée, a attendu les secours plus de 40 heures dans sa voiture et a ainsi subi des engelures graves qui ont nécessité l'amputation d'une partie de sa jambe droite. Dans le deuxième cas, la demanderesse reprochait au personnel médical de ne pas avoir évalué et traité conformément aux règles de l'art les blessures qu'elle a subies lors de l'accident et d'être responsables de l'atteinte neurologique à sa main droite et de l'amputation d'une partie de ses jambes.
Dans ses conclusions, le plus haut tribunal du pays n'a pas dérogé aux principes de la loi en interprétant largement la couverture du régime « no-fault ». La Cour a rejeté ces demandes, protégeant ainsi les intervenants de première ligne, tels les policiers et les ambulanciers, et les autres personnes appelées à intervenir lors d'accidents de la route.
En conclusion, lorsque toutes les conditions juridiques pertinentes sont remplies, si vous êtes victime d'un accident de la route vous ne pouvez entreprendre une poursuite, au civil, contre la personne fautive afin d'obtenir des montants additionnels pour compenser vos blessures. Même les accidents résultant d'une erreur commise par un mécanicien d'automobiles sont englobés dans cette protection. Il s'agit dans les faits d'une réelle immunité civile à l'égard du conducteur fautif et des divers intervenants.
Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18
Me Ariane Ouellet, Avocate
Fontaine Panneton Harrisson Bourassa & Associés